une bande dessinee idéologique : rahan - Revue des sciences ...

de brutaliser ceux qui ne sont pas ses
ennemis déclarés (88, 26), de leur « voler
la vie» (44, 32), thème ressassé entre
tous, où l'on enregistre un remarquable
pic de fréquence.
A l'opposé des petits bourgeois, défenseurs
acharnés de leur lopin de
terre, 7? est un «chasseur libre» (66,
20) : «Aucun territoire ne lui est interdit»
(41, 62). Comment pourrait-il ne
pas rejeter «l'autonomie culturelle nationale»
(33) ? Une fois installé, rien
ne saurait le déloger. De même qu'une
intervention ne prend fin qu'après son
succès, «R repartira s'il le juge bon»
(104, 29). Au-delà de son symbolisme,
cette mobilité, géographique et culturelle,
ce «déracinez-vous» général est
commandé par le besoin : « R, quand
il a faim, chasse où il veut» (17, 5). Le
travail seul est apte à combler le manque
inhérent à l'être humain. Sa recherche
prime donc sur toute autre
considération. Lui-seul confère la citoyenneté
et le droit de jouir de son
produit : «R a tué le baloua. Cette
peau est à lui» (70, 8). Le schéma,
conforme à l'idée que les progrès, au
cours de l'«état sauvage» (34), résultent
d'un affranchissement de l'espace
et du climat, explique qu'aucun endroit,
aucune richesse, ne sauraient
demeurer la propriété exclusive de
quelque société «locale» que ce soit.
Le droit du premier occupant s'évanouit
! De fil en aiguille, on en vient à
la conclusion que les hommes « ne forment
qu'une seule horde. Un jour,
tous les clans l'admettront» (115,
228) : «Die Arbeiter haben kein Vaterland»
(35). La ressemblance sociale
cimente l'unité du genre humain : «R
n'est-il pas chasseur aussi ?» (2, 27),
c'est-à-dire «travailleur», quoiqu'étranger
? Tous les hommes évoluent
vers ce « point de fuite de toutes
les histoires particulières» qu'entrevoit
P. Ricœur. Plus encore, R se
fonde sur la ressemblance naturelle et
lutte pour «ceux de son espèce» (98,
27), pour ceux qui «sont de la même
race» (25, 49). Il stigmatise les nations
particulières qui se sentent différentes
du reste de l'humanité au point d'en
venir au cannibalisme.
Malgré la barrière génétique, l'homme
nouveau est le concitoyen des animaux,
que R soigne (36, 45) ou « déteste
tuer» (57, 77). La société des animaux
possède, en plus grossier, le.s
traits de celle des hommes. Les bêtes
vivent en famille, chérissent leurs petits
(116, 244). Certaines d'entre elles
sont d'ailleurs plus évoluées, plus
«humaines» (13, 57). Dans la mesure
où la praxis est motrice, il suffit souvent
d'éliminer la « contradiction » qui
fait des fauves les ennemis de
l'homme. Une louve, touchée par la
grâce révolutionnaire, vient lécher R,
sauveteur de son louveteau (83, 67).
Une panthère le «reconnaît» (116,
244)... Il existe des cas limites, qui
mettent en lumière la continuité du vivant.
Les australopithèques, contemorains
de R, sont « Ceux qui ressemblent
tant à Ceux qui marchent
debout» (5, 62). Le nom des singes,
«Ceux qui courent dans les arbres»,
est construit selon le modèle de celui
des hommes. Comme le veut le cliché :
«Quel dommage qu'ils ne parlent
pas !» (113,157), raison pour laquelle
«R n'aime pas que les chasseurs menacent
les quatre mains» (57, 57).
Le tableau serait incomplet sans mention
du cadre géographique. Les sociétés
avancées s'épanouissent dans des
paysages d'allure alpestre, de la « vallée
des fleurs» (72, 25) à la « vallée du
bonheur» (103, 12), au climat tempéré,
aux saisons alternées (5, 49). R
est un Gaulois heureux à la campagne,
dont les excursions scientifiques vers
le Grand Nord, les équipées dans la
jungle, sont temporaires. Une implicite
«théorie des climats» ordonne
l'évolution de la meilleure humanité.
8. La république
à besoin de savants
La volonté de comprendre, l'amour de
la science pure, sont loin d'être absents
: «7? doit savoir, R veut savoir»
(109, 75). Il ose «brandir le flambeau
de la raison » (104, 38) et tire une jubilation
intense de la perspective d'affronter
des mystères nouveaux : «il
-168-