Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot
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populaire, - dès lors dialectale ou patoisante. Dès le milieu du siècle la chanson à la Béranger,<br />
puis la chanson quarante-huitarde et "humanitaire" ont pénétré au village, de même que les<br />
jeunes revenus de l'armée, se mettent à mépriser les gigues, quadrilles et bourrées, préférant<br />
polkas et mazurkas. La chanson commerciale du caf' conc' formera le dernier raz-de-marée<br />
qui emportera à la fin du siècle tout ce qui subsistait de chanson "populaire". 1<br />
L'Opéra<br />
Je passerai rapidement sur le <strong>concert</strong>, le ballet, l'opéra, divertissements bourgeois. <strong>Le</strong><br />
ballet à succès de l'année 1889, dont la République régale les princes exotiques invités à<br />
l'Exposition, est la Tempête d'Ambroise Thomas (livret de Jules Barbier; créé à l'Opéra le 19<br />
juin). L'Opéra reste le grand spectacle canonique des classes dominantes et de la France<br />
officielle, la solennité gouvernementale par excellence. Meyerbeer demeure le plus en faveur<br />
des compositeurs "classiques", quoique ce que l'on monte le plus en province (et à l'étranger)<br />
c'est, ce me semble, le Roy d'Ys de Lalo. L'Opéra comique reprend inlassablement Gounod,<br />
Auber, Bizet, Donizetti, Hérold et Lalo. Massenet, au faîte <strong>d'une</strong> gloire où entre beaucoup de<br />
chauvinisme, donne son Esclarmonde (sur un libretto de Blau et Gramont), "une des meilleures<br />
pages de son oeuvre", assure-t-on d'emblée;(5) en fait c'est une mouture à la française,<br />
édulcorée, de la forme wagnérienne, tant par la donnée narrative de magie sexuelle qui<br />
rappelle Parsifal que par l'imitation pour grand public mondain du leitmotiv ou par l'emploi<br />
déclaré "wagnérien" des cuivres. La Jeune Belgique conclut, avec le mépris des avant-gardes<br />
pour les arts académiques: "M. Massenet est le Sardou de la musique".<br />
L'Opérette<br />
L'opérette, genre bourgeois moins solennel mais plus divertissant, est également à bout<br />
de souffle. Sa formule m'intéresse en particulier car la chansonnette de <strong>café</strong>-<strong>concert</strong> peut être<br />
approchée comme une descendante abâtardie, un ersatz sommaire et vulgaire de l'"air<br />
d'opérette", les deux musiques réalisant les axiomes conjoints du mémorisable-immédiat et<br />
de la cumulation d'effets et de fioritures ponctuels -- de la même façon que leur thématique<br />
en est proche, mais surtout le dispositif intertextuel qu'elles mettent toutes deux en place:<br />
celui de la blague, dispositif de nihilisme doxique que l'opérette à la Offenbach appliquait à<br />
la culture historique et mythologique bourgeoise et que le caf'conc' applique à la doxa<br />
journalistique et ses thèmes les plus stimulants: Tour Eiffel, Jack l'Éventreur, Émancipation<br />
des femmes, Parlementarisme... Dans les deux cas, il y a ironisation de la culture "sérieuse"<br />
(à deux niveaux de légitimité), mais sans travail d'ambivalence, par une volonté de<br />
simplement rapetisser, de décaper le sérieux en gaudriole, par une carnavalisation jobarde et<br />
imbécile qui est en effet, de la Vie Parisienne (il s'agit de la revue aristocratique de ce titre) et<br />
du Gil-Blas, quotidien boulevardier, au pornographique Paris la nuit, le commun dénomina-<br />
1 Seules les chansons dont les timbres et les thèmes ont été repris par les chansonniers<br />
"bérangistes" et peut-être quelques chansons pour enfants vont survivre à cette extinction massive.<br />
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