Féticheurs et médecines traditionnelles du Congo (Brazzaville) - IRD
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38 A. BOUQUET<br />
les <strong>Congo</strong>lais voient l'intervention d'un mauvais esprit, d'un (( diable )), <strong>et</strong> ont recours au<br />
féticheur pour exorciser les habitants. Ils abandonnent leurs maisons <strong>et</strong> transportent<br />
ailleurs leurs pénates, sans prendre aucune mesure prophylactique réelle (isolement des<br />
malades, interdictions de circulation, <strong>et</strong>c.), pratiques pourtant courantes dans d'autres<br />
territoires africains.<br />
D'une façon générale, c'est le malade qui se déplace pour venir consulter le féticheur,<br />
qui l'héberge <strong>et</strong> le nourrit pendant la <strong>du</strong>rée <strong>du</strong> traitement <strong>et</strong> il n'est pas rare de trouver,<br />
dans les campements des féticheurs renommés huit à dix malades hospitalisés. Je n'ai vu<br />
que dans les grandes villes comme <strong>Brazzaville</strong> ou Pointe-Noire les féticheurs traiter les<br />
malades à domicile, <strong>et</strong> encore s'agissait-il chaque fois de malades grabataires. Il arrive ailx<br />
féticheurs de se déplacer d'un village à l'autre mais rarement de leur propre initiative, plus<br />
généralement à la suite de la demande d'un chef ou de personnages importants; ces déplacements<br />
<strong>du</strong>rent souvent plusieurs mois, le féticheur en profitant pour faire bénéficier de sa<br />
science toute la région visitée.<br />
Ayant examiné le malade <strong>et</strong> diagnostiqué la maladie, le féticheur prépare lui-même les<br />
remèdes ou, dans les cas bénins, donne les drogues au patient ou à ses proches qui s'en<br />
servent selon les indications <strong>du</strong> praticien. Lorsqu'il s'agit de pro<strong>du</strong>its très rares il appartient<br />
au malade ou à sa famille de se les procurer en les ach<strong>et</strong>ant dans les échoppes spécialisées<br />
des marchés : ce sont d'ailleurs le plus souvent des drogues destinées à des préparations<br />
médico-magiques comme des doigts de gorille, certaines racines ou bois, coquillage, caméléon,<br />
têtes de serpent, <strong>et</strong>c. Par contre la famille fournit toujours les ingrédients pro<strong>du</strong>its localement<br />
comme l'huile <strong>et</strong> le vin de palme, le miel, le sucre destinés à la préparation des remèdes.<br />
Lorsqu'il est dans son village, le féticheur récolte les drogues qui lui sont nécessaires<br />
dans le courant de la journée, en revenant de ses champs ou de faire sa récolte de vin de<br />
palme. Il sait parfaitement où les trouver. En forêt il a soigneusement repéré les arbres ou<br />
les lianes dont il a besoin : lorsqu'il y a plusieurs féticheurs dans un village, chacun a son<br />
arbre, même s'il s'agit d'espèces identiques : j'ai constaté ce fait chez les Kôta, Duma <strong>et</strong> dans<br />
la Sangha, sans avoir pu obtenir d'explications valables.<br />
En général les plantes sont employées aussitôt récoltées, il n'y a que les plantes rares<br />
ou très éloignées dont le féticheur fait provisions; écorces ou racines soigneusement n<strong>et</strong>toyées,<br />
sont séchées au soleil <strong>et</strong> conservées dans un coin de la case. De même lorsqu'il est appelé en<br />
consultation loin de son fief, dans une région botaniquement différente ou qu'il ne connaît<br />
pas, il emporte toujours avec lui une provision des bois jugés (( les plus nécessaires 1). L'utilisation<br />
des drogues sèches devient générale dans certaines régions <strong>du</strong> <strong>Congo</strong> par suite de la<br />
destruction massive des forêts ou de la végétation primitive : c'est ainsi que les féticheurs<br />
installés dans les savanes côtières <strong>du</strong> bas Kouilou vont ou envoient chercher dans le<br />
Mayombe les écorces dont ils ont besoin; c'est dans la forêt de Bangou ou dans la région<br />
de Mayama que s'approvisionnent certains guérisseurs brazzavillois.<br />
Dans la plupart des cas la récolte des simples se fait sans précaution particulière, si ce<br />
n'est la discrétion nécessaire à la conservation <strong>du</strong> secr<strong>et</strong> des traitements. Par contre il est<br />
indispensable pour traiter certaines maladies ou récolter certaines plantes, d'observer des<br />
règles strictes.<br />
Offrandes <strong>et</strong> prières à la plante sont les pratiques les plus courantes <strong>du</strong> <strong>Congo</strong> : je les<br />
ai observées chez les Laadi, les Téké, les Kôta, les Mbôsi, plus rarement dans la Sangha <strong>et</strong><br />
dans le Mayombe. Pour beaucoup de <strong>Congo</strong>lais certains arbres sont considérés comme<br />
sacrés : on ne peut les couper, ni les amputer sans risquer d'offenser leur esprit qui se<br />
vengera soit sur la personne qui a commis le sacrilège, soit sur le malade à qui est destiné<br />
le traitement.<br />
Dans toute la région de <strong>Brazzaville</strong>, l'arbre sacré le plus connu est situé près d'un p<strong>et</strong>it<br />
village sur la route de Kinkala au milieu d'un boqu<strong>et</strong>eau rappelant beaucoup les bois sacrés<br />
de Haute-Volta ou <strong>du</strong> Mali. C<strong>et</strong> arbre que les Laadi appelle « respectueusement (( Bibidi s, ce<br />
qui veut dire courroux, porterait mille espèces différentes de feuilles » <strong>et</strong> se m<strong>et</strong>trait à gronder<br />
sous la menace de l'orage mais celui-ci (( ne ~ourrait lui arracher ses feuilles ni briser ses<br />
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branches qui se détacheraient d'elles-mêmes pour annoncer la mort d'un personnage connu<br />
dorit l'importance <strong>et</strong> la qualité dépendra de la grosseur de la branche cassée 1) (1). Il s'agit<br />
(1) BANDIO J.-A. - CI Ribidi s <strong>et</strong> u Uoulou dia Ndongo » - I,iaisons, 1956, no 51, pp. 24-26.