ENQUÊTE C’était ça le quotidien à la Goberville : le tir ? Daniel : C’est notre vie. Mon frère, sa femme, leur fille en étaient aussi. Mon ex-femme et moi changions les couches des filles sur les stands de tir ! Mais je leur ai toujours dit : c’est un investissement, non un sacrifice. Quoi qu’elles fassent, le tir restera un support de valeurs. Céline : Pour prendre une décision, le tir a toujours eu ma priorité. Comment avez-vous vécu l’entraînement en famille ? Sandrine : Ma sœur et moi, on est toujours contentes l’une pour l’autre sans rivalité, à s’encourager mutuellement. Je ne crois pas que ce soit inné chez nous. J’estime surtout avoir été bien conseillée dès le début, pour adopter les bons comportements, physique et mental. Céline : Me faire entraîner par mon père s’est fait naturellement. C’est un avantage : j’ai une confiance aveugle dans ce qu’il me dit. Je ne suis pas toujours d’accord mais j’ai suffisamment confiance pour mettre mon cerveau sur off et suivre ce qu’il me dit. Il me connaît par cœur, il sait me lire. Quand on perd en lucidité sous l’émotion, les paroles d’un coach qui vous connaît sont assez percutantes pour changer d’attitude. Ya-t-il des limites ? Aurore : C’est par ma passion du tir que j’ai rencontré mon mari Daniel. Je me suis formée aux neurosciences et à l’hypnose, cruciale dans la préparation mentale pour accompagner Sandrine et Céline, mes belles-filles. J’accompagne ma fille Annabelle sur le plan de ses objectifs, de ses mécanismes d’attention, mais pour l’accompagnement purement thérapeutique, je l’ai adressé à une collègue afin qu’elle se sente plus libre de s’exprimer. Et quand les choses changent, comment s’adapter ? D.R. Céline : Lorsque ma sœur a dû stopper net sa carrière, ça a été un choc. On l’a accompagnée au mieux. Et plutôt que d’arrêter, j’ai poursuivi, pour elle. Elle a eu la motivation et la gentillesse de continuer de s’entraîner avec moi, malgré tout, deux fois par semaine. Ça a été dur au début, d’être seule en compétition là où nous étions un duo. J’ai dû changer ma manière d’être au sein du groupe. Sandrine : Je m’identifiais en tant que tireuse Goberville de haut niveau. Sans le soutien de ma famille, je serais partie en dépression. J’ai continué de m’entraîner avec Céline, pour que mon départ ne l’affecte pas, et parce que j’avais encore des choses à aller chercher. Aujourd’hui, Céline a eu du mal à prendre son ticket pour les Jeux de Paris, c’est frustrant mais elle a un mental d’acier et rebondit vite. Les Goberville, on ne se cherche pas d’excuse. Là c’est la maladie, il faut l’accepter pour enchaîner le plus vite possible. C’est aussi ça notre force, cette résilience pour chercher des solutions. Vous aviez prévu de tracer votre route en fonction du tir ? Céline : Je ne me suis jamais dit que je voulais avoir la vie de mes parents, faire du haut niveau et grimper. C’est venu naturellement. Avec ce cadre familial-là, des parents qui savaient comment ça fonctionnait, ça a été très rapide de monter. J’ai pu être détectée rapidement grâce à mon père qui a insisté. Mais mon ambition s’est construite seule, même « tardivement », j’avais 9 ans ; ma sœur, ça s’est fait à 6 ! D.R. Ça ne vous a jamais fait peur ? Daniel : C’est un sport très formateur pour la personnalité, en termes de gestion des émotions, pour les études, le travail. Pour nous, ce ne sont pas des armes mais des outils d’expression au service de la personne à la recherche de gestion de la performance. Mettre mes filles très tôt au tir, c’était leur permettre d’acquérir des compétences pour mieux gérer leur vie. Je n’avais aucune ambition qu’elles arrivent en équipe de France, j’étais plus animé par la passion. C’est le tir qui les a choisis ? Daniel : Elles avaient des compétences immédiates pour cette discipline. Elles n’avaient pas d’aptitudes physiques comme on peut en attendre de la natation ou de la course mais un mental, de la concentration, de la réflexion. Cela correspondait à leur profil. Rester concentré lorsqu’on fait 70 fois la même chose, ça s’apprend mais tous les enfants n’y arrivent pas. Les filles ont été remarquables dès le début dans leur gestion de leurs émotions, à être capables de ne pas paniquer. Il y avait des pleurs, mais avec cette capacité d’affronter les choses sans les éviter. Est-ce cette passion familiale qui fait réussir ? Céline : Le fait de s’entraîner ensemble est motivant. Moi qui ne suis pas une grande fan de l’entraînement, ça le rend plus vivant. C’est ce qui fait que je ne lâche rien, avec toujours l’envie d’avancer. Sandrine : On a cette sensation d’appartenir à un clan. On nous a souvent définis comme tels. Ça a pu nous porter préjudice car on est tellement soudés qu’on peut paraître détaché du groupe mais ce n’est pas le cas. C’est inestimable de sentir cette force, ce soutien partout dans le monde, de vivre de notre passion commune de manière si particulière. WS 60 WOMEN SPORTS N°32 • Avril-Mai-Juin 2024 EN SAVOIR PLUS SUR WWW.WOMENSPORTS.FR
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