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SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales

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dictions d’œufs et de denrées alimentaires,<br />

et profanes - quête d’œufs, remise de redevances<br />

aux autorités laïques et religieuses.<br />

Chaque maison devait au seigneur, et plus<br />

tard à l’autorité municipale, une redevance<br />

pascale, tout comme à Carnaval:<br />

«Carnaval nous a causé <strong>des</strong> dommages,<br />

Et Pâques reviendra avec les œufs et<br />

les pains.» (10)<br />

«Die Vasnacht hat uns procht zu<br />

grossen scahen,<br />

Das wil die Ostern widerkern mit air<br />

une flade.»<br />

Bénédictions et redevances ne sont pas<br />

sans intérêt, non seulement pour imaginer<br />

mais pour comprendre comment on est<br />

arrivé postérieurement à la coutume du<br />

lièvre de Pâques. Les bénédictions à l’église<br />

sont attestées dès le XI e siècle, l’Église<br />

conserve dans le trésor de ses bénédictions<br />

une formule qui fait <strong>des</strong> œufs présentés à<br />

l’autel, à l’offertoire du Saint jour de<br />

Pâques, l’objet d’un sacramental comme le<br />

pain béni (11) .<br />

Mais il faut attendre la moitié du XVI e<br />

siècle pour avoir <strong>des</strong> informations plus<br />

abondantes et détaillées sur ces bénédictions.<br />

Elles nous parviennent, pour l’essentiel,<br />

<strong>des</strong> humanistes et par la suite <strong>des</strong> prédicateurs.<br />

Leurs écrits sont, à ce propos,<br />

particulièrement éclairants car ils font apparaître<br />

le désir de réforme. Ils voient dans les<br />

rituels <strong>des</strong> pratiques superstitieuses et<br />

magiques. En 1553, Thomas Kirchmaier,<br />

dans son «Regum Papistrum», fait allusion<br />

aux bénédictions d’œufs rouges et d’aliments:<br />

«... Toute la population est invitée à<br />

présenter toutes ces vian<strong>des</strong> et<br />

galettes bien épaisses,<br />

les œufs rouges, les radis noirs, les<br />

produits laitiers, agréables au goût<br />

et tout ce qu’ils veulent avant de les<br />

goûter<br />

c’est les porter à l’église afin que le<br />

prêtre les bénisse.» (12)<br />

«Caetera turba suas carnes, crassasque<br />

placentas,<br />

Ova rubra et raphanos, lactisque<br />

coagula dulcis.<br />

Et quaecumque volunt primo contingere<br />

gustu,<br />

In templum confert, ut consecret ante<br />

sacerdos.»<br />

Aux nourritures bénies à l’église, allant<br />

de pair avec la consommation familiale,<br />

s’ajoutent <strong>des</strong> traditions particulières d’hospitalité,<br />

d’accueil <strong>des</strong> voisins, de tables<br />

ouvertes, rapportée, en 1534, par Sébastien<br />

Franck:<br />

«Le matin du Dimanche de Pâques<br />

on fait bénir sur l’autel le repas,<br />

crème, galette, fromage et hachis. Et<br />

les amis envoient ce qui a été béni ou<br />

bien une galette (...). Cette joyeuse<br />

fête est l’occasion de s’inviter entre<br />

bons amis; on a l’habitude de dresser<br />

sur la table ce qui est bénit, avec<br />

les œufs, mais on honore avant tout<br />

les œufs. Partout, où l’on est, ou bien<br />

là où l’on est invité, on voit les œufs<br />

de Pâques disposés à côté d’autres<br />

mets.» (13)<br />

«Folgt zumorgen <strong>des</strong> Ostertag, da<br />

weihet man den anbiss kram, fladen,<br />

kess, gehäckt auff dem altar, und<br />

schicken die freund eynander <strong>des</strong><br />

geweiheten oder fladens (...). Diss<br />

heuntig so fröhliches Fest vermag<br />

und gibt Anlass, dass anjetzo ein<br />

guter Freund den andern zu Gast<br />

ladet unddas Geweychte auffsetzet,<br />

zu vorderist aber die Oster-Ayr<br />

verehret. Uberall, wo man jetzt hinkommet<br />

oder zu Gast isset, wird man<br />

neben anderen Speisen auch die<br />

Oster-Ayr beylegen.»<br />

Les œufs et les aliments bénis à l’église<br />

par le prêtre tenaient une place d’honneur<br />

sur la table pascale. Parmi ceux-ci figurera<br />

le rôti de lièvre évoqué par le prédicateur<br />

Anasthasius von Dilligen dans son sermon<br />

de Pâques:<br />

«Chez nous les catholiques, on a coutume<br />

de faire bénir, durant la période<br />

pascale, l’agneau pascal, et de cette<br />

manière on fait bénir un rôti<br />

d’agneau, un rôti de lièvre, un rôti de<br />

veau, <strong>des</strong> œufs, de la verdure, du pain<br />

(...). On a l’habitude de dresser sur<br />

la table ces mets bénis avec les œufs<br />

, le fromage, afin d’honorer les voisins<br />

à Pâques et bien longtemps<br />

après.» (14)<br />

«Es ist bey uns catholischen der<br />

Brauch, zur Osterlichen Zeit pflegt<br />

man zu weyhen Agnum Paschalem<br />

und ist dadurch nit nur ein gebratnes<br />

Lämbel, sonder auch ein gebratner<br />

Has, ein Kälbernes Brätel, Ayr,<br />

Kriem, Brot (...), dieses Geweyhte<br />

pflegt man nit allein durch die heilige<br />

Osterfeyrtäg, sonder auch noch lang<br />

hernach sambt Eyr-Käss auffzusetzen<br />

und ein Nachbach den andern zu<br />

ehren.»<br />

Le prédicateur Andréas Strobl, dans son<br />

sermon de Pâques «Un lièvre rôti pour la<br />

bénédiction», associe le lièvre et les œufs:<br />

«Autant du lièvre rôti et maintenant<br />

il ne reste plus que les œufs que<br />

l’on dresse sur la table pendant les<br />

Saints jours de Pâques.» (15)<br />

«So viel von dem gebratnen<br />

Hässlein. Anjetzo seynd noch übrig<br />

die Ayr,<br />

so diese H. Oster-Feyer-Täge auch<br />

auffgesetzet werden.»<br />

C’est sans doute à cette pratique que fait<br />

allusion l’humaniste Johann Fischart quand<br />

il écrit:<br />

«Ne t’en fais pas si le lièvre se sauve<br />

de la broche,<br />

N’avons nous pas les œufs, alors<br />

nous rôtirons le nid!» (16)<br />

«Sorg nit, dass dir der Haas vom<br />

Spiess entlauff:<br />

Haben wir nicht die Eyer, so braten<br />

wir das Näst.»<br />

Cette pratique n’évoque-t-elle pas aussi<br />

une consommation symbolique et domestique<br />

de la chair et du sang du Christ? On<br />

peut se poser la question <strong>des</strong> rapports<br />

actuels entre la tradition liturgique et la tradition<br />

populaire. Il ne semble pas qu’il<br />

s’agisse de deux systèmes opposés, mais<br />

plutôt de deux aspects complémentaires.<br />

Œufs et lièvres sont l’exemple d’une même<br />

pratique religieuse transférée dans le<br />

domaine privé.<br />

Significatifs sont les pains de lièvre dont<br />

la consommation est attestée dès 1534. Ils<br />

ont pour appellation: oreilles de lièvre,<br />

cuillères de lièvre. On les déguste pendant<br />

le Carême (17) . S’agit-il d’un substitut de<br />

la viande interdite pendant le Carême?<br />

A la fin du siècle ils seront consommés<br />

à Pâques et seront offerts aux<br />

enfants par leur parrain et leur marraine.<br />

Nous-mêmes achetons<br />

encore à Pâques les pains d’épice,<br />

en forme de lièvre, à Gertwiller.<br />

Au terme de cette collecte, on<br />

mesure sans doute mieux qu’à la<br />

fin du Moyen Age nous sommes<br />

loin encore <strong>des</strong> pratiques de Pâques<br />

telles que nous les connaissons<br />

aujourd’hui. En effet, on ne connaît<br />

pas encore le lièvre donateur d’œufs qui<br />

occupe une si grande place dans les pays de<br />

langue germanique. Pas de cadeau personnel,<br />

mais de mo<strong>des</strong>tes présents d’œufs<br />

bénis à l’église, partagés au sein <strong>des</strong><br />

membres de la famille et <strong>des</strong> proches voisins.<br />

Si le lièvre de Pâques porteur d’œufs<br />

n’existe pas encore en cette fin du XVI e<br />

siècle, et si l’on voit déjà les germes de<br />

notre coutume, l’on ne peut pas non plus<br />

attribuer son origine d’une façon assurée<br />

aux rituels de Carême. Les consécrations<br />

de nourritures, qui étaient encore en ce<br />

milieu du XVI e siècle à mi-chemin entre le<br />

païen et le chrétien, furent condamnées par<br />

les autorités religieuses, mais il est douteux<br />

que ces règles aient jamais été massivement<br />

respectées. Elles continuaient<br />

d’exister, sans doute, comme le mentionne<br />

un document de 1790-1792 du couvent de<br />

Tegernsee, dans le Tyrol allemand, qui<br />

indique <strong>des</strong> consécrations de fromage,<br />

d’œufs, de gâteaux et de boulettes de<br />

viande.<br />

C’est donc avec une certaine prudence<br />

que nous pouvons dire que la Réforme élimine<br />

de sa liturgie certaines pratiques de<br />

la Semaine Sainte et les transforme en cout<br />

u m e<br />

Plat de Souffleheim. G Wehrung<br />

Le lièvre et l’oeuf<br />

© Musée de Bouxwiller<br />

populaire.<br />

Ainsi au cours du XVII e siècle Saint<br />

Nicolas est évincé au profit de l’Enfant<br />

Jésus (Christkindel) à Noël. A cette<br />

période paraît le premier témoignage de la<br />

coutume du lièvre de Pâques. Il provient<br />

de Georg Franck dans une dissertation<br />

médicale De Ovis paschalibus Satyrae<br />

medicae publiée à Heidelberg en 1682.<br />

L’auteur avait fait ses étu<strong>des</strong> de médecine<br />

à Strasbourg vers 1665. Dans ses souvenirs,<br />

il évoque la coutume:<br />

«Dans le Sud-Est de l’Allemagne,<br />

dans notre Palatinat en Alsace et<br />

dans les régions avoisinantes, ces<br />

œufs de Pâques sont nommés «œufs<br />

de lièvre». On fait croire aux personnes<br />

naïves et aux enfants, que<br />

c’est le lièvre qui pond ces œufs, dans<br />

les buissons et ailleurs, afin qu’ils les<br />

cherchent au grand amusement <strong>des</strong><br />

adultes.» (18)<br />

«In Germania Superiore, Palatinatu<br />

nostrate, Alsatia et vicinis locis<br />

vocantur haec ova die Hasen-<br />

Eier a fabula, qua simplicioribus<br />

et infantibus<br />

imponunt Leporem (der<br />

Oster-Hase) ejusmodi<br />

ova excludere et in<br />

hortis in gramine,<br />

fructicetis etc. abscondere,<br />

ut studiosius<br />

a pueris investigentur<br />

cum risu et jucunditate<br />

seniorum.»<br />

Les deux communautés,<br />

séparées par le dogme, resteront<br />

unies au niveau de la tradition du<br />

lièvre de Pâques comme en témoigne<br />

Gustave Gugitz:<br />

«Chez les Luthériens, de Souabe et<br />

de Franconie, il est aussi coutume de<br />

s’offrir <strong>des</strong> œufs à cette époque<br />

(Pâques). On les appelle les œufs de<br />

lièvre. On dit du lièvre qu’il fait <strong>des</strong><br />

tours de magie le Jeudi vert, entre<br />

autre il pond, ce jour, <strong>des</strong> œufs<br />

rouges. On parle aussi d’œufs de<br />

lièvre pour les œufs rouges à<br />

Würzburg et à Mayence. Dans la<br />

région de la Souabe, dans le<br />

Palatinat électoral, en Franconie,<br />

(dans <strong>des</strong> lieux protestants) il est<br />

coutume de cacher ça et là dans la<br />

maison <strong>des</strong> œufs rouges, de persua-<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22<br />

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<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22<br />

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