Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville) - IRD
Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville) - IRD
Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville) - IRD
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
20 A. BOUQUET<br />
Ce rapide aperçu montre que, comme pour beaucoup de pays africains, le peuplement<br />
<strong>du</strong> <strong>Congo</strong> s'est fait par vagues successives, à des périodes plus ou moins anciennes, de<br />
populations d'origines différentes au détriment de races moins dynamiques ou plus faibles.<br />
Si quelquefois ces invasions ont donné lieu à de véritables guerres tribales, elles se sont<br />
le plus souvent effectuées lentement, pacifiquement <strong>et</strong> insensiblement au cours des géné-<br />
rations : ce fut le cas par exemple pour les Kongo nord-occidentaux aux dépens des Téké<br />
<strong>et</strong> sans doute aussi pour les Mbôsi à l'égard des Mbéré.<br />
Qu'elle soit brutale ou pacifique, la conquête est en général suivie par une colonisation<br />
en r<strong>et</strong>our de l'envahisseur par le vaincu qui se tra<strong>du</strong>it par des métissages raciaux <strong>et</strong> surtout<br />
par des emprunts aux connaissances, aux habitudes <strong>et</strong> parfois à la langue <strong>du</strong> plus faible.<br />
Celui-ci a la supériorité de connaitre son pays parce qu'il y a vécu depuis des générations <strong>et</strong>,<br />
il faut avoir séjourné sous les tropiques, pour se rendre compte que « connaitre » un pays est<br />
pour l'habitant une question vitale : nourriture (en dehors des cultures), boisson, vêtements,<br />
obj<strong>et</strong>s ménagers sont toujours fournis par la nature; l'in<strong>du</strong>strie ou l'art ne résident le plus<br />
souvent qu'en une adaptation à la vie matérielle de pro<strong>du</strong>its bruts.<br />
Ce phénomène est particulièrement sensible lorsqu'il y a changement de cadre botanique<br />
comme c'est le cas pour une race de savane amenée à vivre en forêt ou l'inverse. Mais si<br />
l'adaptation se fait rapidement pour les besoins de la vie courante, elle sera beaucoup plus<br />
difficile <strong>et</strong> délicate dans le domaine des plantes médicinales où le choix des médicaments <strong>et</strong><br />
de leur utilisation sera vraiment une question de vie ou de mort.<br />
Le changement de milieu physique se tra<strong>du</strong>it en général par un appauvrissement des<br />
connaissances médicales ancestrales de la race transplantée qui sera obligée d'emprunter<br />
<strong>et</strong> d'assimiler les connaissances de l'autochtone.<br />
Ce fait se conçoit facilement lorsqu'une population de forêt arrive dans une zone de<br />
végétation extrêmement différente <strong>et</strong> beaucoup plus pauvre en espèces comme l'est la<br />
savane par rapport à la forêt. Il serait logique de penser que le cas inverse c'est-à-dire le<br />
passage de la savane à la forêt pro<strong>du</strong>ise un enrichissement des connaissances empiriques.<br />
Or, au cours de mes enquêtes je n'ai jamais constaté un tel phénomène : il y a toujours<br />
appauvrissement <strong>et</strong> dans les cas les plus favorables stagnation ou plutôt conservation des<br />
connaissances acquises lors de la migration, mais jamais d'acquisition nouvelle par le fait<br />
d'une expérimentation ou d'une découverte propre à l'indivi<strong>du</strong> transplanté.<br />
Voici deux exemples typiques de ce fait :<br />
- sur un total de 130 espèces médicinales que m'a indiquées un féticheur Téké, vivant<br />
à proximité immédiate de la forêt de Bangou, il n'y avait que 10 plantes appartenant à la<br />
flore forestière, contre 50 rudérales <strong>et</strong> 70 espèces banales de savane ou de recrûs forestiers;<br />
- sur les 77 plantes qu'utilisent un féticheur Mbôsi dans le domaine de transition<br />
savane-forêt où existent pourtant de très beaux îlots forestiers il y a 29 rudérales, 21 esphes<br />
typiques des formations de savane <strong>et</strong> seulement 7 espèces de forêt dense.<br />
A titre de comparaison, voici les chiffres obtenus avec un informateur Mbaamba vivant<br />
dans une zone forestière ayant une végétation à peu près identique à celle de la forêt de<br />
Bangou : 55 plantes de forêt dense, 24 des formations secondaires ou recrûs forestiers, 6 de<br />
savane <strong>et</strong> 20 rudérales.<br />
Transplanté dans un domaine qui lui est étranger l'Africain essaiera d'abord de trouver,<br />
ce qui est normal, les plantes qu'il a l'habitude d'employer (c'est ainsi qu'en pleine forêt <strong>du</strong><br />
Mayombe, un féticheur Koongo m'a con<strong>du</strong>it à la seule savane qui existe dans la région, sur<br />
un ameurement granitique) <strong>et</strong> utilisera davantage de rudérales : il y a normalement entre<br />
14 <strong>et</strong> 20 % de rudérales dans l'arsenal thérapeutique des féticheurs congolais; lorsque les<br />
enquêtes sont effectuées auprès des gens vivant en dehors de leur pays d'origine ce chiffre<br />
passe de 25 à 40 %.<br />
Lorsque le féticheur n'a pas trouvé, ou très peu, ou encore trop difficilement les esphces<br />
connues traditionnellement. son effort Dortera sur la recherche d'es~èces forestières voisines<br />
ou très proches de celles de savane : ridel lia atroviridis ou rnicran>ha en remplacement de<br />
B. ferruginea, Vernonia conferta pour V. brazzavilliensis, Trichilia rubescens à la place de<br />
T. heudelotii, <strong>et</strong>c., ou alors par des genres différents mais présentant de grandes analogies<br />
avec le genre connu : Afrostyrax <strong>et</strong> Hua toutes deux plantes à ail, Dryp<strong>et</strong>es gossweileri <strong>et</strong>