une bande dessinee idéologique : rahan - Revue des sciences ...

toutes les pêches de nos encyclopédies.
Aux femmes, il apprend à coudre (3,
6), bien que la société préhistorique,
justement, les confine dans ce genre
d'activités. L'invention se saurait être
le fait que d'une lointaine élite et le
changement résulte surtout d'une diffusion,
sous forme d'éducation internationale.
La société sera ce qu'enseignent
les maîtres. Il est, cependant,
des prodromes de science au sein du
monde ancien, point de vue qui s'appuie
sur la conception d'une religion
comme première et maladroite tentative
d'explication du réel. Les œufs de
quelques animaux rares sont sacralisés
et interdits : « R reconnut volontiers la
sagesse de ces raisonnements» (27,
21), car on évite ainsi le risque de leur
disparition. Un tamanoir est sacré
parce qu'il est utile en dévorant les
fourmis (32, 38), de même qu'une eau
difficile à obtenir (23, 66). Untel totémisme
utilitaire est une ébauche de politique
écologique...
9. Une étrange familiarité
Ces aventures font l'objet d'un double
mouvement, d'éloignement et de rapprochement,
dont le premier, seul,
n'est pas masqué. L'éloignement dans
le temps et l'espace rend le texte plus
attractif et, surtout, justifie le discours
historicisant qu'exige la théorie
sous-jacente. Un grand nombre d'éléments
témoignent d'un exotisme géographique.
Les paysages sont farcis de
volcans en éruption, Vésuves ou Krakatoas
(105, 50). Mais surtout, l'exotisme
est ethnologique et R côtoie les
personnages-clés de l'imaginaire occidental
: pygmées (12, 39) et anthropophages
(81, 34). Tous sont groupés en
clans et hordes, concepts dont le caractère
interchangeable et vague signale
la fonction décorative. Les marques
de « primitivité » se succèdent,
sous forme d'instruments, comme la
sarbacane (6, 18), la bola (22, 26), le
boomerang (17, 8) ; de techniques,
comme l'usage de signaux de fumée
(26, 72) ; de constructions, comme
l'iglou (88, 27) ; d'animaux mythiques
du genre « quetzal » (56, 14) ; de comportements
étranges : disposition du
squelette dans un tronc d'arbre immergé
(96, 26), précipitation dans le
vide, un pied maintenu par une corde
(100, 12), abandon des vieillards dans
la neige (88, 23). Réels ou non, ces
traits culturels proviennent du monde
entier, renforçant l'universalité de
l'Histoire. A l'ethnologie stricto sensu
s'ajoute d'ailleurs la source préhistorique.
R taille le silex (100,17), contemple
dolmens (104, 3) et peintures pariétales
(2, 27). Surtout, il se promène
dans un paysage fantasmagorique où
se succèdent mégacéros (44, 35),
mammouths (40, 16), tyrannosaures
(54, 49), tricératops (105, 57), ptéranodons
(1, 16), tous gigantesques.
Plus proches de nous, certains clichés
sont pris à l'antiquité. Tel sorcier a
l'air de Néron (98, 73) ; des fauves
sont encagés dans un Colysée rustique
(6, 8) ; une œuvre d'art rappelle les
bas-reliefs de Ninive (17, 5) ; le comportement
des pêcheurs envers les
« poissons-femmes » est conforme aux
croyances grecques à propos des lamantins
(43, 25). Encore plus proche,
jouant d'un exotisme à la dimension
des vacances ou du cinéma, une arène
est de style espagnol (98, 73), tandis
que 7? fait alliance avec un chimpanzé
(56, 99) ou se balance au bout d'une
liane (1,4), antique Tarzan. La mixture
historique dément donc la spécification,
— on apprend incidemment
que tout ceci se passe il y a 5 000 siècles
(37, 66) —. La somme qu'est 7?
fait peu de cas des dates particulières.
L'étrangéification langagière couronne
ce procédé. Nos «primitifs»
portent des noms aux formes qu'un
Français trouvera les plus barbares.
Leur « profil » est bantou : « Mbong »
(13, 61), eskimo : «Kaglok» (8, 8), japonais
: «Tanaka» (53, 18), Scandinave
: « Thor» (12), gaulois : «Arrix»
(21, 17) Quelques termes sont
directement ethniques : «Aïnou» (72,
25), «Kanak» (75, 28). On recourt
aux diphtongues «polynésiennes» ou
«amérindiennes» : «Baroa» (9),
«Arao» (51, 8), «Taira» (21, 18).
Consonnes et voyelles sont doublées :
«Ttoac» (102, 66), «Gâa» (99, 56),
ou triplées : « Taaar» (107, 32). Beaucoup
de particularités exotiques sont
purement orthographiques, — ce qui
n'a guère de sens dans une civilisation
orale ! — et rappellent les Goûn,
Faouhm, Kzamm, de la Guerre du
Feu. Le «sch» allemand est mis à contribution...
Cependant, tout comme
un argot est proprement tiré de la langue
ordinaire, les mots de l'idiome
préhistorique procèdent de termes
français, tronqués et affublés d'un —
a sudiste : «jagha» Qaguar) (56, 10),
«sanghia» (sanglier) (2, 42). La postfixation
d'un — k joue le même rôle :
«boak» (9, 25), «pumak» (37, 60),
«nandouk» (27, 19), «espak» (espadon)
(98, 53). L'infixation d'un h germanique
« surgutturalise » le résultat :
«Ihézark» (117, 369). La langue des
chasseurs devait être proche du monosyllabisme
originel, auquel se réfèrent
encore tant de linguiste du début
du siècle. Les piranha se transforment
donc en «piranes» (7, 57), le tamanoir
en «tamas» (32, 38), le kangourou en
«kaga» (106, 8). Quelques phrases
complètes, en «préhistorique», vérifient
ce principe : «Kan, chakalac,
glahac, kan ! kan !» (116, 259)... Les
composés à traits-d'union imitent l'allure
des langues à « classificateurs » :
«ka-hor», «ka-noa», «ka-dir» (103,
45). On recourt à la «motivation morphologique»,
— qu'invoquait déjà
Turgot (39) —, qui rend les termes
adéquats aux référents qu'ils décrivent
: « Vigor» est un chef (12), « Terrora»,
un tyrannosaure (54, 49),
«Arké», un vieil homme (7, 62) ;
«karwa» désigne le charbon (46, 70) ;
«Céréha» découvre les céréales (40,
7) ; «Harghar-Heurgh» est un sorcier
dont la laideur est également anthroponymique
(87, 7) ; « Thora» désigne
une... pieuvre envahissante (85, 48).
Le volcan est un «mont gui tonne»
(105, 50), «oreillespointues» désigne
le lynx (95, 55), Y«oiseau gui nage»
un canard (26, 54), la «bête qui pique»
une guêpe (58, 42). Ces platitudes
sont liées à Y obligation de motiver
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