lLibres réf<strong>le</strong>xionsd'un <strong>le</strong>cteur et amipar MARC-ANDRÉ BLOCHMon ami Freinet veut bi<strong>en</strong> me demander de formu<strong>le</strong>r <strong>en</strong> toute libertém es réactions de <strong>le</strong>cteur au premier numéro de Techniques de Vie ; et du mêmecoup quelques suggestions personnel<strong>le</strong>s pour la suite de l'<strong>en</strong>treprise. Quemes premiers mots soi<strong>en</strong>t pour <strong>le</strong> remercier de cette marque r<strong>en</strong>ouveléed'estime et de confiance.Je comm<strong>en</strong>cerai par l'important artic<strong>le</strong> de M. Vuil<strong>le</strong>t qui figure presque e.ntête de ce numéro, et dirai tout à l'heure sur quels points je me . séparede lui; mais je veux d'abord marquer mon accord substantiel avec la façondont il caractérise l'originalité profonde de la démarche de Freinet commeune démarche qui, à l'opposé de cel<strong>le</strong>s des tMorici<strong>en</strong>s et des déductifs, estsans cesse remontée « de la pratique à la théorie »: cel<strong>le</strong> d'un inv<strong>en</strong>teurou d'un metteur au point de techniques pédagogiques, . dont Bertrand : '.nous,rappe<strong>le</strong>ra fort justem<strong>en</strong>t (p. 37) que la visée commune est de favoriser aumaximum l'expression libre de l'<strong>en</strong>fant.Et ici se pose sans doute la première question, la question préjudiciel<strong>le</strong>qui concerne <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s même et la justification de la création d'une nouvel<strong>le</strong>revue v<strong>en</strong>ant s'ajouter à toutes <strong>le</strong>s publications de l'Eco<strong>le</strong> Moderne Française:ne pourrait.:on p<strong>en</strong>ser que ces techniques se suffisai<strong>en</strong>t parfaitem<strong>en</strong>t à el<strong>le</strong>smêmes,et que ces publications antérieures et parmi el<strong>le</strong>s, au premier rang.l'Educateur répondai<strong>en</strong>t à tous <strong>le</strong>s besoins? Si nous posons la question, c'estpour la trancher aussitôt par la négative; non que, nous-même philosophe "de l'éducation, nous croyions céder ici à la t<strong>en</strong>tation à la fois présomptueuseet naïve de « plaider pour notre saint» ; mais parce que nous sommes convaincuque toute technique pédagogique, fût-el<strong>le</strong> la meil<strong>le</strong>ure et la plusvalab<strong>le</strong>, est toujours m<strong>en</strong>acée de se dégrader et de se mécaniser si el<strong>le</strong> n'estpas constamm<strong>en</strong>t portée et sout<strong>en</strong>ue par la consci<strong>en</strong>ce, constamm<strong>en</strong>t <strong>en</strong>tret<strong>en</strong>ue,des fins qu'el<strong>le</strong> est destinée à servir, par une réf<strong>le</strong>xion vivante sur cesfins et sur la relation qui unit à ces fins <strong>le</strong>s techniques utilisées. C'est à cett<strong>en</strong>écessité que veu<strong>le</strong>nt, croyons-nous, et très légitimem<strong>en</strong>t répondre Techniquesde Vie : au besoin d'un approfondissem<strong>en</strong>t philosophique, par <strong>le</strong>s pratici<strong>en</strong>sde l'éco<strong>le</strong> Freinet, des principes qui sous-t<strong>en</strong>d<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur pratique. Et par ces« principes » je n'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>ds pas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s principes de <strong>le</strong>ur pédagogie:d'une façon un peu plus spéculative chez l'un, d'une façon plus directem<strong>en</strong>t<strong>en</strong>gagée chez l'autre dans <strong>le</strong>s problèmes moraux et spirituels, familiaux, professionnelset politiques de l'instituteur, C. Combet et Le Bohec ont bi<strong>en</strong>montré que la pédagogie ne peut être isolée, sinon par une vaine abstraction,de toute une philosophie de l'exist<strong>en</strong>ce, et que cel<strong>le</strong>-ci se trouve toujours,plus ou moins consciemm<strong>en</strong>t; impliquée dans <strong>le</strong>s options proprem<strong>en</strong>t " pédagogiquesdes <strong>en</strong>seignants, et surtout de ceux qui se rang<strong>en</strong>t au parti des novateurs.Pr<strong>en</strong>dre mieux consci<strong>en</strong>ce de la philosophie qui souti<strong>en</strong>t <strong>le</strong>ur effort6
quotidi<strong>en</strong> dans l~urclasse , confronter <strong>le</strong>urs idéaux de vie, éclairer et coIisO-:lider--Ieui-foï'"ëommune <strong>en</strong> ces idéaux dans et par un échange fraternel, n'est-cépas' une des tâches <strong>le</strong>s plus valab<strong>le</strong>s que puiss<strong>en</strong>t se proposer des éducateurssoucieux -de dev<strong>en</strong>ir, chaque jour, de meil<strong>le</strong>urs éducateurs? Et cette tâch<strong>en</strong>'est--el<strong>le</strong> pas la plus Qaute, et l'une des plus ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s que puisse s'assignerTechniques de Vie? Les deux artiC<strong>le</strong>s que nous v<strong>en</strong>ons de citer nousparaiss~nt,dans cette direction, riches des plus bel<strong>le</strong>s promesses.Il nous faut pourtant redesc<strong>en</strong>dre à prés<strong>en</strong>t aux problèmes spécifiques del'éducation, puisque c'est à eux que notre revue <strong>en</strong>t<strong>en</strong>d ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t se consacrer. El<strong>le</strong> veut s'y consacrer non pas au niveau de la pratique journalière,mais dans une perspective de large réf<strong>le</strong>xion qu'el<strong>le</strong> définit el<strong>le</strong>-même, <strong>en</strong>core,èomme une perspective «philosophique»: el<strong>le</strong> croit expliquer son titre (quin'e-st peut-être pas, il faut l'avouer, parfaitem<strong>en</strong>t limpide de «Techniques deVie» <strong>en</strong> lui donnant pour sous-titre - plus exactem<strong>en</strong>t pour sur-titre puisqueces mots figur<strong>en</strong>t <strong>en</strong> tête sur la couverture - «- <strong>le</strong>s fondem<strong>en</strong>ts philosophiquesdes Techniques Freinet ». C'est içi, à mon s<strong>en</strong>s, que <strong>le</strong> ma<strong>le</strong>nt<strong>en</strong>du risque decomm<strong>en</strong>cer.Qu'<strong>en</strong>t<strong>en</strong>d-on <strong>en</strong> effet par ces « fondem<strong>en</strong>ts philosophiques des TechniquesFreinet »? Véut-on dire qu'el<strong>le</strong>s r.epos<strong>en</strong>t sur une philosophie de l'éducationqui lui soit propre, sur une philosophie <strong>en</strong>tièrem<strong>en</strong>t origina<strong>le</strong>, qui, comme<strong>le</strong> dit Vuil<strong>le</strong>t (p. 14) serait restée jusqu'ici « implicite» et que ce serait latâche même de la nouvel<strong>le</strong> revue d'expliciter et d'élaborer. Tel paraît bi<strong>en</strong>être aussi <strong>le</strong> point de vue de Combet dont l'artiC<strong>le</strong> représ<strong>en</strong>te Un effort danscette direction, aussi intéressant à notre s<strong>en</strong>s que discutab<strong>le</strong> ; tel paraît être<strong>le</strong> point de vue de Freinet lui-même, puisqu'il estime que « nous aurons à rebâtirnotre nouvel<strong>le</strong> psychologie, n0-re nouvel<strong>le</strong> philosophie, bases d'une pédagogie quis'est déjà r<strong>en</strong>ouvelée expérim<strong>en</strong>ta<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t » (p. 33), et qu'<strong>en</strong> paiticulier ladécouverte du « processus de tâtonnem<strong>en</strong>t expérim<strong>en</strong>tal» constitue un « retournem<strong>en</strong>tdécisif» qui à la fois exige et permet cette reconstruction radica<strong>le</strong>(p. 36). Lorsque au contraire Ferrière voit l'ess<strong>en</strong>tiel de l~ « philosophie del'Eco<strong>le</strong> Moderne» dans la volonté - <strong>en</strong> opposition à «l'éco<strong>le</strong> traditionnel<strong>le</strong>»- de « ne pas tuer chez l'<strong>en</strong>fant <strong>le</strong> vouloir sa<strong>voir</strong>, d'appr<strong>en</strong>dre à chaque<strong>en</strong>fant à vivre, à agir, à croître» (p. 1), ou <strong>en</strong>core lorsque Bertrand précisecette volonté comme étant cel<strong>le</strong> d'inciter et d'<strong>en</strong>courager sans cesse l'<strong>en</strong>fantà « dire, raconter et exprimer, par <strong>le</strong> dessin; par <strong>le</strong>s cou<strong>le</strong>urs, par la paro<strong>le</strong>,comme par <strong>le</strong> chant et la danse, ce qu'il ress<strong>en</strong>t» (p. 37), il est clair que /<strong>le</strong>s objectifs ainsi définis ~ dont il est bi<strong>en</strong> exact qu'ils <strong>en</strong>velopp<strong>en</strong>t touteune « philosophie» de l'éducation et de la culture - ne sont nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t propresà l'Eco<strong>le</strong> Moderne, mais lui sont strictem<strong>en</strong>t communs avec tout ce que l'onappel<strong>le</strong> depuis- quelque cinquante ans <strong>le</strong> mouvem<strong>en</strong>t d'éducation nouvel<strong>le</strong>,d'où sont sorties bi<strong>en</strong> d'autres didactiques, bi<strong>en</strong> d'autres techniques que cel<strong>le</strong>de l'Eco<strong>le</strong> Moderne. De ceci d'ail<strong>le</strong>urs Freinet a au fond tel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t consci<strong>en</strong>cequ'il n'hésite pas à écrire, dans un autre artic<strong>le</strong>, et peut-être cette fois aussiavec quelque exagération - - mais c'est une exagération dans <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s opposé,une exagération dan's l'humilité: « Nous sommes <strong>le</strong>s continuateurs de Decrolyà qui nous devons tout » (p. 4).Voici donc la première question que je pose: se propose-t-on de fonderune nouvel<strong>le</strong> philosophie de l'éducation ou, simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t et beaucoup _ plusmodestem<strong>en</strong>t, d'approfondir la «philosophie de l'éducation nouvel<strong>le</strong> », considérée_comme justification et support des techniques Freinet, et dans ses rapportsà ces techniques? Tout <strong>le</strong> sort de la nouvel<strong>le</strong> <strong>en</strong>treprise dans laquel<strong>le</strong>vi<strong>en</strong>t de s'<strong>en</strong>gager Freinet, et pour laquel<strong>le</strong> il est inuti<strong>le</strong> de dire ma sympathie,dép<strong>en</strong>d de la réponse qui sera fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t donnée à cette question. Ma propreréponse se lit, je p<strong>en</strong>se, à travers <strong>le</strong>s lignes: c'est d'ail<strong>le</strong>urs cel<strong>le</strong> que je suggère7