Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot
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l'histoire sociale, de l'histoire qui n'est même pas esquissée dans son ensemble de la "bonne<br />
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volonté culturelle" des classes dominées. Cette histoire est décrite comme celle <strong>d'une</strong> rapide<br />
décadence: "à suivre les programmes des concours et festivals orphéoniques de 1855 à 1914,<br />
on observe une ligne de pente (...) Avec la dégradation du répertoire, l'exigence interne,<br />
l'aspiration vers les sommets vont aller déclinant (...) Quelle que fût la musique jouée, la<br />
bonne comme la mauvaise, les orphéonistes la jouaient en bons élèves triplement soumis à<br />
l'écriture, aux codes musicaux proposés, à une organisation infantilisante. Il conclut en<br />
questionnant: "<strong>Le</strong>s orphéonistes français auraient-ils été trop dociles?" (1985, 74-6).<br />
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Il est d'autres lieux encore de chanson et de modestes secteurs de production: des<br />
éditeurs cléricaux ou laïcs produisent de petites "scènes comiques" de toute candeur pour les<br />
"maisons d'éducation". <strong>Le</strong>s corps de garde et salles d'interne des hôpitaux se transmettent un<br />
folklore gaillard et obscène (ici encore le <strong>café</strong>-<strong>concert</strong> fournit des textes ou s'inspire de ce<br />
folklore).<br />
Ce qu'il faut rappeler pour conclure cette section, c'est combien la chanson reste liée<br />
à la vie quotidienne des classes artisanales et ouvrières.<br />
Au retour du travail, la semaine finie, l'ouvrier n'aime rien mieux<br />
que le chant. Ce lui est un divertissement de choix. On le peut<br />
constater aux carrefours, devant ces centaines de travailleurs qui<br />
s'arrêtent, bouche bée, autour de chanteurs ambulants dont ils<br />
apprennent les couplets à la mode dans les <strong>café</strong>s <strong>concert</strong>s, à qui<br />
l'apprenti, la jeune ouvrière, achètent, sous forme de romance à<br />
la guimauve, pour deux sous de sentiment.<br />
E. <strong>Le</strong>yret, publiciste que les malheurs de la vie avaient mué en mastroquet, a livré dans En<br />
plein faubourg (1895) ses souvenirs de patron de bistrot. On chante beaucoup devant le zinc;<br />
certains ouvriers, connus pour leur belle voix, dégoisent à pleins poumons leurs chansons<br />
favorites.<br />
<strong>Le</strong> samedi et le dimanche soir, tout débit du faubourg où l'homme de<br />
loisir a la faculté d'entendre chanter, "d'en pousser une" lui même,<br />
ne désemplit pas. On vient en famille, on s'amuse en choeur, chacun dit<br />
"la sienne" dans un silence complet. Si la voix est bonne, bien timbrée,<br />
plaisante, tant mieux! ce n'est que double plaisir; si elle est<br />
2 "L'Orphéon: pour une histoire sociale de la musique", thèse, Paris VIII, 1984, résumée dans "<strong>Le</strong><br />
dossier orphéon", in Esthétique du peuple, Paris: La Découverte, 1985, pp. 55-76.<br />
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