SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales
SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales
SCRE95 F1 M1 - Revue des sciences sociales
Create successful ePaper yourself
Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.
estiment que les Beta Israël appartiennent<br />
au groupe agäw qui représente le peuplement<br />
initial de l’Éthiopie.<br />
L’histoire religieuse de ce pays est extrêmement<br />
complexe et les chercheurs s’opposent<br />
sur la question de l’antériorité du<br />
judaïsme sur le christianisme dans cette<br />
région. Pour Joseph Halévy (orientaliste juif<br />
du XIX e siècle et président de l’École pratique<br />
<strong>des</strong> Hautes Étu<strong>des</strong>), qui fut le premier<br />
émissaire juif à prendre contact avec les<br />
Falachas en 1867, la voie la plus plausible<br />
de l’émigration juive dans cette zone trouve<br />
ses racines dans la conquête du Yémen par<br />
l’Éthiopie en 525 après Jésus Christ. Cette<br />
défaite yéménite aurait entraîné une déportation<br />
massive <strong>des</strong> populations juives de ce<br />
pays vers l’Éthiopie.<br />
C’est au XIV e siècle que l’appellation<br />
Ayhud (juif) fait son apparition dans les chroniques<br />
de guerre de l’empereur chrétien<br />
Amada Seyon (1314-1344). Il y raconte qu’il<br />
s’est battu contre <strong>des</strong> gens qui étaient:<br />
«comme <strong>des</strong> juifs [...] ils nient le Christ<br />
comme le Messie et rejettent Marie.» A partir<br />
du XV e siècle, <strong>des</strong> guerres vont opposer<br />
les Beta Israël au pouvoir impérial. Ils se battent<br />
pour le maintien de leur indépendance,<br />
et refusent de payer l’impôt réclamé par le<br />
souverain. La rébellion <strong>des</strong> Beta Israël est<br />
rapidement vaincue et aura <strong>des</strong> conséquences<br />
sur leur mode de vie qui perdureront jusqu’au<br />
vingtième siècle. Après cette défaite, ils se<br />
retirent dans les montagnes du Seimens et se<br />
spécialisent dans l’artisanat et dans le métier<br />
de forgeron dont ils auront bientôt le quasimonopole,<br />
ce qui leur vaudra plus tard leur<br />
réputation de sorciers. C’est également à<br />
cette époque que se développe le monachisme<br />
chez les Beta Israël (phénomène<br />
unique dans le monde juif). Les moines<br />
jouent un rôle à la fois religieux et politique<br />
et contribuent activement à la résistance <strong>des</strong><br />
Falachas contre le pouvoir de l’empereur et<br />
l’expansion du christianisme.<br />
A partir de 1860 <strong>des</strong> missionnaires protestants<br />
arrivent en Éthiopie. Ils distribuent<br />
<strong>des</strong> bibles, et les Beta Israël acceptent l’aide<br />
qu’ils leur proposent, ils les considèrent<br />
comme issus d’une civilisation plus riche et<br />
plus moderne que la leur. Les protestants<br />
leur affirment que seul l’isolement les a privés<br />
du progrès que représente la venue du<br />
Christ. Ils ouvrent <strong>des</strong> écoles dans les villages<br />
<strong>des</strong> Beta Israël, mais n’effectuent<br />
aucune pression sur eux en ce qui concerne<br />
la conversion. Les Falachas restent<br />
d’ailleurs réticents et celles-ci sont rares.<br />
Pourtant les Beta Israël se sentent déstabilisés<br />
et en 1862 une première vague tente le<br />
long voyage qui doit la conduire en terre<br />
promise, mais la majeure partie du groupe<br />
périt en route.<br />
C’est en fait l’action <strong>des</strong> missionnaires<br />
(qui considèrent les Beta Israël comme étant<br />
<strong>des</strong> juifs) qui va susciter l’intérêt <strong>des</strong> Juifs<br />
d’Occident pour cette communauté. Ainsi<br />
en 1867 Joseph Halévy débarque en Éthiopie.<br />
Dans un de ses courriers à l’Alliance<br />
Israélite, il propose l’organisation de l’émigration<br />
massive <strong>des</strong> Falachas vers la<br />
Palestine, mais ceux-ci vont devoir attendre<br />
plus de cent ans avant qu’un tel projet se<br />
réalise. Quarante ans plus tard, l’un de ses<br />
élèves, Jacques Faitlovitch arrive à son tour<br />
en Éthiopie. Il y trouve les Beta Israël dans<br />
<strong>des</strong> conditions de dénuement extrême, <strong>des</strong><br />
catastrophes naturelles (peste bovine,<br />
famine) ont ravagé la région dans laquelle<br />
ils vivent et plus de la moitié de la population<br />
a péri. Ce «cataclysme» a eu pour<br />
conséquence une forte vague de conversions<br />
au christianisme, mais aussi dans le<br />
cas de ceux qui sont restés fidèles au<br />
judaïsme <strong>des</strong> modifications de leur mode de<br />
vie qui a évolué vers la laïcisation.<br />
Il faut attendre 1924 pour que les journaux<br />
juifs d’Occident ouvrent leurs pages<br />
au débat: «Les Falachas sont-ils Juifs?»<br />
C’est alors qu’une polémique oppose les<br />
partisans de la reconnaissance <strong>des</strong> Beta<br />
Israël comme juifs à part entière, à ceux qui<br />
ne leur reconnaissent aucun lien avec le<br />
judaïsme. Faitlovitch qui a fait sienne la<br />
cause <strong>des</strong> Beta Israël ne se décourage pas,<br />
il parcourt le monde et crée <strong>des</strong> comités de<br />
soutien aux Falachas. Il parvient ainsi à<br />
trouver les fonds nécessaires à la création<br />
d’écoles juives pour les Beta Israël en<br />
Éthiopie. En 1935, le pays se trouve sous le<br />
contrôle <strong>des</strong> Italiens. Tous les étrangers<br />
sont contraints de quitter le pays, les écoles<br />
juives ferment peu à peu et le pouvoir fasciste<br />
met en place <strong>des</strong> lois antijuives, qui<br />
seront en usage jusqu’en 1941. Après la<br />
seconde guerre mondiale, Faitlovitch<br />
continue à défendre la cause <strong>des</strong> Beta Israël<br />
mais il se heurte à un monde juif traumatisé<br />
par la guerre et la Shoa. C’est presque<br />
seuls que les Falachas doivent lutter pour<br />
faire reconnaître leur identité juive et leur<br />
droit au retour en Israël. Leurs voix commencent<br />
à être entendues en 1973 avec la<br />
déclaration du grand rabbin séfarade<br />
Ovadia Yossef qui identifie les Beta Israël<br />
comme les <strong>des</strong>cendants de la tribu de Dan.<br />
En 1975, le comité interministériel israélien<br />
accorde aux juifs d’Éthiopie le bénéfice<br />
de la loi du Retour, qui leur permet<br />
d’émigrer en Israël et d’accéder à la nationalité.<br />
En fait, les premiers émigrants Falachas<br />
sont arrivés en Israël presque clan<strong>des</strong>tinement<br />
vers 1965. Le premier départ légal est<br />
organisé en 1977, il concerne 121 personnes,<br />
mais le gouvernement éthiopien<br />
met rapidement un terme à cet exode naissant.<br />
En Israël, les autorités religieuses leur<br />
imposent une cérémonie de conversion<br />
symbolique, ce qui montre bien leurs réticences<br />
quant à la reconnaissance de la<br />
judéité <strong>des</strong> Beta Israël. Entre 1982 et 1984<br />
les services secrets israéliens et la CIA<br />
mènent six opérations clan<strong>des</strong>tines d’évacuation<br />
à partir de camps de réfugiés au<br />
Soudan. Ainsi, près de 4000 Falachas<br />
gagnent Israël dans <strong>des</strong> conditions précaires<br />
et quelquefois rocambolesques. Du 20 novembre<br />
au 6 janvier 1985, l’opération<br />
Moïse est mise en place, elle vise à évacuer<br />
du Soudan les derniers réfugiés juifs<br />
d’Éthiopie. Celle-ci prend fin prématurément<br />
et une catastrophe diplomatique est<br />
évitée de justesse. En 1986, on compte<br />
16 640 Falachas en Israël.<br />
Durant les trois années qui suivent la fin<br />
de l’opération Moïse, la situation politique<br />
de l’Éthiopie évolue considérablement. En<br />
1989, Israël renoue <strong>des</strong> relations diplomatiques<br />
avec elle et la question de l’émigration<br />
<strong>des</strong> Falachas est de nouveau d’actualité.<br />
Les Beta Israël reprennent espoir et<br />
affluent vers Addis-Abeba où ils se pressent<br />
aux portes de l’ambassade d’Israël. Le 23<br />
mai 1991, le gouvernement éthiopien donne<br />
son feu vert et l’opération Salomon débute,<br />
l’évacuation massive <strong>des</strong> Beta Israël peut<br />
commencer. Celle-ci est tellement importante<br />
que les centres d’accueil en Israël sont<br />
rapidement dépassés par les événements; en<br />
quelques jours ce sont près de 14 000 Beta<br />
Israël qui arrivent en «terre promise».<br />
L’arrivée <strong>des</strong> Falachas en Israël ne règle<br />
pas pour autant la question de leur immigration.<br />
Ils représentent une population inconnue<br />
<strong>des</strong> Israéliens, leur intégration pose de<br />
nombreux problèmes aux autorités, problèmes<br />
qui portent autant sur leur passé que<br />
sur leur avenir. La société israélienne est<br />
composite, elle résulte de l’émigration de<br />
différents groupes de juifs. Avec l’arrivée<br />
<strong>des</strong> Beta Israël, elle se trouve confrontée à<br />
<strong>des</strong> distorsions et à <strong>des</strong> distanciations<br />
<strong>sociales</strong>, religieuses et culturelles qu’elle n’a<br />
jamais connues auparavant. De plus, les juifs<br />
éthiopiens sont noirs; ce ne sont certes pas<br />
les premiers juifs noirs à émigrer en Israël et<br />
c’est en fait plus leur nombre que leur couleur<br />
de peau qui déséquilibre les Israéliens.<br />
Les Beta Israël sont logés provisoirement<br />
dans <strong>des</strong> hôtels et <strong>des</strong> caravanes, mais<br />
le provisoire devient définitif et après plus<br />
d’un an les autorités israéliennes ne parviennent<br />
toujours pas à régler la situation.<br />
Il faut dire à leur décharge qu’à la même<br />
époque Israël accueille un grand nombre de<br />
Juifs venant <strong>des</strong> ex-républiques de<br />
l’U.R.S.S. Les Falachas décident alors de<br />
<strong>des</strong>cendre dans les rues afin de réclamer <strong>des</strong><br />
logements décents dans les villes et non<br />
plus dans les périphéries. Pour eux, seul ce<br />
type de manifestation peut leur permettre de<br />
faire entendre leurs voix. C’est donc de<br />
cette manière que les Beta Israël présentent<br />
leurs diverses revendications et se battent<br />
pour leur assimilation, comme les Juifs<br />
d’Inde l’avaient fait avant eux.<br />
Différents problèmes restent à régler et<br />
tout d’abord celui de leur intégration religieuse.<br />
Le monopole du rabbinat met à<br />
l’écart les prêtres Falachas qui sont <strong>des</strong>saisis<br />
de leur légitimité, principalement en ce<br />
qui concerne les mariages. Au-delà de ceci,<br />
c’est l’ensemble <strong>des</strong> règles religieuses qui<br />
régissaient jusqu’alors la vie <strong>des</strong> Beta<br />
Israël qui se trouve remis en cause et qui<br />
déstabilise la communauté. Les rabbins<br />
orthodoxes profitent de ce désarroi provisoire<br />
pour les attirer dans leurs écoles et<br />
normaliser leur judaïsme. Les Beta Israël<br />
souffrent également de la méconnaissance<br />
de l’hébreu qui les handicape dans leur vie<br />
de tous les jours et qui bloque le processus<br />
d’intégration <strong>des</strong> adultes. Quant aux<br />
enfants, ils sont la plupart du temps inscrits<br />
dans <strong>des</strong> écoles religieuses d’état. Le système<br />
scolaire israélien consacre les aprèsmidi<br />
à <strong>des</strong> activités parascolaires payantes<br />
et facultatives; les parents éthiopiens ont<br />
beau désirer que leurs enfants réussissent à<br />
l’école, leurs moyens ne leur permettent<br />
pas de payer la participation à ces activités.<br />
Pourtant, malgré ces obstacles, les Falachas<br />
font preuve d’un véritable désir<br />
d’apprendre, d’étudier et ainsi de faciliter<br />
leur insertion. Les Juifs éthiopiens se trouvent<br />
confrontés au double problème de<br />
l’intégration et de la perte de leur identité<br />
aussi bien sociale que religieuse; ils sont<br />
pris dans le tourbillon de l’acculturation.<br />
Ces transformations forcées ont <strong>des</strong> répercutions<br />
plus particulièrement sur l’organisation<br />
<strong>des</strong> familles qui doivent s’adapter à<br />
de nouveaux critères et à de nouveaux statuts,<br />
principalement celui <strong>des</strong> femmes, qui<br />
<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22<br />
176<br />
<strong>Revue</strong> <strong>des</strong> Sciences Sociales de la France de l’Est, 1995, n° 22<br />
177