Spectrum #1 2018
You also want an ePaper? Increase the reach of your titles
YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.
TRIBUNE<br />
« La punition du virtuel :<br />
témoignage d’un antagoniste »<br />
Nombreux sont les homoncules qui, lors d’une<br />
conversation whatsapp, facebook (etc.), s’offusquent<br />
quand le « trou du cul » ou la « salope »<br />
ne répond pas depuis deux jours à un message.<br />
Il s’avère que ces mêmes personnes reproduisent<br />
exactement les mêmes actes avec d’autres individus<br />
qui réitèrent le processus… Que ressentezvous<br />
quand l’interlocuteur ne vous répond pas,<br />
ou qu’il ne vous répond que trop brièvement au<br />
bout de 5 jours ? De la frustration, de l’incompréhension<br />
?<br />
Il me semble que beaucoup d’êtres humains, peu<br />
importe la taille du sexe ou l’âge du corps caverneux,<br />
subissent et font subir ce qui constitue, selon<br />
Frédéric Beigbeder (à juste titre), une forme<br />
d’esclavagisme du 21 ème siècle. Et tout ceci rejoint<br />
le virtuel. On sélectionne celles et ceux à qui on<br />
accorde le plus et le moins d’importance, on<br />
punit les gens qui ne méritent pas de voir notre<br />
gueule dans le monde réel. Facebook, Snapchat,<br />
Instagram (etc.) sont devenus des plateformes où<br />
l’on met en avant notre narcissisme grâce à des<br />
selfies, ces derniers résultant d’une multitude de<br />
positions foireuses avant la photo « parfaite ». Et,<br />
la plupart du temps, les « quotes » que l’on écrit<br />
sur la légende de la photo n’ont aucun rapport<br />
avec l’image où l’on montre nos abdos, nos muscles,<br />
nos fessiers lors de certaines séances d’esthétique<br />
de bas étage. On cherche à amasser des<br />
« likes » de la part de gens que l’on ne fréquente<br />
même pas en temps normal, tout cela pour se<br />
conforter dans notre pure beauté spéculative. Et<br />
ce phénomène de foire touche aussi bien les filles<br />
que les garçons !<br />
Oui… l’être humain de l’ère virtuelle devient un<br />
piètre individu à la macabre expression.<br />
Oui… le virtuel devient une barrière destructrice<br />
pour les peureux qui redoutent le contact<br />
humain. Oui… le virtuel est une source d’isolement.<br />
Oui… je fais partie de ces « trous du cul »<br />
et de « ces salopes »… Oui… je suis un esclave et<br />
oui… je suis VOUS !<br />
Anonyme<br />
J’ai vu un film…<br />
Mise en contexte. Quelqu’un te raconte<br />
quelque chose. Quelque chose de triste.<br />
Dramatique. Terrible. Bref, tu n’as vraiment<br />
pas envie d’imaginer ne serait-ce qu’une seule<br />
seconde que cela puisse faire partie de ta vie.<br />
Et quand je dis vraiment pas, je veux dire que si<br />
tu as le choix entre ça et adopter une colonie de<br />
cafards, tu vas commencer à réfléchir aux petits<br />
noms que tu vas bien pouvoir leur donner. Bref.<br />
Cette personne te raconte un truc horrible. Ça<br />
la touche, mais de loin seulement, genre ce truc<br />
horrible est arrivé à la belle-fille de la voisine.<br />
Mais tu vois, c’est quand même la belle-fille de<br />
sa voisine. Donc elle se sent quand même un<br />
peu concernée. Et toi, tu te retrouves comme un<br />
pauvre con à t’apitoyer sur les malheurs terribles<br />
de quelqu’un dont tu te contrefiches. Mais bon, si<br />
la personne avec qui tu causes se sent concernée,<br />
tu te sens obligé de compatir à moitié. Parce que<br />
l’humanité, l’amour de son prochain, bla, bla,<br />
bla. Bref. Du coup, il va falloir que tu dises un<br />
truc. Truc qui va devoir remplir une liste de critères<br />
absolument incommensurable pour pouvoir<br />
être considéré comme socialement acceptable.<br />
Être gentil, réel, ne pas être un mensonge<br />
pour toi, histoire que tu réussisses à rester un minimum<br />
sincère, montrer bien plus de pitié que ce<br />
que tu souhaites réellement exprimer et surtout,<br />
ne pas être hors-sujet. Sauf que les malheurs des<br />
gens ne concernent généralement pas des sujets<br />
passionnants. Et d’où est-ce que tu sors le peu de<br />
références que tu as sur des sujets chiants ? De ta<br />
quasi-absence de culture générale. Oui, d’un film<br />
plus ou moins réussi que tu as regardé en entier<br />
parce que tu t’ennuyais tellement dans ta vie que<br />
tu as eu la flemme de zapper. Et c’est ainsi que tu<br />
réduis tous les malheurs du monde à néant en<br />
une seule petite phrase. « Ah oui, j’ai vu un film<br />
là-dessus une fois… » Bravo. La prochaine fois,<br />
laisse tomber. T’as le droit tu sais ? Les conventions<br />
sociales sont faites pour être transgressées<br />
et le malheur des autres pour être ignoré.<br />
Lydiane Lachat<br />
Prenez la parole et envoyez vos productions à : redaction@spectrum-unifr.ch<br />
18 02-03.<strong>2018</strong>