29.06.2013 Views

Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

Le café-concert: Archéologie d'une industrie ... - Marc Angenot

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

démesurée. C'est égal, elle est encore bien bonne à entendre. Elle<br />

chantait l'autre jour une romance absolument niaise, les adieux <strong>d'une</strong><br />

mère à sa fille qui va se marier. Je me rappelle tant bien que mal le<br />

refrain:<br />

Je pleure mais j'n'y puis rien faire.<br />

De moi bien des gens se moqu'ront:<br />

Mais c'est qu'vois-tu, je suis ta mère,<br />

Et tout's les mèr's me comprendront! (Bis)<br />

Ce n'est pas de première force, n'est-ce pas? Mais Thérèsa disait cela avec la<br />

voix, les gestes et les attitudes <strong>d'une</strong> Hécube ou <strong>d'une</strong> Niobé. La plate chanson<br />

s'enflait, devenait grandiose. Si elle fait ainsi quelque chose de rien, jugez de<br />

ce qu'elle peut faire quand elle rencontre une chanson digne d'elle.<br />

(<strong>Le</strong>maître, 1889, III, 293)<br />

D'autres chanteuses terminent une longue carrière de succès dans un style mélodramatique<br />

analogue: Madame Dumay et Jeanne Bloch, toutes deux rebondies et épiques; Amiati enfin<br />

qui meurt en octobre 1889, avait incarné à "l'Eldorado" le genre républicain et patriote: "elle<br />

y joignait la romance sur l'amour maternel, sur les pauvres, sur le printemps... elle<br />

représentait au <strong>café</strong>-<strong>concert</strong> la littérature morale et élevée" (Jules <strong>Le</strong>maître, <strong>Le</strong>s Contemporains,<br />

vol. V, billet du 3.X, 1889). Depuis le Second Empire, elle chante et rechante "<strong>Le</strong> Clairon" de<br />

Déroulède.<br />

Ceux qui ont conquis une renommée plus fracassante au cours des années 1880 sont<br />

d'un style chansonnier bien différent de celui de ces dames qui furent belles sous l'Empire.<br />

Un style beaucoup moins lyrique et noble, le style nouveau, raccrocheur, d'un comique<br />

frénétique, celui qui en impose au public non par le cabotinage des grands sentiments mais<br />

par la surenchère dans la "scie", la contorsion et les effets les moins "raffinés".<br />

<strong>Le</strong>s amateurs de l'ancien caf'conc', sensibles à cette évolution du succès, pourraient<br />

formuler quelque chose d'analogue à la loi de Gresham: "la mauvaise monnaie chasse la<br />

bonne", -- l'ineptie voulue, cultivée pour elle-même assure un succès qui ne va plus aux<br />

formules plus traditionnelles de sublime populacier et de sentimentalisme.<br />

Un nom tient la vedette, en avant de tous les autres, celui de Paulus (Paul Habans,<br />

1845-1908). Paulus qu'on cite partout, qu'on admire ou qui agace mais auquel la doxa impose<br />

la référence. Paulus, qui a fait le succès du général Boulanger (ce "Saint-Arnaud de <strong>café</strong><strong>concert</strong>",<br />

avait dit le ministre Floquet, exaspéré), autant que le nom de Boulanger lui a garanti<br />

le succès inouï d'En revenant d'la r'vue. Paulus avait connu une certaine notoriété depuis 1871,<br />

mais c'est la chansonnette à la gloire de Boulanger qui l'a mis au tout premier rang. En 1889,<br />

il lance «<strong>Le</strong> père la Victoire» qui sera aussi un grand succès et durable. Il est le grand nom de<br />

"l'Alcazar d'Été" qui joue toute l'année à bureau fermé. Il a créé en 1887 son propre<br />

32

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!