BSIP CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 40 Juin 2008 Sommaire 35 EDITORIAL Contrôle glycémique et risque cardiovasculaire : ADVANCE, VADT, ACCORD Serge Halimi 36 Les nouveaux insulinosécréteurs dans le traitement du diabète de type 2 Serge Halimi, Laure Villaret, Isabelle Debaty 40 Les sulfonylurées n’exercent pas toutes la même protection cardiovasculaire Marie Virally 43 Le diabète de type 2 sous l’angle physiopathologique de l’hyperglucagonémie Anne Teyssédou 33
DR Diabéto pour le praticien Serge Halimi Rédacteur en chef Dans le précédent numéro alors que nous ne disposions que de très peu d’éléments sur les résultats de l’étude ACCORD et de presque aucun détail concernant les raisons exactes de l’arrêt du bras « contrôle intensif » hormis une surmortalité significative, il me semblait déjà indispensable de ne pas aller trop vite en besogne et accuser l’optimisation glycémique de tuer les diabétiques de type 2 ! La grande presse s’en est emparé, certains praticiens ont déjà conclu à la seule priorité du contrôle lipidique et tensionnel et considérablement relativisé l’importance de gérer l’hyperglycémie, tenant ainsi les recommandations actuelles pour inadaptées et excessives. Le congrès américain de diabétologie 2008 ADA, qui vient de se terminer, a rapporté les résultats de trois études, ADVANCE, VADT et ACCORD, qui ont principalement porté sur les effets cardiovasculaires du renforcement intensif de la glycémie et permis de clarifier les choses. Les designs de ces études diffèrent, en particulier quant à l’HbA1c de départ, aux objectifs d’HbA1c (6,5% pour ADVANCE et < 6% pour les deux études américaines) et aux modalités pour les atteindre (nombre d’antidiabétiques oraux et vitesse d’abaissement des glycémies). De plus, ADVANCE est la seule étude représentative de la population mondiale (Europe, Chine, Inde, Australie, Amérique du Nord) alors que les deux autres essais portent sur une population nord-américaine. Dans les trois études, les autres facteurs de risque cardiovasculaire sont aux objectifs et le risque cardiovasculaire des diabétiques de type 2 n’avait jamais été aussi bas, en particulier dans les deux bras de l’étude ACCORD. C’est bien là, en premier lieu, ce qui doit retenir notre attention, comme le pointe l’éditorial qui accompagne la publication du NEJM rappelant: «ceci est l’affirmation du succès du traitement moderne du diabète, ce constat prime sur toute autre considération », et « ces résultats soulignent la difficulté d’aller plus loin dans la réduction du risque cardiovasculaire une fois le traitement optimisé. Le praticien doit continuer à œuvrer pour réduire tous les facteurs de risque cardiovasculaire, plutôt que d’envisager sans motif de relever les objectifs glycémiques des recommandations, s’efforcer au contraire d’y amener un grand nombre de patients qui en sont souvent si éloignés!» En effet, les deux études, ADVANCE comme VADT, ne retrouvent pas de bénéfice cardiovasculaire, mais pas non plus de surmortalité globale ou cardiovasculaire liée au contrôle glycémique intensif ni à aucun médicament, y compris la rosiglitazone dans VADT (ni dans ACCORD au demeurant). Dans une étude ancillaire de VADT* (RACED**), il a été mis en évidence un lien fort entre score calcique élevé et risque cardiovasculaire, ainsi qu’un bénéfice du contrôle glycémique intensifié sur le risque cardiovasculaire chez les patients dont le score calcique était bas et l’ancienneté du diabète faible, alors que les sujets dont le diabète évoluait de longue date avec score calcique élevé n’ont eu aucun bénéfice au plan cardiovasculaire. Dans VADT et plus encore dans ACCORD, l’incidence des hypoglycémies graves (comas, besoin d’assistance médicale) a été particulièrement élevée dans le groupe intensif, de façon inacceptable. Toutefois, l’imputabilité de la mortalité n’a pu être rattachée avec certitude aux accidents hypoglycémiques dans le groupe traitement intensif. L’âge, l’ancienneté du CONSENSUS CARDIO pour le praticien - N° 40 Juin 2008 Contrôle glycémique et risque cardiovasculaire : ADVANCE, VADT, ACCORD diabète, le haut niveau de risque cardiovasculaire, les objectifs glycémiques très bas (en deçà des recommandations internationales), la forte prise de poids du bras intensif (28% ayant pris 10,5 kg) sont peut-être responsables de cette surmortalité. Néanmoins les responsables de l’étude eux-mêmes ont admis ne pas être en mesure de fournir une explication satisfaisante et devoir encore travailler leurs données. Mais quoi qu’il en soit la conclusion première à tirer de ces études, selon moi, est qu’un sujet âgé, fragile, dont le diabète est ancien, ne doit certainement se voir proposer une « normalisation glycémique », mais des valeurs d’HbA1c raisonnables, autour de 7%. En revanche, conclure à l’inutilité d’un bon contrôle glycémique dès le début ou plus tard dans le cours de la maladie et imaginer que seuls le risque et la protection cardiovasculaires comptent, que des statines, des antihypertenseurs et des glycémies médiocres suffisent à la prise en charge du diabète de type 2 serait lourd de conséquences. Les effets remarquables du traitement du diabète ont accru l’espérance de vie des diabétiques de type 2 laissant tout le temps à la microangiopathie de faire son œuvre. Rétinopathie, néphropathie, neuropathie sont les conséquences directes de l’hyperglycémie. Elles étaient le triste lot de la plupart de nos patients il y a deux décennies encore. Ce serait un dramatique retour en arrière que de mettre tous les diabétiques de type 2 sur le même plan et de leur proposer à tous le même objectif glycémique, très strict ou plus souple, mais surtout pas laxiste. Traiter le diabète de type 2 repose sur des objectifs faciles à atteindre et à prescrire « lipides, tension artérielle et antiagrégants », cela est à la portée de tout praticien et certainement pas d’une spécialité quelconque (sous réserve de connaître les objectifs et de veiller à les atteindre). En revanche, contrôler l’hyperglycémie demande « beaucoup plus d’efforts et de compétence » du patient comme du soignant. Il serait trop aisé de se servir des résultats d’ACCORD pour remiser au placard la spécificité du contrôle glycémique et ses bénéfices parfaitement démontrés depuis l’UKPDS. Si certains n’en sont pas convaincus ou pas capables qu’ils laissent d’autres soignants faire, plus motivés, plus persévérants et simplement plus compétents. De plus, les nouveaux antidiabétiques se multiplient enfin. Ils sont efficaces, ont peu d’effets secondaires, en particulier ils n’exposent plus au risque d’hypoglycémie qui fut à la fois un risque et un obstacle dans ces études. Ce n’est donc pas le moment de baisser la garde ou de démotiver patients et soignants. Cette mode qui tend à médiatiser à la hâte des résultats encore incertains, sans en connaître le moindre détail, sans réflexion ni mise en perspective, à céder à la tentation de les monter en épingle, de les colporter, de douter de tout, est irresponsable. Cela s’apparente au monde des médias à sensation qui ne doit en aucun cas aussi envahir et venir polluer « ce sanctuaire qui devrait y résister : la médecine ». Le diabète de type 2 est responsable d’un tiers des cardiopathies ischémiques, la première cause d’insuffisance rénale, de cécité et d’amputation. Le contrôle glycémique y joue un rôle majeur. Mais le « bon sens et l’art médical » nous dictaient déjà d’appliquer avec prudence et de façon nuancée les recommandations selon le profil de chaque patient. Ces études n’ont fait que le confirmer. ■ * Proliferative Diabetic Retinopathy in Diabetes type 2 is related to Coronary Artery Calcium in the Veterans Affairs Trial (VADT). ** RACED : Risk Factors, Atherosclerosis and Clinical Events in Diabetes. 35