<strong>du</strong> pétrole ou <strong>de</strong>s matières dangereuses. Les pays <strong>du</strong> Su<strong>de</strong>t <strong>de</strong> l’Est <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée ont plus <strong>de</strong> 21 000 km <strong>de</strong> côtesqui bor<strong>de</strong>nt l’une <strong>de</strong>s routes maritimes les plus fréquentéesau mon<strong>de</strong>. On estime que les rejets <strong>de</strong>s navires représententl’équivalent <strong>de</strong> 17 Exxon Val<strong>de</strong>z rejetés dans <strong>la</strong> Méditerranée.Face à ces risques, les popu<strong>la</strong>tions défavorisées sontgénéralement les plus vulnérables en particulier cellesregroupées dans les zones urbaines d’habitat spontané quisont les plus touchées <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> l’absence d’équipementspublics permettant d’y faire face.Ces risques sont, pour <strong>la</strong> plupart, connus et ont faitl’objet d’investigations scientifiques poussées. Les mesures<strong>de</strong> préventions sont également <strong>la</strong>rgement i<strong>de</strong>ntifiées qu’ils’agisse d’équipements publics (évacuation <strong>de</strong>s eaux uséespar exemple), <strong>de</strong> normes applicables aux constructionsnouvelles ou <strong>de</strong> sensibilisation <strong>du</strong> public aux situationsd’urgence. Or sur ces différents p<strong>la</strong>ns, on peut dire que lesefforts déployés dans les villes méditerranéennes sont encorefaibles et dans certains cas inexistants. Le plus souvent, <strong>de</strong>sp<strong>la</strong>ns existent, souvent mis en p<strong>la</strong>ce suite à une catastrophe: co<strong>de</strong>s <strong>de</strong> construction parasismiques, recensement <strong>de</strong>szones inondables, modification <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns d’occupation <strong>de</strong>ssols, <strong>de</strong>man<strong>de</strong> faite aux communes <strong>de</strong> préparer <strong>de</strong>s p<strong>la</strong>ns<strong>de</strong> prévention <strong>de</strong>s risques, réglementation plus contraignantepour les in<strong>du</strong>stries polluantes. Leur application restenéanmoins problématique <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexité <strong>de</strong> miseen œuvre <strong>de</strong> mesures souvent coercitives impliquant uneétroite coordination entre <strong>de</strong>s administrations ou <strong>de</strong>scollectivités dont les priorités sont ailleurs. Les compétencesfont aussi cruellement défaut aux échelons les plusdécentralisés <strong>de</strong>s administrations publiques, c’est-à-dire làoù elle sont les plus nécessaires.DES RISQUES RÉELS DEDÉSTABILISATION SOCIALELa question <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie et <strong>de</strong>s risques sociaux estau cœur <strong>de</strong>s problèmes actuels <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s villesméditerranéennes. Ces dysfonctionnements ont entraîné undéveloppement <strong>de</strong> phénomènes sociaux urbains affectant lespopu<strong>la</strong>tions les plus fragiles. Ces popu<strong>la</strong>tions, victimes <strong>de</strong>sdéfail<strong>la</strong>nces sociales et économiques mais également urbainessont touchées par une pauvreté extrême qui se manifesteaussi bien sur le p<strong>la</strong>n monétaire que sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s conditions<strong>de</strong> vie. Par ailleurs, l’insécurité et <strong>la</strong> violence représententaussi une menace pour les popu<strong>la</strong>tions en situation précairequi <strong>de</strong>viennent les proies faciles <strong>de</strong>s réseaux intégristes.Pauvreté urbaine et exclusion socialeLa combinaison d’une urbanisation accélérée, d’uneinfrastructure négligée et d’un financement urbain déficientpendant plusieurs années ont accru <strong>la</strong> pauvreté <strong>de</strong>spopu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong> cette zone géographique. La pauvreté enMéditerranée n’atteint pas, cependant, les niveauxa<strong>la</strong>rmants d’autres régions <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. L’extrême pauvretédéfinie comme <strong>la</strong> part <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion vivant avec moinsd’un dol<strong>la</strong>r par jour, ne dépasse pas en moyenne 3% alorsqu’elle est <strong>de</strong> 15% en Asie. Mais ce taux augmente fortementdès qu’on passe le seuil <strong>de</strong> 2 dol<strong>la</strong>rs par jour. Près <strong>de</strong> 45%<strong>de</strong>s Egyptiens sont concernés, soit un taux comparable àcelui <strong>de</strong> l’Asie.De fait, sur le p<strong>la</strong>n <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> vie, ces pays sontmarqués par <strong>de</strong> très gran<strong>de</strong>s inégalités sociales. Au Maroc,selon une estimation <strong>de</strong> <strong>la</strong> Banque Mondiale, 6 millions <strong>de</strong>personnes vivent avec moins <strong>de</strong> 1 dol<strong>la</strong>r par jour et 12millions sont « économiquement vulnérables » tandis queles 20% les plus riches s’octroient 55,4% <strong>de</strong>s revenus <strong>du</strong>pays. En Egypte, un tiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion vit sous le seuil<strong>de</strong> pauvreté, soit 32 millions d’Egyptiens sur 64 millions.Parmi ces 32 millions, 6 sont, selon un <strong>rapport</strong> publié en2002 par le Bureau International <strong>du</strong> Travail (BIT) considéréscomme «très pauvres». Les auteurs <strong>de</strong> ce <strong>rapport</strong>soulignent également <strong>la</strong> progression <strong>de</strong> <strong>la</strong> pauvreté dansles régions urbaines égyptiennes qui est passée <strong>de</strong> 39% en1990 à 48% en 1999. Parmi les pays <strong>du</strong> bassinméditerranéen, l’Egypte et le Maroc affichent les indices <strong>de</strong>pauvreté humaine les plus élevés, suivis <strong>de</strong> très près parl’Algérie, <strong>la</strong> Tunisie et <strong>la</strong> Syrie. À eux six, ces pays formentun ensemble homogène.Ces pays ont également en commun d’avoir connu unphénomène <strong>de</strong> migration <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions <strong>de</strong>s zones ruralesvers les villes. Pour ces ruraux, l’exo<strong>de</strong> est <strong>la</strong> réponse àl’impasse et aux privations. Mais trop souvent, cespopu<strong>la</strong>tions viennent rejoindre les rangs <strong>de</strong>s pauvres <strong>de</strong>svilles, et peser sur <strong>de</strong>s équipements collectifs déjà fragiles.Ainsi, les inégalités sociales présentes sur l’ensemble <strong>du</strong>territoire se retrouvent à plus petite échelle dans les centresurbains. Au sein <strong>de</strong>s villes méditerranéennes et plus encoreau sein <strong>de</strong>s métropoles, les clivages socio-économiquesentre les riches et les pauvres ne cessent <strong>de</strong> se creuser.Dans les villes, les popu<strong>la</strong>tions démunies font face à<strong>de</strong> plus nombreux risques que les citadins moyens enmatière <strong>de</strong> santé. La mortalité infantile est ainsi plusimportante dans les quartiers moins développés que dansles autres. De plus, l’analphabétisme touche <strong>du</strong>rement cesgroupes socialement défavorisés. L’accès aux servicessociaux comme l’é<strong>du</strong>cation est aussi inéquitable : le taux<strong>de</strong> sco<strong>la</strong>risation <strong>de</strong>s enfants issus <strong>de</strong>s quartiers difficiles107LES VILLESMEDITERRANÉENNESDIX ANS APRESBARCELONE
108LES VILLESMEDITERRANÉENNESDIX ANS APRESBARCELONEatteint un pourcentage guère plus élevé qu’en milieu rural.À ce<strong>la</strong> vient s’ajouter l’instabilité <strong>de</strong> l’emploi qui, chez lesplus démunis, est corrélée à une faible couverture sociale:au Maroc, en milieu urbain, 1% seulement <strong>du</strong> quintile leplus défavorisé est assuré contre 38,4% pour le quintile leplus riche. Les conditions <strong>de</strong> vie <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions pauvresen milieu urbain sont toutefois peu comparables à cequ’elles sont en milieu rural compte tenu <strong>de</strong> l’extrêmepauvreté qui caractérise ce milieu.Par ailleurs, malgré l’urgence <strong>de</strong> <strong>la</strong> situation, lessystèmes <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction ne réussissent pas à ré<strong>du</strong>ire lesinégalités sociales qui ten<strong>de</strong>nt, au contraire, à s’aggraver.Une étu<strong>de</strong> effectuée pour <strong>la</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> l’initiative20/20 8 au Maroc a révélé que <strong>la</strong> part <strong>de</strong>s dépenses publiquesallouées aux services sociaux <strong>de</strong> base se situait en moyenneà 17% au cours <strong>de</strong> <strong>la</strong> décennie 90, en dépit d’une politiquesociale renforcée, ce qui <strong>de</strong>meure re<strong>la</strong>tivement peu ets’avère par conséquent insuffisant pour ré<strong>du</strong>ire les écartsexistants entre les groupes sociaux. Au Liban, <strong>la</strong> situationest plus critique puisque les dépenses moyennes consacréesà ces services représentent seulement 8% <strong>de</strong>sdéboursements gouvernementaux.Une désagrégation <strong>de</strong>s formes traditionnelles<strong>de</strong> sociabilitéPendant longtemps, <strong>la</strong> pauvreté en Méditerranée n’a pasentraîné <strong>de</strong> phénomènes d’exclusion sociale simi<strong>la</strong>ires àceux rencontrés dans les pays européens <strong>du</strong> fait <strong>de</strong>l’existence <strong>de</strong> réseaux familiaux <strong>de</strong> solidarité encore trèspuissants. Cette solidarité s’exprimait également par lesrapatriements <strong>de</strong>s travailleurs étrangers qui, dans certainspays, sont, pour les familles, une source essentielle <strong>de</strong>revenus. Cette situation est en train <strong>de</strong> changer. Une <strong>de</strong>sconséquences <strong>de</strong> <strong>la</strong> brutale urbanisation a été, en effet, <strong>de</strong>faire éc<strong>la</strong>ter les anciens cadres <strong>de</strong> socialisation.La famille é<strong>la</strong>rgie, lieu jusque-là <strong>de</strong> toutes lessolidarités, se disloque et <strong>la</strong> cellule nucléaire conjugale atendance à se généraliser même si son autonomisation estfortement freinée par une crise <strong>du</strong> logement qui sévitpartout. L’évolution <strong>de</strong>s femmes dans les sociétés urbaines,très <strong>la</strong>rgement documentée par ailleurs, est, à cet égardsymptomatique. Mais cette mo<strong>de</strong>rnisation liée à <strong>la</strong>sco<strong>la</strong>risation et à l’urbanisation ne se tra<strong>du</strong>it que rarementdans <strong>la</strong> mise en œuvre <strong>de</strong> <strong>rapport</strong>s sociaux nouveaux auniveau <strong>de</strong> <strong>la</strong> famille, <strong>de</strong> <strong>la</strong> mixité <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie quotidienne ou <strong>du</strong>voisinage. Ce déca<strong>la</strong>ge se retrouve à tous les niveaux <strong>de</strong> <strong>la</strong>mo<strong>de</strong>rnisation et pro<strong>du</strong>it un phénomène <strong>de</strong> « brico<strong>la</strong>ge »et d’anomie généralisée. Se crée progressivement dans lesgran<strong>de</strong>s villes arabes une société plus instruite et pour unepart d’entre elles, plus riche mais extrêmement flui<strong>de</strong> où<strong>la</strong> débrouil<strong>la</strong>rdise voisine avec le militantisme, l’absentéismeavec le volontariat, l’indivi<strong>du</strong>alisme effréné avec ledévouement à <strong>la</strong> collectivité.Le secteur informel comme moyen <strong>de</strong> survieFace à une situation aussi incertaine, le secteur informeloffre une échappatoire. L’importance <strong>de</strong> l’ «économiesouterraine» dans ces pays est effectivement notablepuisque, à l’heure actuelle, 40 à 60 % <strong>de</strong>s actifs urbainsvivraient <strong>de</strong>s activités relevant <strong>de</strong> ce secteur. Les activitésinformelles concernent environ 45% <strong>de</strong>s actifs urbains enTunisie, environ 40% au Maroc et en Algérie, plus <strong>de</strong> 60%dans <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s villes comme le Caire ou Alexandrie. EnSyrie, à peine un tiers <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion urbaine active estformellement sa<strong>la</strong>riée. Dans un contexte <strong>de</strong> pauvretégénéralisée et <strong>de</strong> chômage croissant, les popu<strong>la</strong>tionsexclues se tournent vers l’informel pour survivre. Pour cescitadins en situation d’exclusion, «le secteur <strong>de</strong>s activitésinformelles joue un rôle irremp<strong>la</strong>çable d’intégrateururbain» 9 .Malgré les difficultés d’évaluation <strong>de</strong> ce phénomène,celui-ci échappant aux statistiques officielles, il est certainque <strong>de</strong> plus en plus <strong>de</strong> personnes survivent grâce à cesecteur même s’il ne leur procure généralement que <strong>de</strong>srevenus minimes, très irréguliers et <strong>de</strong>s emplois précaires.En dépit <strong>de</strong> ses inconvénients (travail intensif, marché nonréglementé, etc), l’économie informelle répond aux urgences<strong>de</strong> <strong>la</strong> société et offre une solution, aussi discutable soit-elle,aux défail<strong>la</strong>nces <strong>de</strong> l’autorité publique. Il est aussi une voiepour absorber l’impact <strong>de</strong>s chocs externes sur le marché<strong>du</strong> travail particulièrement importants en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong>mutation tendancielle <strong>de</strong> l’emploi public. Ce mécanisme asouvent, pour cette raison, été considéré comme moinsnégatif qu’il n’y paraît car il permet une certaine flexibilité.Cette «économie <strong>de</strong> survie» est même aujourd’huiofficiellement encouragée par <strong>de</strong> nombreux gouvernementsdans le cadre <strong>du</strong> développement <strong>du</strong>rable et comme soupape<strong>de</strong> sécurité face aux <strong>la</strong>cunes <strong>de</strong> l’emploi. C’est le cas parexemple à Amman où <strong>la</strong> municipalité soutient elle-mêmele commerce informel alimentaire par <strong>de</strong>s politiques d’appuivisant à garantir l’approvisionnement et <strong>la</strong> distributionalimentaire <strong>de</strong> <strong>la</strong> ville.Cependant, il reflète comme il entraîne unepaupérisation croissante <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion et celle <strong>de</strong> l’Etat.Il finit également par transformer les économies où ilconstitue une part importante <strong>de</strong> l’activité en économies à<strong>de</strong>ux vitesses. Enfin, le secteur informel n’ayant pas accèsau financement, il ne participe pas au processusd’accumu<strong>la</strong>tion qui est <strong>la</strong> seule réponse <strong>de</strong>s pays concernésen terme <strong>de</strong> développement.8 Cette Initiative 20/20, présentée lors <strong>du</strong> Sommet Mondial <strong>du</strong> Développement Social <strong>de</strong> Copenhague en 1995, appelle, d’une part, les pays en développement à accroître <strong>la</strong> part <strong>de</strong> leurbudget national affecté aux services sociaux <strong>de</strong> base en <strong>la</strong> faisant passer <strong>de</strong> 13% en moyenne à 20%, d’autre part, les pays in<strong>du</strong>strialisés à faire passer <strong>de</strong> 7% à 20% <strong>la</strong> part <strong>de</strong> l’ai<strong>de</strong>affectée aux mêmes fins.9Les Métropoles <strong>du</strong> Sud - J.-F. Troin . L’auteur a également créé en 1977 le centre URBAMA, <strong>la</strong>boratoire associé au CNRS et spécialisé dans l’étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l’urbanisation <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> arabe àl’Université <strong>de</strong> Tours.