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NOUVELLE RUBRIQUE<br />
24<br />
Généalogie<br />
I Transmission - gène - découverte - mutation I<br />
Denis Duboc<br />
Hôpital Cochin, Paris<br />
La génétique moléculaire a fait des progrès considérables au<br />
cours des vingt dernières années. De nombreuses mutations<br />
situées sur l’ADN, qui constitue notre patrimoine génétique,<br />
ont été découvertes et rendues directement responsables ou<br />
sont au moins impliquées dans la pathogénie de nombreuses<br />
affections, en particulier cardiovasculaires. Cependant, l’outil<br />
clinique que représente la génétique moléculaire est encore<br />
difficilement appréhendable et perceptible par le cardiologue<br />
clinicien. Dans cette rubrique Généalogie, nous allons essayer<br />
de préciser dans quelques affections héréditaires auxquelles le<br />
cardiologue peut être confronté dans sa pratique quelle peut<br />
être la place de la généalogie, de la génétique, de la biochimie<br />
moléculaire dans la prise en charge d’un patient concerné et<br />
les retombées familiales que cela peut avoir.<br />
Histoire d’un gène :<br />
à propos des laminopathies<br />
Histoire du gène<br />
des laminopathies<br />
L’histoire commence à la fin des années 1990 par un patient<br />
que nous appellerons le propositus qui présentait des troubles<br />
du rythme ventriculaire et un problème neuromusculaire.<br />
Il était en effet suivi depuis de nombreuses années pour des difficultés<br />
à la marche, attribuées à un syndrome de Kugelberg-<br />
Welander qui est un type d’amyotrophie spinale de l’adulte.<br />
Or dans ce type d’affection neuromusculaire, l’atteinte cardiaque<br />
est quasi inexistante, ce qui rendait cette observation<br />
particulièrement troublante, mais aussi passionnante pour le<br />
jeune chercheur clinicien en quête de nouvelle publication.<br />
En fait, en réexaminant le patient, il ne s’agissait pas d’une<br />
amyotrophie spinale par atteinte du motoneurone antérieur<br />
de la moelle, mais très clairement d’une dystrophie musculaire<br />
assez rare, la dystrophie d’Emery-Dreifuss qui donne notamment<br />
des rétractions tendineuses au niveau des coudes et<br />
du tendon d’Achille et qui est associée à des anomalies cardiaques<br />
bien connues. Il s’agit de troubles du rythme supraventriculaire,<br />
puis de troubles de conduction auriculo-ventriculaire,<br />
enfin de troubles du rythme ventriculaire et parfois<br />
de dysfonctions ventriculaires gauches. Le chercheur clinicien<br />
pouvait donc être a priori déçu, puisqu’il s’agissait de quelque<br />
chose de connu et publié. Heureusement, l’histoire ne s’arrête<br />
pas là.<br />
La reconstitution de l’arbre généalogique de sa famille,<br />
particulièrement informatif, va permettre d’aboutir à la<br />
découverte du gène et des mutations impliqués dans la survenue<br />
de cette affection. En effet, au sein de cette très<br />
grande famille de l’ouest de la France se trouvaient de nombreux<br />
patients atteints de la dystrophie musculaire d’Emery-<br />
Dreifuss avec une évolution clinique assez stéréotypée qui<br />
comportait des troubles de la marche dans l’enfance, des<br />
rétractions tendineuses puis, vers l’adolescence, l’apparition<br />
des premiers symptômes cardiaques : arythmie complète,<br />
trouble de conduction conduisant à la pose d’un pacemaker<br />
et à la transplantation chez un certain nombre de<br />
patients vers l’âge de 30 à 40 ans.<br />
Au sein de cette même famille, une deuxième maladie semblait<br />
exister, il s’agissait de patients ayant une atteinte purement<br />
cardiaque avec la survenue de troubles du rythme vers<br />
l’âge de 20 ans, puis de troubles de conduction, puis de troubles<br />
du rythme très sévères, parfois même d’insuffisance cardiaque<br />
ayant nécessité de recourir à la transplantation cardiaque.<br />
Donc, au sein de cette grande famille, des patients<br />
consultaient le neurologue qui lui-même de temps en temps<br />
appelait le cardiologue comme consultant, à la recherche de<br />
complications cardiaques associées à la maladie d’Emery-<br />
Dreifuss. Et d’autres patients consultaient uniquement le cardiologue<br />
car eux n’avaient pas la maladie d’Emery-Dreifuss,<br />
mais simplement une cardiopathie souvent sévère qui pouvait<br />
les conduire à la transplantation cardiaque.<br />
La forme cardiaque et musculaire<br />
Là encore, l’histoire ne s’arrête pas là. Au sein de cette famille,<br />
un certain nombre de patients ne voyaient ni le neurologue<br />
ni le cardiologue car eux étaient frappés par la malédiction<br />
qui était connue dans de cette grande famille, la mort subite.<br />
Etant donné l’extrême similarité du phénotype cardiaque<br />
dans la maladie d’Emery-Dreifuss et dans la cardiomyopathie<br />
dilatée associée à des troubles conductifs et rythmiques<br />
observés tous les deux dans cette famille, nous avons fait le<br />
pari que le mécanisme moléculaire était probablement<br />
le même, responsable de ces deux affections, une s’exprimant<br />
au niveau du cœur et l’autre au niveau du muscle squelettique<br />
et du cœur. Enfin, probablement, mais cela restait à<br />
démontrer, que les patients ayant fait une mort subite inaugurale<br />
étaient atteints par la forme la plus extrême de la<br />
même affection. En pratique, tous les patients considérés<br />
comme phénotypiquement atteints ont pu être prélevés, et<br />
cela a abouti à la mise en évidence d’une mutation sur le<br />
gène des lamines AC. Le gène code pour une protéine située<br />
sur la membrane interne du noyau de la cellule.<br />
Les laminopathies venaient d’apparaître sur la scène de la neurologie<br />
mais aussi de la cardiologie, et la publication eut lieu<br />
en 1999. Cette mutation se transmet sur un mode autosomique<br />
dominant ce qui veut dire qu’un enfant sur deux est atteint<br />
et que le mode de transmission ne passe pas par les chromosomes<br />
sexuels mais par un autosome (chromosome non sexuel).<br />
Ainsi, lorsqu’un parent est porteur, il y a une chance sur deux<br />
qu’il transmette à son enfant le chromosome atteint ou le<br />
chromosome sain, ce qui explique l’arbre généalogique de<br />
cette famille (Figure).<br />
CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 40 Juin 2008