Playtime de Jacques Tati (1967). Directeur de la photographie : Jean Badal © DR DOSSIER SPÉCIAL | ARCHIVAGE ET CONSERVATION DES FILMS Arane-Gulliver "POUR L’INSTANT, L’IDÉAL, C’EST LE RETOUR SUR PELLICULE ET CELA, LES CLIENTS LE COMPRENNENT BIEN. LEUR DIRE QUE L’ON VA FAIRE DES COPIES ET METTRE SUR LTO, C’EST DÉJÀ PLUS DIFFICILE !" PAR JEAN-RENÉ FAILLIOT, DIRECTEUR GÉNÉRAL DU LABORATOIRE ARANE-GULLIVER 44 | ACTIONS le mag’ #34-35
DOSSIER SPÉCIAL | ARCHIVAGE ET CONSERVATION DES FILMS Actions : Quelle est votre politique en matière de <strong>conservation</strong> <strong>des</strong> <strong>films</strong> ? Jean-René Failliot : Nous conservons les originaux <strong>et</strong> adressons un courrier à la production pour leur demander ce qu’elle a l’intention de faire <strong>des</strong> chutes <strong>et</strong> doubles. En ce qui me concerne, j’ai tendance à dire aux producteurs que pour conserver le montage original - celui qui a servi pour le scan du film ou bien le montage traditionnel - il faut aller aux Archives du film, excellente institution qui a fait ses preuves. A : Les producteurs sont-ils globalement « conservateurs » de leurs chutes <strong>et</strong> doubles ? J-R. F. : Non, la tendance est plutôt à leur <strong>des</strong>truction, la plupart du temps pour <strong>des</strong> questions financières. Ceux qui récupèrent leurs chutes <strong>et</strong> doubles sont finalement assez minoritaires. A : Que se passe-t-il dans le cas du numérique ? J-R. F. : Pour l’instant, nous n’avons pas vraiment de solutions, mis à part de faire <strong>des</strong> sécurités <strong>et</strong> de les rem<strong>et</strong>tre aux productions pour qu’elles les stockent. Il existe aujourd’hui un vide énorme dans le domaine en attendant, on l’espère, qu’une norme véritable soit instituée. Les pouvoirs publics devraient s’occuper de m<strong>et</strong>tre en place un équivalent à ce qui existe avec les Archives du film pour la pellicule. Mais tout est toujours une question d’argent. Alors, en attendant, on stocke les fichiers numériques <strong>et</strong> on avance « au jour le jour » en suivant attentivement les évolutions de la technologie. A : Quelle pérennité peut-on attribuer au numérique ? J-R. F. : Qu’un film soit tourné en argentique <strong>et</strong> finalisé en post-production numérique ou qu’il soit entièrement tourné en numérique, il se produit dans 98% <strong>des</strong> cas un « r<strong>et</strong>our sur film » <strong>et</strong> nous poussons à cela. La mise sur « support film » est pour l’instant ce qu’il y a de moins contraignant pour nous <strong>et</strong> ce qui est le plus sécurisant pour les producteurs <strong>et</strong> les réalisateurs désireux de conserver leurs œuvres. C’est ce que je vois de mieux. C<strong>et</strong> original peut aussi être déposé aux Archives du film comme cela se pratiquait jusqu’à présent : une fois un film sorti, son négatif partait aux « Archives » avec une copie de référence <strong>et</strong> le son optique. 45 45 A : Les clients demandent-ils une <strong>conservation</strong> sur LTO ? J-R. F. : Ce qu’ils nous demandent, c’est de conserver les fichiers de disques durs <strong>et</strong> c’est nous qui les recopions systématiquement sur LTO pour les conserver. Cela reste néanmoins une pratique encore assez exceptionnelle pour nous. A : Avez-vous mis en place un système de recopies au laboratoire ? J-R. F. : Pas encore, car cela fait à peine un an que nous avons « mis en place » le numérique chez Arane. Jusqu’à présent, les productions « grands formats » - qui coûtent <strong>des</strong> fortunes - nous envoyaient <strong>des</strong> disques durs pour qu’on les shoote <strong>et</strong> c’était nous qui faisions la recopie sur LTO <strong>et</strong> conservions disques durs <strong>et</strong> LTO. A : Comment parlez-vous « <strong>conservation</strong> » avec vos clients ? J-R. F. : Nous en parlons régulièrement car tout le monde est très conscient que la <strong>conservation</strong> est devenu un énorme problème. A notre p<strong>et</strong>it niveau, nous réfléchissons à ce que l’on pourrait proposer pour avancer dans c<strong>et</strong>te nébuleuse qu’est la <strong>conservation</strong> <strong>des</strong> fichiers numériques, mais nous ne savons pas nous-mêmes très bien où nous allons <strong>et</strong> comment va évoluer la <strong>conservation</strong>. Tant qu’on ne nous demande pas d’aller rechercher un plan, on imagine qu’en faisant <strong>des</strong> recopies de LTO tous les cinq ans, cela va marcher, mais on n’en est pas sûr du tout. Il peut y avoir mille problèmes, ne serait-ce qu’une démagnétisation ! Pour l’instant, l’idéal, c’est le r<strong>et</strong>our sur pellicule <strong>et</strong> cela, les clients le comprennent bien. Leur dire que l’on va faire <strong>des</strong> copies <strong>et</strong> m<strong>et</strong>tre sur LTO, c’est déjà plus difficile. Surtout, l’on en revient toujours au même : combien cela va-t-il coûter ? Mon expérience principale en matière de <strong>conservation</strong>, c’est le film Playtime de Jacques Tati entièrement restauré par nos soins en 2000. C’est un film qui a été refait photochimiquement <strong>et</strong> numériquement dans son intégralité avec <strong>des</strong> séquences rallongées pour le conformer à son montage d’origine. C<strong>et</strong> original refait <strong>et</strong> l’interpositif de sécurité se trouvent toujours chez nous <strong>et</strong> pour l’instant, tout se passe bien. De temps en temps, un pays ou une cinémathèque nous demande une copie, nous la tirons <strong>et</strong> voilà ! Cela pour dire que seule la pellicule a fait ses preuves <strong>et</strong> que pour l’instant, c’est aussi ce qu’il y a de plus facile à chiffrer pour les producteurs. Il faut demeurer très pragmatique <strong>et</strong> en France, nous avons un peu de mal avec cela. En demeurant pragmatiques, nous trouverons certainement <strong>des</strong> solutions intéressantes pour résoudre le problème de <strong>conservation</strong> numérique. A : Quel était l’état de « Playtime » quand vous l’avez « repris en main » ? J-R. F. : Le négatif avait voyagé en Espagne <strong>et</strong> en France, il était déchiré à plusieurs endroits <strong>et</strong> réparé au scotch, mais il n’était pas décomposé, les perforations n’étaient pas « en r<strong>et</strong>rait » <strong>et</strong> les couleurs sont plutôt bien ressorties. Nous avons vécu la même chose avec la restauration anglaise de Mon oncle dont les éléments avaient été conservés aux Archives du film. Aucun problème ! Des histoires de collure, c’est tout ! Le couple « Archives du film – pellicule » est pour l’instant ce qui se fait de mieux. Mon Oncle de Jacques Tati (1958). Directeur de la photographie : Jean Bourgoin © DR | ACTIONS le mag’ #34-35