La méthode naturel<strong>le</strong> de <strong>le</strong>ctureà la lumière de 1. P. Pavlovpar J. VUlLLETQue l'œuvre de Pavlov soit à l'origine de découvertes marquantes dans larecherche fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> (problème des rapports <strong>en</strong>tre <strong>le</strong> langage et la p<strong>en</strong>sée ... )et de techniques particulièrem<strong>en</strong>t avantageuses dans des domaines aussi capitauxque la médecine (accouchem<strong>en</strong>t sans dou<strong>le</strong>ur, cure de sommeil ... ) ou lapsychiatrie (rééducation de la paro<strong>le</strong> ... ), nul ne <strong>le</strong> conteste aujourd'hui. Cequ'on sait moins, c'est qu'el<strong>le</strong> a des incid<strong>en</strong>ces directes sur la pédagogie.L'appr<strong>en</strong>tissage de la <strong>le</strong>cture est là pour <strong>le</strong> montrer., .. * *Jusqu'à Decroly, il a paru évid<strong>en</strong>t qu'une seu<strong>le</strong> méthode était possib<strong>le</strong>, "àsa<strong>voir</strong> la méthode synthétique. Que dit, <strong>en</strong> effet, la logique? Pour lire, il fautconnaître <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres puis <strong>le</strong>urs combinaisons: comm<strong>en</strong>çons donc par faireid<strong>en</strong>tifier successivem<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s 26 <strong>le</strong>ttres de l'alphabet dans l'ordre .qui s'y prête<strong>le</strong> mieux; et, après seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,- appr<strong>en</strong>ons à <strong>le</strong>s assemb<strong>le</strong>r <strong>en</strong> syllabes, puis <strong>en</strong>mots et <strong>en</strong>fin <strong>en</strong> phrases. Cette méthode mérite bi<strong>en</strong> la qualification de « traditionnel<strong>le</strong>»puisqu'on n'a pas opéré autrem<strong>en</strong>t jusqu'au début du sièc<strong>le</strong>.El<strong>le</strong> continuerait son règne si <strong>le</strong> docteur Decroly n'avait découvert ce qu'onappel<strong>le</strong> aujourd'hui « <strong>le</strong> globalisme» de la perception. Quand l'œil déchiffrepour la première fois, il appréh<strong>en</strong>de d'emblée aussi bî<strong>en</strong> l'<strong>en</strong>semb<strong>le</strong> (d'unemanière <strong>en</strong>core confuse, évidemm<strong>en</strong>t) que <strong>le</strong>s détails: d'où l'idée d'une méthodec globa<strong>le</strong>» qui consiste au contraire à partir du' mot et même de la phrase.Thèse et antithèse: il manquait la synthèse. On crut la trouver dans laméthode mixte : <strong>en</strong> réalité, la perception <strong>en</strong>fantine s'avère simultaném<strong>en</strong>t« globa<strong>le</strong>» et « pointilliste» (avec prop<strong>en</strong>sion plus marquée dans un s<strong>en</strong>s oudans l'autre, selon <strong>le</strong>s individus) ; toute opération m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> chez l'adulte et, àplus forte raison, chez l'<strong>en</strong>fant, débute par une phase de syncrétisme; dès lors,il est parfaitem<strong>en</strong>t indiqué de comm<strong>en</strong>cer par <strong>le</strong> mot, mais à condition defavoriser presque immédiatem<strong>en</strong>t l'analyse; la bonne méthode ne peut êtrequ'une méthode « mixte », c'est·à·dire un compromis <strong>en</strong>tre .la méthode « analytique»et la méthode « synthétique ».1:.An·alyse et synthèse : il est bi<strong>en</strong> exact que ces deux démarches fondam<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>sde. l'esprit sont à l'œuvre dans l'initiation à la <strong>le</strong>cture et qu'el<strong>le</strong>s <strong>le</strong> sontsimultaném<strong>en</strong>t. Pourrait·il, d'ail<strong>le</strong>urs, <strong>en</strong> être autrem<strong>en</strong>t, puisque cette collaborationse retrouve dans tous <strong>le</strong>s domaines? Là·dessus, pas de contestationpossib<strong>le</strong>.Mais <strong>en</strong> résulte-t·il ipso facto ce compromis que représ<strong>en</strong>te la méthode mixte,à la manière purem<strong>en</strong>t empirique et fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t très éc<strong>le</strong>ctique dont on l'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>dd'ordinaire?14
C!~st ·<strong>le</strong> grand mérite de Freinet d'a<strong>voir</strong> appurté la lumière sur ce pointdans l'étude intitulée:« La méthode globa<strong>le</strong>, cette ga<strong>le</strong>use! » (1).·()Il "y a,effectivem<strong>en</strong>t, globalisme et pointillisme tout à la fois: «De touttemps, l'<strong>en</strong>fant .a éprouvé <strong>le</strong> besoin de sout<strong>en</strong>ir la <strong>le</strong>cture analytique, syllabe;;tprès syllabe et mot à mot, par un mécanisme global sans <strong>le</strong>quel toute <strong>le</strong>Ctureserait impossib<strong>le</strong>» (2). Comm<strong>en</strong>t cela? «L'<strong>en</strong>fant fixe un mot pour <strong>en</strong> reconnaîtrela structure. Mais ce mot n'a évidemm<strong>en</strong>t de s<strong>en</strong>s que dans <strong>le</strong> contexte.Et c'est ce contexte que l'<strong>en</strong>fant interroge. L'œil part <strong>en</strong> réconnaissance <strong>en</strong>avant du mot déchiffré. Il va parfois même jusqu'à la ligne suivante, revi<strong>en</strong>t<strong>en</strong> ' àrrière, repart <strong>en</strong>: avant. Le <strong>le</strong>cteur est <strong>en</strong> exploration» (3). D'où cetteconstatation: « L'analyse ne saurait se suffire sans globalisation, et inversem<strong>en</strong>t.Une- bonne méthode doit faire fonds sur <strong>le</strong>s deux processus, commeceHi. se produit dans toute acquisition naturel<strong>le</strong> vita<strong>le</strong>. D'autant plus - et onl'a souv<strong>en</strong>t négligé - que <strong>le</strong> fonctionnem<strong>en</strong>t de ces processus n'est pas exactem<strong>en</strong>t<strong>le</strong> même chez tous <strong>le</strong>s individus et ne saurait être préétabli commerèg<strong>le</strong> uniforme et obligatoire» (4).Mais <strong>en</strong>core faut-il sauvegarder ce qu'il y a de meil<strong>le</strong>ur dans <strong>le</strong> syncrétismeinitial, c'est-à-dire la nécessité d'<strong>en</strong><strong>le</strong>ver chaque acquisition particulière sur <strong>le</strong>fond de la réalité vivante el<strong>le</strong>-même. « Le Docteur Decroly avait montré, parses observations et expéri<strong>en</strong>ces, que l'<strong>en</strong>fant est capab<strong>le</strong> d'appréh<strong>en</strong>der <strong>le</strong> motet la phrase avant d'<strong>en</strong> distinguer <strong>le</strong>s élém<strong>en</strong>ts constitutifs, mais à conditionbi<strong>en</strong> sûr que cette phrase soit insérée intimem<strong>en</strong>t dans <strong>le</strong> contexte de· vie desindividus » (5). Et Freinet r<strong>en</strong>d compte très exactem<strong>en</strong>t de ce qui se passedans de nombreuses classes quand il ajoute : « L'Eco<strong>le</strong> a pris dans la méthodegloba<strong>le</strong> la mécanique, mais el<strong>le</strong>. a oublié la vie.» (6). Toutes <strong>le</strong>s fois, <strong>en</strong> effet,que la méCànisation se trouve coupée, prématurém<strong>en</strong>t, de la compréh<strong>en</strong>sion,on' va inévitab<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t à l'échec :« S<strong>en</strong>tant justem<strong>en</strong>t la faib<strong>le</strong>sse de cetteméthode hybride, l'Eco<strong>le</strong> a prévu une illustration,-qui est là pour apporter unersatz de ' vie. Ce n'est, hélas ! qu'un ersatz qui a jeté des fondations mais ona oublié d'y cou<strong>le</strong>r <strong>le</strong> mortier. Il manque à notre texte la cha<strong>le</strong>ur de l'événem<strong>en</strong>tqui aurait inséré norma<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la phrase dans une expéri<strong>en</strong>ce individuel<strong>le</strong> etcol<strong>le</strong>ctive. Les pi<strong>le</strong>s ont été raccordées par un cordon mauvais conducteur etri<strong>en</strong> ne s'éclaire de ce qui justifierait <strong>le</strong> processus de globalisation ». Cequ'il faut sauvegarder pour éviter que la <strong>le</strong>cture devi<strong>en</strong>ne un exercice « gratuit ,.avec toutes <strong>le</strong>s perversions qui <strong>en</strong> résult<strong>en</strong>t (isof<strong>le</strong>xie, etc.), ce sont <strong>le</strong>s rapportsque l'individu <strong>en</strong>treti<strong>en</strong>t naturel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t avec son milieu ...• •Voilà ce que prouve l'expéri<strong>en</strong>ce. Et cette preuve est, <strong>en</strong> soi, amp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tsuffisante. Mais l'affirmation de la nécessité d'un accord <strong>en</strong>tre l'individu et <strong>le</strong>. milieu ne risque-t-el<strong>le</strong> pas de demeurer el<strong>le</strong>-même « gratuite» sur <strong>le</strong> planthéorique?C'est ici qu'intervi<strong>en</strong>t Pavlov:(1) En supplém<strong>en</strong>t de l'Educateur, nO 19 du 30 juin 1959.(2) Id, ibid, p . 6.(3) Id, ibid.(4) Id., ibid, p. 8.(5) Id, ibid; p . 3.(6) Id, ibid, p . 3.15