semio 5.indd - Andrea Valle - Università degli Studi di Torino

la particularité de conserver les marques de la reprise énonciative. Elle affichait
l’image telle qu’elle fut publiée dans l’hebdomadaire, en dévoilant l’épaisseur
de la revue et la typographie de la une, c’est-à-dire le texte avec son support,
de façon à thématiser le niveau de pertinence de l’objet.
En conservant de telles marques discursives, l’image propose de faire son
propre commentaire et valide, en même temps que sa fonction métadiscursive,
son statut d’œuvre moderne tel que l’a défini Greenberg 61 . De façon plus essentielle,
la conservation de ces marques prédicatives par la pratique journalistique
manifeste une incidence véridictoire: elle suffit à transformer l’image en un
“mensonge vrai” qui, à la façon du trompe l’œil, dévoile son propre subterfuge
et fonde ainsi, finalement, sa propre éthique. L’éthique de l’artiste qui joue ainsi
au reporter consiste à affirmer: regardez, je vous montre comment la simulation
peut être une falsification.
10. CONCLUSION: ÉTHIQUE ET PARODIE
Il conviendrait sans doute de discuter plus longuement cette notion d’éthique,
les photographies de Z. Libera donnant une consistance très particulière à nos
interrogations en déployant une troisième stratégie, la parodie.
En effet, une autre stratégie de cet artiste, incarnée par la série Des corps
désinvoltes dans l’histoire, consiste à imiter la composition des photographies
de presse les plus célèbres –cette fillette vietnamienne brûlée au napalm courant
sur un chemin; des soldats allemands alignés soulevant allègrement la
barrière de la frontière polonaise; le cadavre de Che Guevara allongé devant
des militaires- mais en opérant le renversement axiologique qu’assure un
parti-pris burlesque. Au lieu de représenter des affects négatifs, ces images
subissent ainsi une valorisation positive que confortent la connotation ludique
ou sportive de certains accessoires et l’expression voyeuse des protagonistes:
la fillette devient une naturiste courant au milieu d’adeptes de l’aile volante;
les soldats allemands sont des cyclistes et Che Guevara fume une cigarette au
milieu d’un cercle amical… Libera décrit sa démarche comme une façon de se
réapproprier la culture: “la culture, tout comme la nature devient petit à petit
l’environnement naturel de l’homme” – assure-t-il. “Je considère mes œuvres
comme un moyen de contrôle sur ce qui a modelé mon moi” 62 .
Or il reste qu’en renversant le contenu sémantique d’évènements insoutenables,
ces images persistent dans l’insoutenable comme le révèle l’atroce parodie
de la célèbre photographie prise à la libération du camp de Buchenwald, où
les déportés, vus par Libera, deviennent des sortes de campeurs hilares. Ces
photographies laissent sans voix, tout jugement esthétique perdant lamentable-
61 Voir à ce sujet le célèbre essai de Clement Greenberg (1989).
62 Voir l’interview de l’artiste sur le carton d’invitation de la galerie M. Danysz.
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