mémoires de l'académie d'orléans agriculture sciences, belles ...

34En effet, son père avait été tué à la tête de son régiment en 1641, au siège d’Aire sur laLys, et il laissait trois jeunes garçons. Ils furent aussitôt pris en charge par Richelieu et Séguier,puis Mazarin. Pour l’aîné Armand, filleul du cardinal son parent, éducation militaire évidemment,sous Turenne, et pour Pierre, filleul du chancelier, une quantité de bénéfices ecclésiastiqueslucratifs dès l’âge de quatre ans. De cette immense titulature, retenons la commande de l’abbayede Saint-Victor de Paris, fondée par Louis VI le Gros, donc au XI e siècle, abbaye royale, chefd’ordre,dont relevaient 22 monastères, et qui valait à son titulaire le titre ducal. Elle occupait,avec ses jardins, tout l’espace qui s’étend aujourd’hui au nord du Jardin des Plantes jusqu’à laPitié-Salpêtrière. Dans les moments qu’il ne passait pas à la cour, l’enfant vivait dans lasomptueuse demeure de son grand-père le chancelier, qui avait pris chez lui ses petit-fils, furieuxqu’il était du remariage de leur mère. Dans un décor créé par Simon Vouet et Charles Lebrun 4 ,où se réunissait l’Académie française, les trois garçons suivaient les leçons d’un humanistedistingué.À 17 ans, le grand-oncle Séguier, évêque de Meaux, résignait à Pierre sa charge depremier aumônier du roi, qui l’attachait du lever au coucher à la personne de son prince ; cettefonction lui conférait aussi la responsabilité d’un service financier important chargé de répartirlibrement, avec pouvoir ordonnateur, toutes les libéralités de Sa Majesté. 5 Naturellement, l’abbéde Coislin, comme l’on disait, avait été du voyage d’Espagne pour le mariage du roi, et avait reçul’honneur insigne, et contraire à l’étiquette, de poser devant le roi le coussin sur lequel celui-ciallait s’agenouiller lors de la signature sous serment du traité des Pyrénées. 6Il n’imaginait pas quitter la cour où vivaient ses plus proches parents. Il ne sollicitait rien,ne demandait rien. Mais le roi voulait l’honorer. Or s’il s’était fait remarquer par sa modestie et sapiété, le sacerdoce ne lui servait absolument à rien. Il n’est même pas sûr qu’il ait été tonsuré.Mais il n’avait rien à refuser à Louis XIV. Il se produisit alors un phénomène fort rare : sur cethomme sans vocation, la décision du roi provoqua une sorte de choc de conscience : on voulaitfaire de lui un prélat courtisant ; il ne le serait jamais. Quittant aussitôt la cour, il préféra se faireattendre deux ans et demi à Orléans plutôt que d’être mal préparé à ses fonctions.Devenu donc simple séminariste à 29 ans, il se retira à Saint-Victor, pour se préparer ausacerdoce pendant plus d’un an, sous la direction des théologiens et historiens renommés qui yrésidaient ; Louis XIV, qui ne pouvait se passer de lui, le rappela à la cour avant son ordination,que le roi voulut aussi festive que possible ; mais le nouveau prêtre entama aussitôt après uneseconde retraite en vue de son sacre, qui eut lieu également à Saint-Victor. 7 Ce jour-là, on eut lasurprise de l’entendre prononcer un serment alors parfaitement insolite, celui de se consacrer àson diocèse, d’être donc un évêque résident, selon les canons du Concile de Trente. Cettedécision inattendue piqua fortement le prince, qui ne s’attendait à rien moins. Aussi essaya-t-ilde le retenir à la cour en le maintenant dans sa charge de premier aumônier, mais sans pouvoirébranler une volonté aussi déterminée. Le roi ne s’y habitua jamais ; et chaque fois qu’il voyait lecarrosse de Pierre de Coislin prendre la direction du sud, il soupirait, mi-admiratif mi-contrarié :"Voilà M. d’Orléans bien aise". Pour rester fidèle et à son serment et à ses fonctions auprès duroi, il fut donc contraint à des allers et retours permanents entre la cour et Orléans. Enjuxtaposant les séjours, on estime que durant les quarante années de ce long épiscopat, il passasix mois à la cour, et six dans son diocèse. Très fiers de recevoir un tel évêque, si proche dupouvoir, les Orléanais se montrèrent assez patients. C’est le moment de jeter un œil sur cequ’allait découvrir le nouveau prélatOrléans offrait alors en soi un caractère très particulier. Fort peu de noblesse militaire,une université en déclin mais d’autant plus accrochée à ses privilèges, un concentré de robins,d’institutions corporatives, de justices particulières, tel qu’on en voit rarement tassés sur une4 Voir Tallemant des Réaux, Historiettes, Gallimard – Pléiade, t. II, p. 1195.5 Marcel Marion, Dictionnaire des institutions de la France aux XVII e et XVIII e siècles, Paris, Picard, 1976.6 Anne-Marie-Louise d’Orléans (dite la Grande Mademoiselle), Mémoires, Paris, éd. Fontaine, 1985, t.II, p.146-155.7 Oraison funèbre prononcée dans l’église du RR PP Minimes, le 29 mars 1706. Médiathèque d’Orléans.Académie d'Orléans Agriculture, Sciences, Belles-Lettres et Arts VI e Série- Tome 18 - 2008