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SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales

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arriverait à partager <strong>des</strong> facultés propres à<br />

l’animal sauvage.<br />

A l’image de l’échelle <strong>des</strong> fièvres existe<br />

une distribution ordonnée <strong>des</strong> venaisons.<br />

Sera tabou (y compris pour les chiens) la<br />

consommation <strong>des</strong> entrailles considérées<br />

comme réservoir du sang noir.<br />

Quel risque encourt-on en ingérant ce<br />

mauvais sang? Ce sang sauvage chargé<br />

d’énergie trop forte pour que les femmes<br />

puisse le supporter.<br />

Sang noir et fureur<br />

Dans toute l’Europe <strong>des</strong> récits mettent<br />

en scène <strong>des</strong> guerriers chasseurs en proie à<br />

une fureur sauvage. Wodan le dieu guerrier,<br />

les hommes loups, les Ména<strong>des</strong> rendues<br />

hagar<strong>des</strong> par la mania, cette fureur qui les<br />

transportent dans le monde sauvage...<br />

Omophagie, chaleur intense et transe<br />

extatique sont trois éléments associés au sauvage.<br />

La fureur est engendrée par l’ingestion<br />

de la chair sauvage ou du sang noir...<br />

Et si l’on se demande ce que mange le<br />

héros ensauvagé on s’aperçoit que coexistent<br />

deux types d’ensauvagement, le très<br />

sauvage: celui qui dévore la chair crue et le<br />

moins sauvage vivant de la cueillette.<br />

Sang noir, fureur,<br />

fièvre et bile noire<br />

Fureur par ingestion de sang noir. Or les<br />

mauvaises fièvres sont dues à la bile noire<br />

(conçue comme une combustion de la bile<br />

jaune). Pour Pline déjà elle est la plus mauvaise<br />

<strong>des</strong> excrétions du sang. La physiologie<br />

humorale assigne une place à la bile<br />

noire qui à l’instar <strong>des</strong> autres humeurs doit<br />

constituer un mélange harmonieux.<br />

Mais la bile noire est instable. Quand<br />

elle se refroidit elle stagne dans l’organisme<br />

rendant l’homme mélancolique; si elle<br />

s’échauffe, elle bouillonne et cherche à<br />

s’épancher hors du corps. Les fureurs les<br />

plus noires se profilent...<br />

Depuis Hippocrate on tient l’eau et le feu<br />

pour responsables de l’existence et du<br />

maintien de la vie. Si le feu prédomine,<br />

l’équilibre est rompu, le corps se <strong>des</strong>sèche,<br />

la bile noire est rôtie, montant au cerveau<br />

elle rend fou...<br />

Explication de l’ensauvagement: il<br />

serait du à cette rupture d’équilibre. La<br />

forme paroxystique de l’ensauvagement<br />

étant la folie et en particulier la rage.<br />

Sang noir,<br />

Fureur noire - rage<br />

Jusqu’à Pasteur on fait de la rage une<br />

fureur noire. Car l’étiologie traditionnelle<br />

renvoie au sang noir. Au cours de l’histoire<br />

la rage se voit associée à la fureur inspiratrice<br />

du mélancolique. Il y aurait un souffle<br />

qui permettrait à l’homme de se métamorphoser<br />

en bête et d’accéder à l’invisible.<br />

Mais ce souffle est considéré comme un<br />

mauvais souffle qui conduit à un contact<br />

avec Satan. La rage est associée au démon,<br />

en témoignent les principales plantes utilisées<br />

pour la combattre et qui le seront aussi<br />

contre la sorcellerie.<br />

Mais Satan mis en avant par la religion<br />

chrétienne cache en réalité la silhouette de<br />

Saturne, l’astre de la divination.<br />

Et de poser l’hypothèse: et si à l’instar de<br />

Satan cette planète utilisait le sang noir pour<br />

exercer son emprise sur les humains. Un<br />

traité du 3 e siècle av. J.C, d’un prêtre égyptien,<br />

impute à Saturne la responsabilité de<br />

faire bouillonner la bile noire et de déclencher<br />

la folie. La planète noire est celle qui<br />

peut conduire l’homme aux prophéties. Sont<br />

ainsi en permanence associées fureur, bile<br />

noire, folie, contact avec l’autre monde.<br />

De la rage on va ainsi passer à la mythologie<br />

par la figure de Saturne - Cronos à la<br />

fois fécondateur et castrateur conduisant<br />

dans les croyances collectives à l’idée que<br />

toute naissance doit être précédée d’un<br />

sacrifice sanglant.<br />

Pour couronner cette démonstration<br />

l’auteur introduit la figure de Saint Hubert,<br />

patron <strong>des</strong> chasseurs, guérisseur <strong>des</strong> enragés,<br />

<strong>des</strong> possédés, <strong>des</strong> ensorcelés. St Hubert<br />

exorciste. Les moines de St Hubert effectueront<br />

une croix sanglante par la taille du front<br />

du malade. L’homme en prenant un nouveau<br />

souffle accédera à une nouvelle vie.<br />

Mais Saint Hubert est aussi le guérisseur<br />

de la rage dont on pense que les effets peuvent<br />

se prolonger au delà de la vie terrestre.<br />

Car Saint-Hubert va aussi nous transporter<br />

au coeur de ces chasses sauvages qui hantent<br />

l’imaginaire européen.<br />

Fureur, chasse sauvage<br />

et monde <strong>des</strong> morts<br />

Saint Hubert est un passeur d’âmes. Et<br />

en particulier <strong>des</strong> âmes maudites condamnées<br />

à l’errance sauvage éternelle. Maudites<br />

en effet et le thème de la chasse sauvage<br />

nous rappelle d’une part la relation que l’on<br />

établit entre passion cynégétique et fureur<br />

diabolique et entre les chasseurs et leur attirance<br />

pour le sang.<br />

Ce thème de la chasse sauvage est une<br />

fois de plus introduit et exploré à partir du<br />

sang noir. Wodan et les chasses sauvages<br />

partagent une même fureur qui confine à la<br />

rage, celle de verser le sang. Cependant si<br />

l’Église a laissé transparaître uniquement le<br />

pôle négatif du sang noir, Bertrand Hell<br />

dépasse cette interprétation. Des hommes<br />

montant <strong>des</strong> chevaux chassent durant la<br />

période hivernale. Ils ne sont pas que <strong>des</strong><br />

fantômes mais <strong>des</strong> morts qui surgissent<br />

pour un temps dans le monde <strong>des</strong> vivants.<br />

Ils se nourrissent de sang (sacrificiel) et<br />

s’abreuvent de bière (celle là même que l’on<br />

place sur les tombes à la Toussaint dans les<br />

pays germaniques). On les abreuve et on les<br />

nourrit. Pourquoi? Le contre-don attendu<br />

est entièrement placé sous le signe de la<br />

puissance génésique. Et à cette fécondité<br />

<strong>des</strong> animaux répond en outre l’abondance<br />

<strong>des</strong> récoltes.<br />

La démonstration est faite: le mythe de<br />

la chasse sauvage est à relier à l’ensemble<br />

<strong>des</strong> cultes de fertilité.<br />

Alors d’où vient l’origine de ce souffle<br />

fécondant véhiculé par la troupe <strong>des</strong> chasseurs<br />

sauvages. C’est du côté de la Voie<br />

Lactée qu’il faut chercher. Car «La Voie<br />

Lactée est le chemin de la Chasse Sauvage»,<br />

représentation largement diffusée dans le<br />

temps et dans l’espace. Ce qui conduit<br />

l’auteur à suivre sur un plan astronomique la<br />

structure symbolique: Chasse/mort /fécondité<br />

car la Voie Lactée depuis l’Antiquité est<br />

la route <strong>des</strong> âmes. Idée qui va perdurer dans<br />

l’imaginaire collectif européen et reprise par<br />

la tradition chrétienne, elle deviendra le chemin<br />

de Saint Jacques, le plus grand <strong>des</strong><br />

saints passeurs.<br />

Au coeur de cette approche anthropologique<br />

décryptant les co<strong>des</strong> qui imposent aux<br />

sociétés européennes un ordre dans les rapports<br />

qu’elles entretiennent avec le monde<br />

non domestique, surgit la figure du cerf.<br />

Pourquoi l’animal n’a-il pas été domestiqué?<br />

Le cerf aurait-il occupé une position<br />

clef dans le bestiaire sauvage? Reprenant<br />

l’hypothèse de J.D. VIGNE, l’auteur rappelle<br />

l’idée d’une incompatibilité profonde<br />

entre la domestication de l’espèce et<br />

l’exploitation sociale de la valeur symbolique<br />

<strong>des</strong> cerfs. Seule une appropriation de<br />

l’animal par la chasse, technique valorisante<br />

pouvait être envisagée.<br />

L’étude <strong>des</strong> Maîtres du Sauvage, c’est-àdire<br />

<strong>des</strong> divinités tutélaires montre la prééminence<br />

du cerf dans les systèmes de représentations<br />

de tout le continent eurasiatique.<br />

Cerf associé à la mort et dispensateur de<br />

fécondité. Que ce soit Cernunnos [le maître<br />

cornu au front coiffé de bois (renaissants)]<br />

ou Artémis la maîtresse <strong>des</strong> fauves qui entretient<br />

une relation privilégiée avec le cerf et<br />

qui oppose deux pôles, celui de la déesse<br />

nourricière et celui de la déesse enragée,<br />

dont le sang noir bouillonne et le souffle <strong>des</strong>sèche.<br />

Ou encore Saint Hubert à qui l’on<br />

offre <strong>des</strong> cerfs, en prémisse de la chasse.<br />

Que signifient les sacrifices cynégétiques<br />

relatés durant tout le Moyen Age, ces<br />

cornes de cerf que l’on accroche devant les<br />

églises. Malgré la christianisation, et la primauté<br />

du Nouveau Sang, souffle de vie, le<br />

sang du Christ et par conséquent le refoulement<br />

<strong>des</strong> fureurs sauvages associées au<br />

bouillonnement du sang noir, dans le monde<br />

européen une idée se maintiendra: le chasseur<br />

peut devenir le gibier, la fureur peut<br />

basculer dans la rage.<br />

La démarche anthropologique a l’intérêt<br />

de poser l’ensemble <strong>des</strong> éléments qui composent<br />

un événement ou institution à plat et<br />

d’analyser les connexions qui s’établissent<br />

entre chacun <strong>des</strong> éléments. En partant du<br />

sang noir ce sont les relations <strong>sociales</strong>, les<br />

mythes, les pratiques de chasse, la médecine,<br />

les saints protecteurs qui ont été interrogés<br />

tour à tour et mis en correspondances.<br />

Ce flux sauvage pensé comme un débordement<br />

de sang noir accompagné de chaleur<br />

est en fait le vecteur d’une puissante<br />

vigueur sexuelle. C’est au moment du rut<br />

que les chasseurs se lancent à la poursuite<br />

du cerf. Et le temps de la chasse se superpose<br />

au temps du rut. Car les chasseurs<br />

cherchent à capter une part de ce flux sauvage.<br />

Être en contact avec ce flux sauvage<br />

revient à s’imprégner du souffle vital et de<br />

la forme sexuelle que véhiculent les animaux<br />

sauvages.<br />

Le sang chaud ne doit pas être bu, voilà<br />

pourquoi l’animal doit être saigné «une<br />

chair exsangue devient végétalisée,<br />

asexuée» dit F. Héritier Augé. Par contre<br />

chacun verra dans le trophée le substitut non<br />

périssable du sexe. Car la tête est le siège<br />

privilégié de l’âme et bien <strong>des</strong> croyances<br />

populaires témoignent d’une connexion<br />

entre cerveau, moelle épinière et sperme.<br />

On en revient à la première question<br />

posée sur la place du sauvage dans notre<br />

société. Bertrand Hell conclue en affirmant<br />

que notre société a voulu refouler le sauvage.<br />

Nous sommes passés d’une société de<br />

chasseurs à une sociétés d’éleveurs et<br />

d’agriculteurs, et dans la religion chrétienne<br />

le sang du Christ n’a plus rien à voir avec le<br />

sang de la bête immolée. Malgré tout,<br />

aujourd’hui on ne consomme pas plus de<br />

cerf; il n’y a pas de demande de viande<br />

noire. Preuve en est que le besoin est bien<br />

déterminé par la culture et que dans ce cas<br />

la force <strong>des</strong> symboles perdure...<br />

Isabelle BIANQUIS<br />

Les enfants<br />

de la Reine de Saba<br />

Daniel FRIEDMAN<br />

Ulysses SANTAMARIA<br />

Les Juifs d’Éthiopie (Falachas)<br />

histoire, exode, intégration, Ed<br />

Métailié, Paris, 1994, 441 p.<br />

Kayla (celui qui ne traverse pas la mer),<br />

Falachas (terme signifiant émigrer),<br />

Beta Israël (maison, ou famille d’Israël), Juifs<br />

éthiopiens, autant de dénominations qui<br />

désignent une seule communauté juive, oui<br />

mais quelle communauté!<br />

Les historiens discutent son origine qui<br />

se perd dans la nuit <strong>des</strong> temps; elle oscille<br />

sans cesse entre légen<strong>des</strong> et réalité. La tradition<br />

orale la considère comme <strong>des</strong>cendante<br />

de l’escorte qui accompagna le prince<br />

Menelik I er , (né <strong>des</strong> amours coupables du roi<br />

Salomon et de la Reine de Saba) qui après<br />

avoir volé l’Arche d’Alliance dans le<br />

Temple de Jérusalem, prit la fuite et se réfugia<br />

à Axum. Mais aussi comme ayant pour<br />

ascendance <strong>des</strong> Juifs qui, au cours de<br />

l’Exode, s’opposèrent à Moïse quant à la<br />

route à suivre pour rallier la terre promise.<br />

En suivant leur propre itinéraire, ils se<br />

seraient égarés vers le pays de Couch. Les<br />

Falachas pourraient également être les <strong>des</strong>cendants<br />

d’une <strong>des</strong> dix tribus perdues<br />

d’Israël, celle de Dan. L’histoire, l’archéologie,<br />

la linguistique mais aussi la génétique<br />

<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22<br />

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<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22<br />

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