une bande dessinee idéologique : rahan - Revue des sciences ...

(3) In E. Leach, p. 381.
dant à la séparation future. Le mouvement
initial est induit par un besoin,
matériel comme la faim ou le froid,
moral comme la détresse d'un malheureux
ou plus simplement l'ignorance:
«R n'a pas mangé depuis trois
jours» (2, 25)... Souvent, le problème
est amené par un obstacle extérieur,
une volonté : « Ce territoire est le nôtre»
(39, 52). L'énoncé du manque est
obligatoire en ce sens qu'il est à la
source des événements qui doivent suivre.
L'artifice est patent, par exemple,
lorsque l'invraisemblable manque de
nourriture contredit la nature du chasseur
éminentissime qu'est R... Alors
que la rencontre est un arrêt sur
l'image, la séparation est fondée, à
l'inverse, sur l'obligation de poursuivre
l'éternel voyage, celle d'affronter
d'autres difficultés analogues (1, 23 ;
27, 21 ; 35, 33). En même temps
qu'elle fait de l'ensemble des épisodes
une histoire unique et continue, métaphore
du progrès sans fin, la séparation
annonce une suite qui, plus modestement,
tient les jeunes lecteurs en
haleine : «Quels mystères, quelles
merveilles l'attendaient? (117, 388).
On notera le rôle du hasard, de la rencontre
inopinée à l'indécision de la direction
du voyage final. R pose alors
son coutelas d'ivoire immaculé,
symbole de sa force et de sa pureté, et
le fait pivoter comme l'aiguille d'une
boussole. Il ira vers le Nord idéal
qu'indique la pointe, une fois stabilisée
(4, 46 ; 9,143). Le parallélisme des
deux volets est renforcé par le fait que
cette manière de procéder est décrite,
parfois, avant la rencontre initiale (47,
titre). Quel meilleur ciment que le hasard
? Avec une remarquable fréquence,
le drame s'achève sur la vision
d'un soleil rouge à l'Occident (6, 23 ;
13, 74 ; 29 , 73) plus rarement à
l'Orient (3, 74 ; 12, 43 ; 96, 26) : «Le
territoire du grand soleil appelle R»
(2, 44). Il symbolise l'élargissement
des perspectives et l'universalité de la
profession de foi. Au besoin particulier,
trivial, succède une solution générale
et théorique. Comme le hasard,
l'astre est également présent au début
de certaines péripéties. De l'aube au
crépuscule, il engendre un continuum
qui se confond avec la somme des progrès
à marquer d'une pierre blanche.
Stade après stade, ces histoires deviennent
l'Histoire. Théorie du voyage,
puisqu'on nous conte la diffusion de
la vérité, ces albums sont aussi voyage
dans la théorie, dont chaque aventure
explique un aspect. Pour les auteurs,
l'Histoire devient histoires...
2. Misère et contradiction
Le volet de gauche, qui motive l'intervention
du héros civilisateur, énumère
toutes les virtualités du mal-être.
L'homme naît inachevé, contrairement
à l'animal. De la nourriture à la
connaissance, il attend de la société
une perfection qui se dérobe sans cesse
et rend nécessaire un progrès forcément
inéluctable. Les hommes de ces
«temps farouches» (40, 9) se débattent
dans une ébauche de société qui
leur offre de «mauvaises conditions
d'existence» (22, 18 ; 89, 44). A
V«aube de l'histoire » (104, 38), où
« Tout n 'était que lutte pour la vie »
(1, 23), tout appelle obscurément la civilisation.
Les hommes, «ignorant
tout ou presque » (24, 15), sont à
l'image du «primitif» que Hobbes dépeint,
en 1650, «errant comme Caïn»,
traînant son existence «solitaire, démunie,
misérable, fruste et brève» (3).
Ce tableau coïncide, bien entendu,
avec les conceptions de l'évolution-
-159-