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Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville) - IRD

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<strong>Congo</strong>, elle consiste à prendre par trois fois, un bracel<strong>et</strong> de fil de fer <strong>et</strong> de cuivre, plongé dans<br />

de l'huile de palme enflammée. En voici le processus.<br />

Le féticheur qui préside à l'opération place sur les trois pierres d'un foyer, garni de bois<br />

sec une marmite dans laquelle il verse ui~ litre d'huile de palme; puis il allume le feu sous<br />

la marmite <strong>et</strong> l'huile elle-même lorsque celle-ci commence à bouillir.<br />

Ayant ensuite tracé une croix sur le sol, il invoque l'esprit <strong>du</strong> feu, lui explique le cas<br />

qu'il doit juger <strong>et</strong> lui offre des libations de vin de palme. Il interroge alors le feu pour savoir<br />

si celui-ci est disposé à parler : la flamme doit s'élever trois fois au-dessus de la marmite à<br />

l'a~~el <strong>du</strong> féticheur.<br />

I I<br />

Toujours en psalmodiant, il prend de la main gauche un gros tampon fait d'un tronc<br />

de bananier pourri, sur lequel il pose le bracel<strong>et</strong>; puis s'approchant de la marmite enflammée,<br />

trois fois de suite il y place le bracel<strong>et</strong>, qu'il r<strong>et</strong>ire au bout de quelques secondes se soum<strong>et</strong>tant<br />

ainsi lui-même à l'é~reuve.<br />

Tout étant prêt pour le jugement, il en fixe alors le prix (70 F par plaignant dans le cas<br />

présent) <strong>et</strong> la cérémonie commence par le plaignant.<br />

Placé devant la croix, il déclare accepter l'épreuve, <strong>et</strong> expose l'obj<strong>et</strong> de sa plainte; par<br />

trois fois il r<strong>et</strong>race le dessin de la croix de l'index de la main droite, pilis se le passe sur le<br />

cou <strong>et</strong> le pointe vers le ciel semblant dire aux esprits : si je mens vous pouvez me trancher<br />

la gorge (1). Il se tourne alors devant la marmite qu'il adjure encore de montrer son innocence.<br />

Le féticheur lui rem<strong>et</strong> le tampon de bananier <strong>et</strong> place lui-même le bracel<strong>et</strong> dans les flammes.<br />

Au bout de quelques secondes, le plaignant doit de la main droite sortir le bracel<strong>et</strong> de la<br />

marmite <strong>et</strong> le poser sur le tampon qu'il tient de l'autre. Pour que l'épreuve soit valable il<br />

faut renouveler trois fois c<strong>et</strong>te opération.<br />

S'il en sort vainqueur, le féticheur le marque au front ainsi que son premier témoin d'un<br />

trait de kaolin; tandis que l'assistance manifeste sa joie par des cris <strong>et</strong> des applaudissements.<br />

L'accusé se présente ensuite <strong>et</strong> en suivant strictement le même cérémonial, subit à son<br />

tour l'épreuve <strong>du</strong> feu. S'il en sort vainqueur (ce qui fut le cas dans la cérémonie à laquelle<br />

j'ai assisté) c'est qu'il était innocent des crimes dont on l'avait accusé, il n'y a donc plus<br />

qu'à trouver un autre coupable; les affaires de ce genre peuvent souvent <strong>du</strong>rer toute une vie.<br />

Une épreuve de pratique courante, surtout dans l'est <strong>et</strong> le nord <strong>du</strong> <strong>Congo</strong> est celle des<br />

« Mains Nouées » : le féticheur place devant les plaignants une cuv<strong>et</strong>te contenant de l'eau<br />

dans laquelle il a écrasé des feuilles de Scoparia <strong>du</strong>lcis, p<strong>et</strong>ite rudérale assez commune dans<br />

ces régions. Chacun son tour doit se laver les mains en frottant les paumes l'une contre<br />

l'autre <strong>et</strong> naturellement en exposant son cas. Très rapidement, le coupable voit ses mains<br />

s'entrecroiser <strong>et</strong> au bout de quelques instants, il ne peut plus les bouger, donnant l'impression<br />

d'avoir les mains attachées l'une contre l'autre, les paumes tournées vers l'extérieur.<br />

C<strong>et</strong>te épreuve n'est pas réservée aux seules affaires judiciaires, mais perm<strong>et</strong> aussi<br />

d'avoir, moyennant quatre francs, une réponse aux questions qui vous tracassent <strong>et</strong><br />

éventuellement de connaitre l'avenir : il suffit de se laver les mains, en pensant intensément<br />

à ce que l'on veut connaitre. Une réponse affirmative à la question posée entraînant l'impossibilité<br />

de bouger les mains. J'ai naturellement consulté l'oracle qui a bien voulu répondre<br />

à mes questions; c'est une bien curieuse sensation que de se sentir les muscles des bras<br />

tétanisés <strong>et</strong> les mains nouées.<br />

Épreuves judiciaires, interrogatoires des morts, voyance, toutes ces cérémonies seront<br />

pour le féticheur autant d'occasions de manifester ses rapports avec les Esprits <strong>et</strong> les Forces<br />

Naturelles qu'il représente. De même qu'il a déterminé par la voyance les causes <strong>du</strong> malheur<br />

des hommes, de même il établira le pronostic <strong>et</strong> le diagnostic d'une maladie; c'est souvent<br />

avec les mêmes méthodes qui lui ont servi à combattre les sorciers, qu'il soignera les hommes.<br />

Mais s'il est facile de rattacher le traitement de certaines maladies à des rites ou à des<br />

concepts plus ou moins religieux, il est plus difficile par contre de se faire une idée de la<br />

pensée qui a présidé à la création de la médecine congolaise <strong>et</strong> à l'élaboration des traitements<br />

souvent complexes des diverses maladies.<br />

11 est très vraisemblable que la médecine traditionnelle n'est pas le fruit de l'élaboration<br />

conceptuelle d'un indivi<strong>du</strong>, mais qu'elle a été créée de manière empirique au contact de la<br />

(1) C'est le geste classique en pays Laadi pour a5mer une opinion, ou prêter serment.

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