Ce n'est donc pas l'éducation qui ' crée<strong>le</strong>s ·formes de pudeur, mais la tradition. Ceqùi se passe, cep<strong>en</strong>dant, c'est que l'éducation.interprète ces formes et <strong>le</strong>s soumet à unjugem<strong>en</strong>t de va<strong>le</strong>ur. C'est ainsi que, auœurs de son développem<strong>en</strong>t historique,j'Eglise chréti<strong>en</strong>ne a souv<strong>en</strong>t donné de lapudeur sexuel<strong>le</strong> une interprétation purem<strong>en</strong>tnégative dans <strong>le</strong> s<strong>en</strong>s d'une surestimation.de la chasteté. La pudeur apparait alors-comme une invitation au ' célibat, l'indica'tion naturel<strong>le</strong> d'un interdit sexuel, la sexua' lité étant directem<strong>en</strong>t assimilée au mal (1 ).Autre type d'interprétation: la pudeur neserait «qu'une t<strong>en</strong>dance qui pousse chacun.à dissimu<strong>le</strong>r ce qu'il y a de laid dans son.corps l) (p. 60) ou <strong>en</strong>core l'interprétation(reudi<strong>en</strong>ne; selon laquel<strong>le</strong> la pudeur est·c une force organique qui réapparaît toujourschez l'individu à l'époque seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t,de la puberté et qui limite et refou<strong>le</strong> lalibido» (p. 60) (2~.Interprétations chréti<strong>en</strong>ne ou POSItIVIste'sont véhiculées par l'éducation et n'<strong>en</strong>g<strong>en</strong>".dr<strong>en</strong>t fina<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t qu'une niaise pruderie etun cynisme faci<strong>le</strong>. Le christianisme cléri.cal qui maudit la vie et <strong>le</strong> monde, alim<strong>en</strong>ts·de la concupisc<strong>en</strong>ce, <strong>le</strong> rationalism.e sci<strong>en</strong>tistequi élimine de la vie et du mondetout mystère et toute sacralité, voilà deuxformes d'éducation qùi finiss<strong>en</strong>t par dénaturerou par extirper <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pu.deùr chez la jeunesse.Selon Sche<strong>le</strong>r, la voie d'une saine édu-cation consistera à , « laisser se développerlibrem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur l) et à·c éviter avec <strong>le</strong> plus grand soin de <strong>le</strong> b<strong>le</strong>s·ser et de l'humilier ». c Il faut ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tmaint<strong>en</strong>ir <strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeur.dans sa naiveté et indép<strong>en</strong>dant des inter'Prétations, r<strong>en</strong>dre l'individu att<strong>en</strong>tif à son.exist<strong>en</strong>ce et à ses réactions, et veil<strong>le</strong>r à·ce qu'il ne soit pas prématurém<strong>en</strong>t. étouffédans son libre exercice par des considér·a'tions d'utilité ou par la crainte de la ma-1adie Ji (p. 62) (3). .Sche<strong>le</strong>r <strong>en</strong> vi<strong>en</strong>t alors à caractériser la''Pudeur par rapport à ses formes illusoires;,<strong>en</strong> particulier la coquetterie. Son analysephénoménoJogique de la conduite coquetteserait à citer <strong>en</strong> <strong>en</strong>tier tant el<strong>le</strong> témoigne.de perspicacité psychologique. Nous devons.éep<strong>en</strong>dant nous conteriter ici de quelquesindications ess<strong>en</strong>tiel<strong>le</strong>s.La coquetterie simu<strong>le</strong> la pudeur. c Laeoquette, comme la femme pudique, sedérobe, et l'·une et l'autre abaiss<strong>en</strong>t et élè'V<strong>en</strong>t. alternativem<strong>en</strong>t <strong>le</strong> regard ». Cep<strong>en</strong>dant·cette commune attitude recè<strong>le</strong> un monde.de différ<strong>en</strong>ces: c La coquette, au mom<strong>en</strong>t>Où,'eDe baisse <strong>le</strong>s yeux, ne 'SOnge ' déjà qu'à<strong>le</strong>s re<strong>le</strong>ver 'et à <strong>voir</strong> l'effet produit, et el<strong>le</strong>ne connaît point ce mouvem<strong>en</strong>t de · retour(J) « Si <strong>le</strong>s conceptions modernea de , lApudeur conduis<strong>en</strong>t à suscitér artificiel<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tune impudeur fort nuisib<strong>le</strong> aux fins bio<strong>le</strong>>.giques, l'idée propre à l'Eglise, que la pu~deur est une injonction de chasteté, ne'prés<strong>en</strong>te pas de moindres dangers. Commela pudeur sexuel<strong>le</strong> est alim<strong>en</strong>tée par l'instinctsexuel, el<strong>le</strong> ne peut ja~is l'étoufferlui-même, ni ses réactions, el<strong>le</strong> peut tout auplus détourner de <strong>le</strong>s observer ou d'y êtreatt<strong>en</strong>tif, et empêcher qu'on se <strong>le</strong>s avoue,T àndis qùe l'effort pour étouffer purem<strong>en</strong>tet simp<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t (sans fin positive) cet instinct,ne saurait aboutir qu'à r<strong>en</strong>dre la sexualitéhyper-s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong> à l'<strong>en</strong>droit de tous <strong>le</strong>s ex;ploitants, quels qu'ils soi<strong>en</strong>t, même n'ayantavec <strong>le</strong> domaine sexuel qu'un rapport extr&mem<strong>en</strong>t lointain, et d'autre part, <strong>en</strong> détournantces réactions de <strong>le</strong>ur but positif desé<strong>le</strong>ction. sexuel<strong>le</strong>, il <strong>le</strong>s ori<strong>en</strong>te ' nécessairem<strong>en</strong>tvers
sur soi, ,qui a lieu d.ans ' la pudeur er qui,<strong>en</strong> se , dévçloppànt, donne naissance au désirde r<strong>en</strong>trer, sous terre et de mourir dehonte» (p. 75).La pudeur est porteuse et gardi<strong>en</strong>ne deva<strong>le</strong>urs.La coquetterie n'est que « simulationd'un amour qu'on n'éprouve pas et deva<strong>le</strong>urs ' qu'on ne possède pas» (p. 74)·L'analyse de la pudeur, au contraire decel<strong>le</strong> de la coquetterie, débouche sur l'auth<strong>en</strong>ticitéde l'amour vécu comme réciprocité.La littérature exist<strong>en</strong>tialiste de Sartreou de S. de Beau<strong>voir</strong>, s<strong>en</strong>sib<strong>le</strong> uniquem<strong>en</strong>tà l'échec de l'amour, au .,m<strong>en</strong>songe et au<strong>le</strong>urre' de la r<strong>en</strong>contre et de la coexlst<strong>en</strong>ce,nous a habitués à ne <strong>voir</strong> dans l'amourqu'un conflit de puissances aboutissant àl'asservissem<strong>en</strong>t du plus faib<strong>le</strong> par <strong>le</strong> plusfort. Dans cette perspective, l'amour seramène peu ou prou à un , commerce sadomasochisteoù <strong>le</strong>s corps s'C:;Jlglu<strong>en</strong>t et <strong>le</strong>scœurs s'exaspèr<strong>en</strong>t."FOUt 'autre est l'expéri<strong>en</strong>ce à laquel<strong>le</strong> seréfère Max Sche<strong>le</strong>r. Si la pudeur sexuel<strong>le</strong>de la femme agit comme une ret<strong>en</strong>ue etune mise <strong>en</strong> garde, ce n'est pas <strong>en</strong> vain;ce n'est ni <strong>en</strong> vertu d'un refou<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t nipar obéissacne à des impératifs sociaux.C'est que «,la femme ne cons<strong>en</strong>t à s'abandonnerque lorsqu'el<strong>le</strong> a l'évid<strong>en</strong>ce indiscutab<strong>le</strong>de pou<strong>voir</strong> aimer ». Quant à la pudeursexueT<strong>le</strong> de l'homme, «el<strong>le</strong> consiste <strong>en</strong>ce qu'il ne se fait plus <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>ant quesi et dans la mesure où il croit être aimé:au,ssi... L'homme, dans la mesure où il ai'me,ne peut qu'àpprouver la pudeur de la'femme, 'et ne saurait ri<strong>en</strong> <strong>en</strong>trepr<strong>en</strong>dre'contre die» (p. 69): Par là se marque laréciprocité de l'amour. Par là nous compr<strong>en</strong>onsaussi que la pudeur exprime ie triomphede l'amour sur l'instinct: El<strong>le</strong> laisse'l'instinct <strong>en</strong> susp<strong>en</strong>s et <strong>en</strong> att<strong>en</strong>te. Atteritequi se change <strong>en</strong> ferveur et nous ouvre l'accèsà un- monde de va<strong>le</strong>urs éthiques supérieures.***,Après a<strong>voir</strong>"ainsi analysé <strong>le</strong>s fondem<strong>en</strong>tsde' la pudeur <strong>en</strong> général, Sche<strong>le</strong>r s'interrogesur la _ fonction du s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de pudeursexuell< Cette fonction est trip<strong>le</strong>.Tout 'd'abord, la pudeur participe à laformation d'un instinct sexuel normal. Déjàbi<strong>en</strong> avant l'éveil d'une sexualité précise,dès la petite <strong>en</strong>fance, la pudeur corporel<strong>le</strong>t<strong>en</strong>d à détourner l'att<strong>en</strong>tion des s<strong>en</strong>sationset impulsions liées aux fonctions d'évacuation.' Il y a là une sorte de terram sur<strong>le</strong>quel pr<strong>en</strong>dra assise la pudeur sexuel<strong>le</strong>proprem<strong>en</strong>t- dite. Cel<strong>le</strong>-ci est. immédi~tem<strong>en</strong>tprécédée 'par cette expresslon parnculièrede la lJUdeur que Sche<strong>le</strong>r appel<strong>le</strong> ,pudeurrelative à la libido; el<strong>le</strong>, se cQnc<strong>en</strong>tresur <strong>le</strong>s organes selmels avant l'apparition.de la sympathie seJaJel<strong>le</strong>, c'est-à. dÏ!e avan!la puberté - stade qui correspond à lapériode de lat<strong>en</strong>ce (<strong>en</strong>tre huit et treize ans<strong>en</strong>viron) décrite par <strong>le</strong>s psychanalystes. -'Cette forme de la pudeur apparaît avecl'excitation des zones génita<strong>le</strong>s dont elléécarte l'att<strong>en</strong>tion affective et inte11ectùel<strong>le</strong>de l'<strong>en</strong>fant (4).Avec la puberté « disparaît l'innoc<strong>en</strong>cedans <strong>le</strong> rapport des sexes» (p. 82). La pudeurdevi<strong>en</strong>t pudeur sexuel<strong>le</strong>. Cel<strong>le</strong>-ci «estd\me importance émin<strong>en</strong>te pour la santé del'individu et de l'espèce, pour It: meil<strong>le</strong>urchoix possib<strong>le</strong> du part<strong>en</strong>aire sexuel par l'intermédiairede l'amour» (p. 83). Mieux <strong>en</strong>~core, il faut reconnàître qu'el<strong>le</strong> joue lé rô<strong>le</strong>d'une «condition indisp<strong>en</strong>sab<strong>le</strong>» à la for-'mation, de l'instinct sexuel. Sans el<strong>le</strong>, <strong>en</strong>.effet, l'individu resterait bloqué au stadeauto-érotique, captivé par la pure jouissancede soi. C'est parce que la pudeur luiassure la maîtrise de s'a libido que l'individud~vi<strong>en</strong>t disponib<strong>le</strong> pOur la sympathiesexuel<strong>le</strong> - sympathie au s<strong>en</strong>s fort, c'est.,.à-dire «participation affective au vécu del'autre» (p. 85). Il Îaut donc par<strong>le</strong>r d'unefonction intra-psychologique de la pudeur yqui consiste <strong>en</strong> ~ce que <strong>le</strong>s impulsionssexuel<strong>le</strong>s non seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t ne devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t pasobjets d'observation, mais ne sont mêmepas discernées par la consci<strong>en</strong>ce. La pudeurempêche donc la thématisation du sexuel,- thématisation qui' constitue la dim<strong>en</strong>sionmême des civilisations érotomaniaques. Etcep<strong>en</strong>dant, comme Sche<strong>le</strong>r <strong>le</strong> souligne fortem<strong>en</strong>t,,la pudeur ne nie pas l'érotisme;el<strong>le</strong> <strong>en</strong> assure, au contraire, là, va<strong>le</strong>ur. Avecla pudeur, l'eros ne se fixe pas à quelqueszones sexuellès, mais à la totalité expressivede l'être: la prés<strong>en</strong>ce.Cette pudeur sexuel<strong>le</strong> persiste bieF! audelàde l'adolt"sc<strong>en</strong>ce. Sche<strong>le</strong>r y' voit undes moteurs de l'expéri<strong>en</strong>ce adulte du monde,<strong>en</strong> ce s<strong>en</strong>s qu'el<strong>le</strong> favorise l'objectivitéintel<strong>le</strong>ctuel<strong>le</strong> et la conc<strong>en</strong>tration volontaire.(4) La pudeur relative à la Libido noussemb<strong>le</strong> indép<strong>en</strong>dante de la conspiration dusi<strong>le</strong>nce par laquel<strong>le</strong> par<strong>en</strong>ts et éducateursélud<strong>en</strong>t généra<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s problèmes sexuelsdes <strong>en</strong>fants. Au contraire, il faut reconnaîtreque ce si<strong>le</strong>nce ne fa~orise nul<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t lapudeur. Il ori<strong>en</strong>te presque infaillib<strong>le</strong>m<strong>en</strong>tl'<strong>en</strong>fant vers des informations erronées ou,bruta<strong>le</strong>'s et vers <strong>le</strong>s pratiques homosexuel<strong>le</strong>sou auto.érotiques.53, ! 2