LA GOUVERNANCEURBAINE EN QUESTIONUne évolution irréversibleLa notion <strong>de</strong> gouvernance urbaine se réfère à « un ensembled’institutions, <strong>de</strong> mécanismes et <strong>de</strong> processus au travers<strong>de</strong>squels les citoyens peuvent articuler leurs intérêts etleurs besoins, résoudre les conflits et exercer leurs droitset <strong>de</strong>voirs à l’échelon <strong>de</strong> <strong>la</strong> vie locale. 21 Les ingrédientsd’une « bonne gouvernance » sont multiples et <strong>la</strong>rgementconnus : participation <strong>de</strong>s citoyens, partenariat actif entreles différentes <strong>partie</strong>s prenantes à <strong>la</strong> vie locale, mise encapacité <strong>de</strong>s acteurs aux différents niveaux <strong>de</strong> <strong>la</strong> société,transparence et responsabilisation. L’objectif visé est celuid’une plus gran<strong>de</strong> efficacité <strong>de</strong>s services publics, avec uneattention particulière aux plus démunis. La décentralisationen est, pour cette raison, l’un <strong>de</strong>s moteurs essentiels.Or, pendant longtemps, <strong>la</strong> centralisation <strong>du</strong> pouvoir et<strong>du</strong> système <strong>de</strong> décision a été une caractéristique quepartageait l’ensemble <strong>de</strong>s pays méditerranéens. Tous les pays,même les plus décentralisés, ont , en effet, vécu, à un momentou à un autre <strong>de</strong> leur histoire, sous le joug d’une opinion selon<strong>la</strong>quelle un pouvoir central fort et tentacu<strong>la</strong>ire était le meilleurgarant <strong>de</strong> l’unité <strong>de</strong> <strong>la</strong> nation contre toute revendication locale.Cette centralisation a permis <strong>de</strong>s progrès considérables dansune phase initiale <strong>de</strong> développement à un moment où il fal<strong>la</strong>itagir vite et sur <strong>de</strong> nombreux fronts : é<strong>du</strong>cation, santé,logement, infrastructures <strong>de</strong> base. Les traces <strong>de</strong> cet état <strong>de</strong>fait sont encore visibles tant dans le découpage même <strong>du</strong>territoire que dans les compétences et l’autonomie concédéesaux différents niveaux <strong>de</strong> gouvernement. Mais au fil <strong>du</strong> temps,cette efficacité s’est émoussée sous l’effet <strong>de</strong> <strong>la</strong> pressiondémographique, <strong>de</strong> l’urbanisation rapi<strong>de</strong> et <strong>de</strong> <strong>la</strong> complexitécroissante <strong>de</strong>s services publics mo<strong>de</strong>rnes. Un mouvementprogressif <strong>de</strong> dévolution <strong>de</strong> compétences vers les villes a doncété amorcé et qui, bien qu’encore incomplet, apparaît <strong>de</strong> plusen plus comme irréversible.Le traitement <strong>de</strong>s questions urbaines à un échelonplus pertinent et plus proche <strong>de</strong> <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion, sans niveauintermédiaire, est l’aspect positif <strong>du</strong> mouvementdécentralisateur qui est en cours. Avec lui, c’est le rôle <strong>de</strong>sélus et <strong>de</strong>s exécutifs <strong>de</strong>s gouvernements locaux qui a étéaffirmé. En ce sens, elle est <strong>de</strong>venue une tendance lour<strong>de</strong><strong>de</strong>s sociétés méditerranéennes. Elle est synonyme <strong>de</strong>progrès démocratique et social et fait <strong>de</strong>s villes le principalétalon <strong>de</strong> mesure <strong>de</strong> <strong>la</strong> cohésion <strong>de</strong>s sociétés.Des conditionnalités lour<strong>de</strong>sToutefois cette évolution ne pourra se pousuivre qu’à <strong>de</strong>uxconditions :• La démocratisation est là indispensable : si lesgouvernements locaux ne sont pas élus parl’ensemble <strong>de</strong> leurs administrés, ceux-ci ne disposentpas <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> sanctionner les choix et lespolitiques locales.• La plus importante <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>ux conditions estl’amélioration <strong>de</strong> l’efficacité <strong>de</strong> <strong>la</strong> gestion publique,qui dépend cruellement : (i) <strong>de</strong>s possibilitésfinancières et <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré d’autonomie dont disposentles gouvernements locaux pour programmer leursinvestissements, (ii) <strong>du</strong> niveau <strong>de</strong> formation et <strong>de</strong>scapacités techniques <strong>de</strong>s élus et <strong>de</strong>s fonctionnaireslocaux, (iii) <strong>de</strong>s possibilités réglementaires qu’ont lesgouvernements locaux d’adapter leurs servicespublics à <strong>la</strong> réalité historique, géographique et sociale<strong>de</strong> leur territoire.Cette voie est, pour ces <strong>de</strong>ux raisons, plus difficile qu’iln’y paraît dans <strong>la</strong> mesure où ce processus <strong>de</strong>décentralisation appelle une réforme simultanée <strong>de</strong>l’ensemble <strong>de</strong>s structures, <strong>de</strong>s institutions et <strong>de</strong> <strong>la</strong>conception même <strong>de</strong> l’EtatAujourd’hui, les villes <strong>de</strong> <strong>la</strong> Méditerranée se trouventdonc dans une pério<strong>de</strong> transitoire <strong>de</strong> recomposition dans<strong>la</strong>quelle <strong>de</strong>ux logiques se font concurrence : <strong>la</strong> logiquetraditionnelle qui puise ses racines dans l’organisationétatique héritée <strong>du</strong> passé et qui s’exprime à travers uneadministration puissante, et une logique plus mo<strong>de</strong>rne dontles fon<strong>de</strong>ments se trouvent dans <strong>la</strong> séparation <strong>de</strong>s pouvoirs,<strong>la</strong> transparence et le respect <strong>de</strong>s lois. Cette <strong>du</strong>alité marque<strong>la</strong> situation actuelle <strong>de</strong>s systèmes politiques et <strong>la</strong> marche<strong>de</strong>s Etats, au point que le système <strong>de</strong> gouvernance, commeles structures politiques, nécessitent en permanence unedouble lecture.C’est dire que <strong>la</strong> problématique <strong>de</strong> <strong>la</strong> gouvernance estau carrefour <strong>de</strong> l’ensemble <strong>de</strong>s réformes à con<strong>du</strong>ire pourfaire évoluer les pays et, qu’au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong>s aspects techniques,elle dépend <strong>la</strong>rgement <strong>de</strong> l’évolution <strong>du</strong> cadre institutionnelet politique.21 Définition <strong>de</strong> l’UNDP.113LES VILLESMEDITERRANÉENNESDIX ANS APRESBARCELONE
LA DÉCENTRALISATION : UNMOUVEMENT ENCORE RELATIF ÀPOURSUIVRE ET À MAÎTRISEREn Méditerranée comme ailleurs, <strong>la</strong> ville a, <strong>de</strong> tout temps,été considérée comme l’unité administrative <strong>de</strong> base <strong>de</strong>l’organisation <strong>de</strong> l’Etat. Mais jusqu’à une pério<strong>de</strong> récente,l’Etat central était responsable <strong>de</strong>s principaux servicespublics ren<strong>du</strong>s à <strong>la</strong> popu<strong>la</strong>tion. Une évolution historiques’est opérée à partir <strong>de</strong>s années 80 qui a con<strong>du</strong>it à transféreraux communes une <strong>partie</strong> <strong>de</strong> ces prérogatives. Ce transfert<strong>de</strong> pouvoirs s’est accompagné <strong>de</strong> nouvelles missionsconfiées aux collectivités locales qui embrassent <strong>de</strong>sdomaines d’activités éten<strong>du</strong>s : distribution <strong>de</strong> l’eau potable,assainissement, collecte et traitement <strong>de</strong>s déchets, voirie,transports publics, habitat social, santé, protection <strong>de</strong>l’environnement, etc. Des dévolutions importantes ont été,en particulier, accordées aux gran<strong>de</strong>s villes où lesproblèmes étaient les plus urgents. Mais dans <strong>la</strong> pratique,ce mouvement s’est heurté à <strong>de</strong>s difficultés qui en ont limité<strong>la</strong> portée. La réalité <strong>de</strong>s compétences communales enmatière <strong>de</strong> gestion repose, en effet, gran<strong>de</strong>ment sur leursressources humaines et financières. Or, dans toutes lesvilles méditerranéennes, l’écart entre besoins et ressourcesreste important. En particulier face à l’ampleur <strong>de</strong>sinvestissements requis, les ressources autonomes <strong>de</strong>s villessont loin d’être suffisantes.Une culture administrative centralisatriceLorsque les pouvoirs publics ont décidé <strong>de</strong> revoir le systèmeadministratif, ils se sont rapi<strong>de</strong>ment trouvés face à uneadministration centrale très puissante et extrêmementactive, qui influait <strong>de</strong> différentes manières, non seulementsur <strong>la</strong> con<strong>du</strong>ite <strong>de</strong>s affaires mais aussi sur les collectivitéset sur <strong>la</strong> vie <strong>de</strong>s popu<strong>la</strong>tions. Cette forte cultureadministrative, centralisatrice, a été confortée par l’absence<strong>de</strong> niveaux décentralisés intermédiaires entre le niveaucentral et le niveau communal. Les Provinces, Wi<strong>la</strong>yas,Gouvernorats, Muhafazates sont d’abord <strong>de</strong>s niveaux <strong>de</strong>déconcentration. Hormis le cas d’Israël, <strong>la</strong> seule véritabletentative <strong>de</strong> création d’un niveau intermédiaire décentraliséest marocaine. Une collectivité locale régionale, dotée <strong>de</strong><strong>la</strong> personnalité et <strong>de</strong> l’autonomie financière a été instauréeen 1997. Et cette tentative reste limitée <strong>du</strong> fait <strong>de</strong>s trèsfaibles ressources financières concédées aux régions et <strong>du</strong>pouvoir que conserve le Gouverneur <strong>du</strong> chef-lieu <strong>de</strong> <strong>la</strong>région. Celui-ci exécute les décisions <strong>du</strong> Conseil régional,est investi <strong>du</strong> rôle d’ordonnateur <strong>du</strong> budget régional, et lesprési<strong>de</strong>nts élus <strong>de</strong>s conseils ne disposent que d’un visa surles décisions <strong>du</strong> représentant nommé par l’Etat.Même si les villes apparaissent comme le plus haut<strong>de</strong>gré <strong>de</strong> décentralisation, l’exécutif municipal est souventp<strong>la</strong>cé sous <strong>la</strong> tutelle <strong>de</strong>s niveaux déconcentrés <strong>de</strong> l’Etat(Wallis, gouverneurs, etc), c’est-à-dire indirectement sousle contrôle <strong>de</strong> l’Etat central. Si les modèles <strong>de</strong>décentralisation se rapprochent <strong>de</strong> ceux rencontrés enEurope, les types <strong>de</strong> contrôles auxquels sont soumises lescollectivités diffèrent plus radicalement : peu d’entitésautonomes <strong>de</strong> contrôle et une tutelle <strong>de</strong> l’Etat central.Une autre faiblesse <strong>de</strong> <strong>la</strong> structuration politique etadministrative territoriale <strong>de</strong>s pays méditerranéens est <strong>la</strong>faible représentativité <strong>de</strong>s niveaux intermédiaires entre l’Etatet les organisations communales (Régions, Provinces). Cettesituation, sans gran<strong>de</strong> conséquence pour les gran<strong>de</strong>sagglomérations métropolitaines, constitue un véritablehandicap à l’autonomie <strong>de</strong>s villes moyennes et <strong>de</strong>s petitescommunes qui, en l’absence <strong>de</strong> structures <strong>de</strong> regroupement,se retrouvent entièrement sous <strong>la</strong> coupe <strong>de</strong> l’Etat. L’exempleméditerranéen montre ainsi que le centralismes’accommo<strong>de</strong> mieux d’une administration locale que <strong>de</strong>l’existence <strong>de</strong> niveaux intermédiaires décentralisés.Un empilement <strong>de</strong>s pouvoirs <strong>de</strong> décisionLe mouvement <strong>de</strong> décentralisation se heurte également à<strong>la</strong> confusion institutionnelle créée par <strong>la</strong> superposition <strong>de</strong>différents niveaux <strong>de</strong> pouvoir sans véritable souci <strong>de</strong>rationalisation.La gestion <strong>du</strong> secteur public est, en effet, aujourd’huicaractérisée par l’éparpillement <strong>de</strong>s centres <strong>de</strong> décisionqui engendre une confusion <strong>de</strong>s responsabilités. Même si<strong>la</strong> participation <strong>de</strong>s différents niveaux <strong>de</strong> pouvoir sur lesquestions urbaines est réelle (ex: Capacity 21 au Liban), <strong>de</strong>sobstacles à <strong>la</strong> décentralisation sont apparus. En effet,lorsque <strong>de</strong>s prérogatives attribuées aux municipalités sonttrop importantes par <strong>rapport</strong> à leurs capacités financièreset techniques, une inadéquation et un blocage voient le jour.De nombreux échelons interviennent lors <strong>de</strong> <strong>la</strong> mise enœuvre d’une décision qui <strong>la</strong> ralentissent et l’affaiblissent,le niveau ultime ne sachant souvent vers qui se tourner pourobtenir <strong>de</strong>s explications ou établir un recours.En outre, lorsque <strong>la</strong> décentralisation <strong>de</strong>s compétencesdites traditionnelles <strong>de</strong>s Communes ne s’est pasaccompagnée <strong>de</strong>s pouvoirs financiers correspondants, l’Etat,à travers les Offices Nationaux et/ou les EtablissementsPublics, a conservé toutes ses prérogatives en matière <strong>de</strong>gestion. La décentralisation y a per<strong>du</strong> <strong>de</strong> sa visibilité et <strong>de</strong>sa crédibilité politique. La carte <strong>de</strong>s compétences, et donc<strong>de</strong>s responsabilités, est ainsi <strong>de</strong>venue incompréhensiblepour le citoyen qui persiste à penser que <strong>la</strong> nation touteentière ne s’est pas donnée les moyens d’une meilleure114LES VILLESMEDITERRANÉENNESDIX ANS APRESBARCELONE