29.06.2013 Views

Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

<strong>Le</strong> salon occupe homologiquement la fonction remplie par l'estaminet pour la diffusion<br />

non-professionnelle et le divertissement communautaire de la classe aisée. L'après-guerre de<br />

1870 a connu une croissance rapide du marché du piano, marché ouvert à la clientèle de classe<br />

moyenne. <strong>Le</strong> prestige social de cet instrument, installé dans toute demeure bourgeoise, est<br />

énorme. La classe dominante réunit autour du piano des "soirées de talents" où les invités et<br />

la jeune fille de la maison se produisent (au cours des grands raouts, on invite aussi des<br />

professionnels, diseurs de monologue comique ou même fameux chanteurs du <strong>café</strong>-<strong>concert</strong>).<br />

<strong>Le</strong>s invités, accompagnés au piano, donnent d'ordinaire un échantillonnage des genres<br />

chansonniers, sérénades, élégie, chanson patriotique, romance pastorale -- selon les<br />

"tempéraments" de chacun. La jeune fille à marier, ânonnant au piano la "Prière <strong>d'une</strong> Vierge"<br />

est en voie de devenir un topos comique de la vie sociale. En réalité, la chanson salonnière<br />

oriente toute sa thématique vers une formule musicale et parolière tout à fait typée: le genre<br />

<strong>d'une</strong> "suprême distinction" de l'élégie mélancolique et diaphane, musiquée en un mineur<br />

languide (les meilleurs compositeurs étant André Messager et Léo Delibes). La chanson de<br />

salon-type ne connaît qu'une thématique, pour dames ou jeunes ténors: intermittences du<br />

coeur -- deuil de la nature -- souvenir languissant. Madame Julia Cladel excelle dans ce genre<br />

qui allie la niaiserie atone à la préciosité:<br />

Marquise, l'hiver endort<br />

Avec les abeilles d'or<br />

La vie obscure les choses<br />

Et dans les noirs tourbillons<br />

Emporte les papillons<br />

Comme les dernières roses.<br />

(Musique populaire, vol. 1889; 2-3)<br />

Ce symbolisme à la sous-Samain est pratiqué aussi par Armand Silvestre, principal<br />

producteur du secteur, connu par ailleurs, -- car il a une double personnalité, -- comme<br />

tâcheron de la gaudriole et pornographe de la petite bourgeoisie. Silvestre chante en des vers<br />

diaphanes "la Vie de l'âme". La chanson salonnière emprunte aussi et met en musique des<br />

poèmes de la "grande" littérature: François Coppée, Sully-Prudhomme, ou elle met des paroles<br />

sur de la musique de qualité: celle d'Ambroise Thomas notamment. La classe bourgeoise<br />

féminine trouve son motif identitaire dans la "musique intérieure" <strong>d'une</strong> âme languide et<br />

incomprise:<br />

Je rêvais seul assis auprès de ma fenêtre<br />

Sur le bord un oiseau s'était venu poser<br />

Il me semblait craintif et moi pour l'apaiser<br />

J'approchai lentement; - en me voyant paraître<br />

Il déploya son aile et jeta par les cieux<br />

Un cri qui résonna dans mon âme alarmée<br />

Ne t'en fuis pas lui dis-je, oh! viens restons tous deux<br />

Tu pleures ta compagne et moi ma bien-aimée;<br />

16

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!