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Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

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moulin, on porte ses vêtements "de travail", on boit et on fume, -- rigoureusement à l'opposé<br />

du cérémonial des spectacles "bourgeois", -- désolent, comme nous le verrons, penseurs et<br />

moralistes.<br />

Certaines salles ont conservé l'aspect et le mobilier <strong>d'une</strong> brasserie ou <strong>d'une</strong> guinguette,<br />

y ajoutant seulement une scène ou des tréteaux. D'autres, plus récentes, imitent avec luxe<br />

l'architecture des "véritables théâtres" avec leurs façades magnifiquement décorées; elles<br />

offrent à l'intérieur "une agréable distribution de fauteuils, de loges, de glaces, de portières,<br />

d'escaliers et de voies communicantes" (Chadourne, 1889, 14).<br />

<strong>Le</strong> public du <strong>café</strong>-<strong>concert</strong> est un public mêlé et cette constatation aussi est exprimée par<br />

les publicistes avec un indéfinissable attrait dégoûté:<br />

À part celles <strong>d'une</strong> dizaine de gandins et de femmes galantes,<br />

installés aux baignoires, les toilettes y sont des plus simples.<br />

Bons bourgeois escortés de leur respectable épouse et de leurs<br />

enfants; boutiquiers sautillants et rubiconds; commis de magasin<br />

avides de détente et de folichonneries; célibataires embarrassés<br />

de leur soirée; aimables filles à la recherche d'un coeur d'or;<br />

étudiants ennemis de la pose; patronnes d'atelier servant de<br />

mentors à de petites folles d'apprenties; couples de militaires<br />

délurés; ouvriers flanqués <strong>d'une</strong> fille: chacun pénètre sans façon<br />

tel qu'il était dans la rue.<br />

(Chadourne, 14)<br />

Du souteneur accompagné de ses "marmites" au bourgeois venu méditativement<br />

s'encanailler, en passant par le calicot, la cousette, le boutiquier, l'étudiant, le monde du<br />

caf'conc' rend visible pour la première fois une image-synecdoque des classes urbaines, un<br />

espace indifférencié où toutes les nuances de la vulgarité et de la distinction se coudoient:<br />

source d'angoisse et d'attrait qui rend ce milieu fascinant pour l'homme de lettres et l'artiste.<br />

De Forain à Toulouse-Lautrec, le "motif" de la salle de caf'conc' va devenir le symbole pictural<br />

du brassage pansocial de la modernité. La salle de beuglant est le seul lieu qui rende visible<br />

ce coudoiement de l'anonymat, cette communion vénale que, non sans euphémisme, le<br />

littérateur juge volontiers "pittoresque".<br />

Majoritairement, malgré quelques groupes venus "en famille" et malgré la présence de<br />

quelques femmes seules "à mauvais genre", le public du <strong>café</strong>-<strong>concert</strong> était, par la nature des<br />

moeurs, un public masculin. Une bonne part de voyeurisme émoustillé entre dans le succès<br />

de quelques chanteuses, "excentriques" ou "sentimentales". L'institution de la "corbeille" avec<br />

sa demi-douzaine de "poseuses" entourant le chanteur en faisant des mines (institution<br />

disparue au début de la Troisième République) tient également au souci de régaler la vue d'un<br />

public masculin (voir Harris, 1989).<br />

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