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Actuel 20

- Minna Resnick - Danièle Aron - Eddy Dumont - Engin Ensen - Éric Fourmestraux - Judith Rothchild - Julian Lemousy - Philippe Tardy - Veronica Odén - Olivia Quintin - La Gravure Originale - FIG Bilbao Print Festival - Beirut Printmaking Studio

- Minna Resnick
- Danièle Aron
- Eddy Dumont
- Engin Ensen
- Éric Fourmestraux
- Judith Rothchild
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- Philippe Tardy
- Veronica Odén
- Olivia Quintin
- La Gravure Originale
- FIG Bilbao Print Festival
- Beirut Printmaking Studio

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Ce qui ravit aussi, c’est qu’on retrouve,

par la mise en couleurs de ces planches, avec

leurs teintes de bleu et de terre de Sienne,

ou d’ocre jaune (que permet l’utilisation de fins

papiers aquarellés et contrecollés), un écho

d’Hercules Seghers, et plus largement

de la gravure hollandaise pour la représentation

de vastes espaces, d’un Johannes Ruischer

par exemple ; un écho qui est sans doute

hommage et désir de s’inscrire dans une

tradition, et non, comme on le voit aujourd’hui,

volonté de « revisiter » ou de « se confronter

avec » ou de « questionner » les grands

devanciers.

Mais, dans ces espaces étrangement

silencieux, on découvre que poussent

des germes d’inquiétude.

L’atelier est austère, « monacal », dit Philippe

Tardy lui-même : une table de travail, une presse,

des étagères ou des espaces de rangement

pour le papier, l’eau-forte, les pigments,

les outils… Rien de confortable.

Raison, ordre et simplicité. De rares fenêtres

ouvrent sur un horizon rapproché et borné

d’arbres ou de murs. Ici, point de distraction.

Point d’ouverture à l’extérieur. L’ouverture

se produit dans la planche de cuivre :

trente centimètres dessinent un panorama,

un centimètre carré suffit à montrer maisons

et habitants. La planche et le travail rassurent,

mettent à portée de pointe le monde

qu’il a souvent parcouru, ce dont témoignent

les titres de ses gravures ; la mer, les estuaires,

les plaines s’ouvrent, là, devant soi, sous

la loupe. Mais on comprend aussi qu’il dise

redouter le danger de se perdre dans le détail,

dans le tracé de cet infiniment petit, sous l’effet

d’une fascination jouissive, mais qui enferme

autant que l’atelier lui-même. Et puis, l’infiniment

grand de l’espace des gravures s’enrichit

et se trouble sous l’effet de la multiplication

de minuscules dessins que la pointe fait surgir,

avec drôlerie parfois, ou de tracés légers d’une

inquiétante étrangeté : dans le ciel vide d’un

paysage apparaissent bien sûr des oiseaux,

des traces de nuages, mais aussi un chapeau

emporté par le vent, une montgolfière,

une silhouette en pleine course ou à quatre

pattes, un mot même ici ou là tendu comme

une bannière, ou un animal fantastique et

d’autres signes encore répétés et mystérieux…

À tel point que la sérénité apparente

de ces paysages paraît finalement

à l’observateur, muni d’une loupe lui aussi,

beaucoup plus relative, comme perturbée

par cette floraison de signes graphiques

inattendus, d’autant que les hommes y sont

rares, voire absents. Et que la danse macabre

fait aussi partie des sujets du graveur.

Dans cette efflorescence d’anomalies infimes,

Philippe Tardy n’exprime-t-il pas un effroi

métaphysique devant un univers finalement

vide ? Ces si beaux paysages figés et froids

ne sont-ils pas le signe d’une colère rentrée

devant une nature admirée mais si mal habitée ?

Dans ces foules d’individus toujours solitaires

– hommes, mais aussi oiseaux et animaux,

et même arbres – n’y a-t-il pas une image

désespérante de la condition humaine ?

Mais le lent et patient travail du graveur

et la gravure elle-même, par la beauté qu’elle

communique, sont les moyens de conjurer

inquiétude, révolte et pessimisme. Il avait intitulé,

dit-il, sa première gravure La Résurrection

manquée ; aujourd’hui, deux ou trois décennies

plus tard, l’estampe en général est visiblement

pour lui le moyen d’une résurrection réussie.

Le mot qui résume Philippe Tardy, c’est

finalement « résistance » : il résiste aux tentations

du repli sur soi, il résiste à l’enfermement dans

le détail ; il résiste au pessimisme possible ; enfin,

il résiste aux ruptures qu’on peut voir à l’œuvre

dans beaucoup de pratiques contemporaines,

en choisissant le paysage – ce genre si décrié –,

en conservant des formats modestes,

en essayant de traduire la beauté du monde,

ce gros mot de « l’art contemporain ». Qu’il en

soit remercié ! Bienheureuse la célébration du

monde à laquelle il se livre, en s’opposant

à ses démons et à ceux du monde tout entier.

Philippe Brunel, collectionneur

Philippe Tardy est né en 1960.

Il vit et travaille à Oullins, en région lyonnaise, où il se

consacre à la gravure en taille-douce depuis 1986.

Il est membre de l’association Empreinte à Lyon.

www.rhonestampe.fr/2016/03/31/philippe-tardy-ou-larésurrection-réussie/

www.philippetardy.com

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