arrivé avant-dernier au Parc des Princes. En effet, l'Anglais qui était derrière lui auclassement général voulait absolument effectuer le tour d'honneur comme dernier duTour de France après la dernière étape. Sitek n'avait donc pu terminer l'épreuve qu'avantdernier.Au début du mois de janvier 1957, le conseil municipal de Barsac au grand complet,entouré des enfants des écoles, me reçut donc à la mairie. Il faut préciser que monsieurBernadet n'avait convié que les plus âgés des enfants ; vraisemblablement pour éviterque, chez les plus jeunes, l'envie de satisfaire des besoins aussi pressants que naturels necrée la foire permanente au cours de cette cérémonie intime.Monsieur le maire tint à mon adresse des propos élogieux et flatteurs qui mecomblèrent d'aise. Il me cita en exemple aux jeunes présents autour de moi ; j'étaisheureux, voire fier.A mon tour, je me levai, je remerciai monsieur Bernadet et demandai aux jeunesbarsacais de reprendre mon flambeau, les assurant que la recherche d'aujourd'hui était leplus sûr garant du progrès de demain. Le conseil municipal m'offrit ensuite un portedocumentfantaisie très élégant. Un vin d'honneur suivit.Cette cérémonie communale semblait terminée, lorsque le journaliste mandaté par unjournal régional vint prendre une photographie de cette aimable manifestation.Le lendemain, photo à l'appui, un compte rendu succinct parut dans la rubrique locale.Comme il fallait le prévoir, un autre journaliste, attaché à la direction, vint ensuitem'interviewer. Je tins peut-être des propos un peu trop lyriques sur l'avenir des composésorganosiliciés et sur les travaux effectivement réalisés à ce jour au laboratoire. De plus,j'avais omis de demander au journaliste de me montrer le texte de l'article avant saparution.Deux jours après, un article à sensation avec une entête barrant toute la troisièmepage parut dans le journal : " Un chimiste bordelais veut revaloriser le sable des Landes."Le style de l'article était de la même mouture. Dans la dernière phrase, les souhaits lesplus vifs étaient formulés pour que le prix Nobel vint récompenser des travaux aussiprometteurs.Le Doyen Brus reçut aussitôt des appels téléphoniques de semonce de nombreuxindustriels de la région bordelaise. Ils disaient en substance " qu'il était inadmissible devouloir revaloriser la sable des Landes avant d'avoir revalorisé la résine des pins ".Il faut rappeler que le Doyen Brus, lors de mon entrée à l'Ecole de chimie, m'avaitconseillé de faire autre chose que de la recherche en chimie. Il me fit savoir incidemmentque vouloir obtenir le prix Nobel par le seul fait que j'avais obtenu un petit prix françaistirait sur la fanfaronnade. A Bordeaux, personne, pas même le grand Dupont, qu'il avaitremplacé après son départ à Paris, ne l'avait obtenu. Mes chances de lancer cette mode àBordeaux (comme à Berckeley où déjà quinze prix Nobel avaient été décernés) étaientvraiment minimes.J'acquiescai avec politesse. Néanmoins, je retins comme très valable son conseil detoujours demander aux journalistes de relire les articles me concernant avant parutiondans la grande presse.Les mois de janvier, février et mars 1957 furent franchement pénibles pour moi. Je mesentais traumatisé de m'être laissé déborder par quelques journalistes trop avides desensationnel.
- 3 -LE D.N.1.Au mois d'avril 1957, mon ami Mirande, qui était chef de clinique en ophtalmologie, memit en relation avec un de ses amis.Celui-ci avait près de trente cinq ans, mais n'avait pas encore soutenu sa thèse, bienqu'il eût terminé sa sixième année de médecine depuis fort longtemps. Ce chercheur àl'esprit curieux travaillait dans de nombreux domaines. Lorsque je le connus, il cherchaitavec un ingénieur agronome un composé chimique pour arrêter la pousse des bourgeonsdes plants de tabac.L'huile de paraffine donnait de bons résultats. Il vint me voir pour me demander ce queje pensais de l'emploi éventuel des huiles de silicones en ce domaine.Je formulai un avis très favorable. Des essais eurent lieu. Les résultats furent jugés trèsencourageants. Mais il parut souhaitable d'utiliser une solution, beaucoup plus fluide. Ilavait en sa possession un échantillon de silanolate de potassium de fabricationindustrielle. Il me demanda de lui préparer une solution stable à pH voisin de 7 pourappliquer sur les couches sous-somatiques de plantes. Je préparai une telle solutionaqueuse par addition d'un acide organique : l'acide ascorbique.Comme il utilisait épisodiquement le microscope électronique 7 d'un institut derecherche anticancéreux, je lui demandai d'essayer dans cet institut ce produit quej'appelai le D.N.1 (Duffaut Norbert n° 1) sur des rats ayant reçu une greffe cancéreuse T8. Il me donna l'assurance que ce serait fait rapidement, puisque l'acide ascorbiquepourrait avoir un rôle bénéfique sur les cellules cancéreuses (!!). Le rôle des composésorganosiliciés, nous n'en parlions même pas. Dans le cas le plus favorable, ils ne devaientjouer qu'un rôle de véhicule subalterne.Avril, mai, juin se passèrent sans qu'il me donnât le résultat de l'expérimentation. Il mefaisait toujours des promesses. Il me parlait de travaux en cours, de recherches sur lepoint d'être entreprises, mais jamais de résultats précis. Il émoussait ma patience tant ilfaisait miroiter des perspectives alléchantes pour des essais sur les rats cancéreux.Ma patience me faisant défaut, j'appelai par téléphone le chef de service de l'instituten question et appris que l'expérimentation n'avait jamais été entreprise. Comme lepseudo-expérimentateur n'allait jamais dans cet établissement, les résultats n'étaient pasprêts à être publiés!!! Ma consternation fut grande et ma déception amère.La Providence voulut qu'à cette époque je rencontre incidemment un chef de cliniqueen radiologie. Je le connaissais depuis de nombreuses années mais je ne le voyais plusdepuis quelques mois. Je lui exposai mes projets de faire expérimenter mon D.N.1 encancérologie. " Viens donc voir le patron ", me dit-il.Le rendez-vous fut pris. Je comparus devant le patron, le chef de clinique ami, desagrégés hostiles, des internes goguenards et quelques étudiants faisant leur spécialitéattentifs mais sceptiques.Dans mon exposé, ignorant tout sur le cancer, je m'accrochais tant bien que mal auxpropriétés réductrices de l'acide ascorbique, à l'abondance de silicium sur terre. Ce futpratiquement un monologue. Le patron, très savant en physique mais beaucoup moins enchimie, hochait la tête ou obtempérait du chef de temps en temps. Je ne savais commentanalyser la situation. N'étant pas interrompu, je poursuivais mes propos dans unbrouillard épais, essayant de faire de temps en temps un peu d'esprit pour dériderl'agrégé de radiologie à l'aspect sinistre responsable d'innombrables décès.Finalement, le patron autoritaire prit la parole et me dit que je venais de tenir despropos qui étaient tout à fait en harmonie avec les idées du temps !!!" Kakao ", surnom folklorique d'un interne du service que je connaissais également,mais qui n'avait pas osé intervenir en ma faveur au cours de mon exposé, fut désignépour commencer l'expérimentation du D.N.1.Entre temps, des essais de toxicité sur les rats avaient démontré que mon produit était7 Il s'agit bien entendu d'un microscope électronique à transmission, et non à balayage (N.D. LLR)