Revue Humanitaire n°13 - décembre 2005 - Médecins du Monde
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Table<br />
ronde<br />
y sont allés, 15 chirurgiens en train d’essayer d’attraper un blessé qui<br />
leur échappait et qui s’était peut-être cassé la figure en déballant une<br />
caisse. Bref, c’était vraiment totalement ridicule.<br />
Mais il est un autre point dont les médias n’ont pas ren<strong>du</strong> compte,<br />
et d’une certaine manière heureusement pour nous, c’est la façon<br />
dont chaque ONG construisait en fonction de son propre répertoire<br />
d’actions, les besoins qui étaient censés avoir été provoqués par le<br />
tsunami. C’est ainsi, par exemple, qu’on a enten<strong>du</strong> parler d’orphelins<br />
livrés au racket des pédophiles, car chacun semblait tenir pour évident<br />
que le Sri Lanka et l’Indonésie sont remplis de pédophiles qui<br />
sortent <strong>du</strong> bois dès qu’il y a un problème tandis que les enfants y<br />
sont abandonnés ! L’image <strong>du</strong> « sauvage » est revenue avec une<br />
spontanéité et les civilisés allaient mettre de l’ordre dans cela : c’est<br />
aussi dans ce schéma-là, je crois, que prend place la représentation<br />
<strong>du</strong> tsunami. D’autres associations spécialistes en hydrologie, en irrigation,<br />
en approvisionnement en eau se sont mises à apporter de<br />
l’eau. Or, chacun sait qu’il suffit de planter un doigt dans la terre <strong>du</strong><br />
Sri Lanka pour trouver de l’eau ! Bref, personne n’avait besoin que<br />
l’on cherche de l’eau et pourtant on avait des hydrologues, des techniciens,<br />
des réservoirs, etc.<br />
De même, il a déjà été fait allusion aux questions des blessés et des<br />
épidémies. Rappelons-nous ce fait : aucune catastrophe naturelle n’a<br />
jamais provoqué d’épidémie. Mais le patron <strong>du</strong> Département<br />
« Health in crisis » de l’OMS, David Nabarro, l’homme qui est donc<br />
censé prendre la parole et organiser l’action dans les situations d’urgence,<br />
nous annonçait de 150 000 à 200 000 morts par typhoïde, par<br />
choléra et même par paludisme ! Une épidémie de paludisme créée<br />
par l’eau de mer ! C’est dire si on atteignait des sommets dans le<br />
délire : comment peut-on, à ce point, perdre la raison ?<br />
Voilà, me semble-t-il, quels étaient les problèmes et je pense — cela<br />
m’est d’autant plus facile de le dire ici que les choses se sont très<br />
bien passées avec MDM — que le mouvement des ONG d’aide opérationnelle<br />
a manqué une belle occasion de montrer qu’il n’était pas<br />
immédiatement estourbi par l’ouragan médiatique et qu’il pouvait<br />
manifester collectivement un certain professionnalisme et <strong>du</strong> sangfroid.<br />
C’est cette catastrophe qui touche les humanitaires et sur<br />
laquelle nous devrions tous nous interroger.<br />
Autre point que je souhaitais aborder : toute catastrophe naturelle<br />
est politique. Les catastrophes naturelles prennent place dans des<br />
sociétés ; or, toute société est historique. En ce sens les événements<br />
qui s’y déroulent, par définition politiques, interagissent très<br />
étroitement avec la catastrophe. Je rappelle qu’une des circonstances<br />
de naissance de MSF, c’est la sécession <strong>du</strong> Pakistan oriental,<br />
elle-même accélérée par une catastrophe naturelle d’une ampleur<br />
tout à fait exceptionnelle qui avait provoqué environ 250 000 ou 300 000<br />
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