Journal ASMAC No 3 - Juin 2016

POINT DE MIRE ▶ MYSTÈRE
«La tête pleine d’idées saugrenues»
Pour elle, un jour n’est pas seulement une unité de temps, mais aussi une broderie à fils tirés.
Grand-maître des mots croisés cryptiques, Trudy Müller-Bosshard conçoit depuis plus de 20 ans
des casse-têtes pour le «Magazin» du «Tages-Anzeiger». Elle s’efforce de garder ses distances
avec sa grande communauté d’adeptes.
Catherine Aeschbacher, rédactrice en chef du Journal ASMAC s’est entretenue avec Trudy Müller-Bosshard.
Aujourd’hui c’est jeudi, depuis
quand les mots croisés pour
le prochain «Magazin» sont-ils
prêts?
Trudy Müller-Bosshard: Actuellement,
j’ai une petite avance d’environ cinq
jours. Mais c’est plutôt une exception.
Normalement, je vis au jour le jour et ne
dépose mon énigme que rarement avant
le délai prévu.
Combien de temps vous faut-il
pour concevoir une grille de
mots croisés?
Cinq jours; un jour étant réservé à la recherche
de mots, etc.
Biographie express
Trudy Müller-Bosshard (née en 1947) est journaliste et
auteure de mots croisés. Ses mots croisés paraissent depuis
1993 dans le «Magazin» du «Tages-Anzeiger». Durant
son temps libre, elle se consacre à son autre passion:
le tricot. Elle confectionne des bonnets et chauffe-poignets
pour sa propre marque «Blingding!».
Comment procédez-vous
concrètement?
D’abord, j’établis la grille. Cela me prend
quatre à cinq heures. La définition des
termes prend le plus de temps. Une grille
comprend en moyenne 45 termes et je ne
peux pas élaborer plus de 15 définitions
par jour. Au final, tout doit être contrôlé
et, le cas échéant, corrigé.
Pour commencer, vous vous
basez donc sur les mots?
Oui, mais ils doivent bien sûr entrer dans
la grille. C’est-à-dire que je cherche
d’abord des mots comptant 16 lettres.
Après quelques mots, les choses s’enchaînent
d’elles-mêmes.
Comment trouvez-vous les
termes? Avez-vous développé
un instinct de chasse?
Oui, si vous voulez. En général, j’ai une
énigme en tête et je me réjouis quand je
trouve des mots ambigus. Prenez par
exemple «décharge», vous pensez à un
dépôt d’ordures alors qu’il pourrait s’agir
de toute autre chose... Bien évidemment,
je ne tombe pas tous les jours sur de telles
trouvailles. Probablement qu’il faut avoir
la tête pleine d’idées saugrenues pour les
découvrir. Mais peut-être qu’il s’agit tout
simplement d’un don d’être capable de
voir également le deuxième degré.
De quels outils avez-vous
besoin pour crypter les
questions?
Pour des thèmes qui n’appartiennent pas
aux connaissances générales, je dois effectuer
des recherches approfondies. Cela rend
mon travail très intéressant. Avant Internet,
on consultait d’innombrables ouvrages
de référence ou son réseau personnel.
Il me semble qu’autrefois, la recherche
allait quand même plus vite. Aujourd’hui,
la masse des informations nous égare. Le
soir, j’ai parfois l’impression que ma tête
ressemble à un dépotoir.
Quand vous étiez enfant, quels
étaient vos jeux favoris?
La lecture a toujours compté parmi mes
occupations préférées. Le fait de savoir lire
à l’âge de 5 ans m’a été fort utile. A cet âge,
j’ai attrapé la coqueluche et j’ai été
contrainte de passer plusieurs semaines
en quarantaine loin de la maison. De plus,
j’aimais peindre et dessiner et construire
des maisons avec une sorte de Lego.
Est-ce qu’on résolvait des mots
croisés chez vous?
Non, pas du tout. Dans la maison parentale,
il n’y avait pas de mots croisés et
pour ainsi dire aucun livre. Je devais donc
me rendre à la bibliothèque communale
et plus tard à la bibliothèque de la paroisse.
Là-bas, on ne pouvait emprunter
des livres que si on lisait une légende de
saint et qu’on arrivait à la répéter ensuite
(elle rit).
Comment êtes-vous devenue
cruciverbiste?
J’ai toujours aimé résoudre des énigmes.
Autrefois, j’étais abonnée au journal «Die
Zeit», la seule publication de langue allemande
qui contenait un mot croisé particulièrement
difficile. Plus tard, je suis
devenue rédactrice en chef du magazine
satirique «Aha!» et je tenais absolument
à y publier un mot croisé. Je me suis mise
à la recherche d’une personne susceptible
de concevoir une grille pour notre journal.
En Suisse, je n’ai trouvé personne. En Allemagne,
j’ai eu droit à des réponses méprisantes
associées à des prétentions en
honoraires exorbitantes. J’ai donc moimême
commencé à bricoler des mots
croisés. Déjà à l’époque, je m’imaginais
pouvoir faire ce travail à plein temps.
Quel avait été votre parcours
professionnel jusque-là?
Après la maturité commerciale, je suis
partie pour deux ans à Londres où je voulais
devenir chanteuse de rock. Mais le dur
N o 3 Juin 2016
VSAO JOURNAL ASMAC
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