Tizon <strong>le</strong> plus reculé. Ici, nous touchons à la signification du problème · des loin-tains dans <strong>le</strong> monde de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t; nous essaierons de la faire apparaîtrê, dela faire émerger de l'âme de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t: et peut-être compr<strong>en</strong>drons-nous.qu'el<strong>le</strong> n'est ri<strong>en</strong> moins que cette âme el<strong>le</strong>-même.IIIAyant reconnu <strong>le</strong> corps de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t comme foyer du monde juvéni<strong>le</strong> et-comme origine de structures spatio-temporel<strong>le</strong>s caractéristiques, nous comm<strong>en</strong>- ,·cerons par questionner la biologie et la physiologie sur <strong>le</strong> fondem<strong>en</strong>t de l'ori<strong>en</strong>tationde l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t aux lointains. Notre att<strong>en</strong>tion <strong>en</strong> ce domaine est attirée ·par une remarque de Buyt<strong>en</strong>dijk (De la Dou<strong>le</strong>ur, p. 10) sur l'interdép<strong>en</strong>dancede la sphère mora<strong>le</strong> et de la sphère organique, interdép<strong>en</strong>dance dont <strong>le</strong>s raisonssont à rechercher dans l'activité du système neuro-végétatif. Or, l'avènem<strong>en</strong>t de lapuberté <strong>en</strong>traîne de sérieuses perturbations <strong>en</strong> ce domaine: la circulation sangui,ne et la respiration trahiss<strong>en</strong>t des irrégularités dans <strong>le</strong>ur régime; de là <strong>le</strong>s s<strong>en</strong>sationsd'oppression et d'angoisse qu'éprouve souv<strong>en</strong>t l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t ; <strong>le</strong> développem<strong>en</strong>tde la glande thyroïde s'accompagne d'une émotivité diffuse, d'une s<strong>en</strong>sibi,lité à f<strong>le</strong>ur de peau; <strong>en</strong>fin la maturation sexuel<strong>le</strong> instaure une nouvel<strong>le</strong> ryth-mique du corps, avec des temps d'hypert<strong>en</strong>sion et des temps· d'hypot<strong>en</strong>sion -tumesc<strong>en</strong>ce et détumesc<strong>en</strong>ce. Tout cela s'ajoute au s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t de gêne provoquépar la croissance_physique et fait du corps de rado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>r un habitat éminemm<strong>en</strong>tinconfortab<strong>le</strong>, <strong>en</strong> proie à l'insécurité interne et au déséquilibre. Il y a là.certainem<strong>en</strong>t un élém<strong>en</strong>t d'explication valab<strong>le</strong>; <strong>en</strong> particulier, l'émotivité diffusese prés<strong>en</strong>te comme une véritab<strong>le</strong> aspiration de tout l'être aux lointains,;.<strong>le</strong> corps, avec son int<strong>en</strong>se désir de pacification, att<strong>en</strong>d comme une délivrance·de se dissoudre dans l'espace; il <strong>en</strong> est de lui comme d'un bateau dont la coque:semb<strong>le</strong> prête à craquer sous la pùissance du moteur. L'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t ne peut plusrésister aux forces vives qui bouillonn<strong>en</strong>t <strong>en</strong> lui. Le thème du Bateau Ivre n'a·pas seu<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t la signification métaphysique que lui prête Claudel, il exprime~l'incarnation juvéni<strong>le</strong> dans· toute sa vio<strong>le</strong>nce.Cep<strong>en</strong>dant, nous ne saurions nous <strong>en</strong> t<strong>en</strong>ir à une explication de type biolo,gique - précisém<strong>en</strong>t parce que ce n'est qu'une explication. La biologie ne r<strong>en</strong>dpas compte de toutes <strong>le</strong>s conduites de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t. El<strong>le</strong> ne nous dit ri<strong>en</strong> de sesferveurs ni de ses haines ; el<strong>le</strong> ne donne aucun s<strong>en</strong>s au cont<strong>en</strong>u de ses rêves. Auterme de l'explication biologique, <strong>le</strong> mystère demeure absolum<strong>en</strong>t opaque. Pas'plus que l'habitude ne se réduit à une simp<strong>le</strong> organisation de synapses, l'affectivitéhumaine ne se compr<strong>en</strong>d à partir de la seu<strong>le</strong> activité hormona<strong>le</strong>. Le corpsdont trait<strong>en</strong>t <strong>le</strong>s sci<strong>en</strong>ces de la nature n'est qu'un objet parmi d'autres ; or nousavons parlé du corps de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t <strong>en</strong> termes de prés<strong>en</strong>ce. Ce faisant, c'étaità une réalité d'un autre ordre que nous nous référions implicitem<strong>en</strong>t. Maisquel<strong>le</strong> réalité?S'agit-il de dire que, <strong>le</strong> corps n'étant que l'instrum<strong>en</strong>t de l'intellig<strong>en</strong>ce~ c'està cette dernière que nous aurons recours, <strong>en</strong> une ultime instance, sur la questionde découvrir la signification des lointains dans <strong>le</strong> monde de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t?Une psychologie de type intel<strong>le</strong>ctualiste verra dans l'acquisition d'une p<strong>en</strong>séelogique achevée et d'un langage syntaxique comp<strong>le</strong>t au mom<strong>en</strong>t de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>·ce, la manifestation la plus évid<strong>en</strong>te d'une ori<strong>en</strong>tation de l'esprit aux lointains;el<strong>le</strong> pourra opposer l'intellig<strong>en</strong>ce pratique, comme souci du proche, à l'iritelli'g<strong>en</strong>ce théorique comme mise à. distance du sujet vis-à-vis de l'objet et dël'objet vis-à-vis de l'idée. Mais tout cela n'est guère convaincant et il né fautpas confondre distance et lointains. La psychologie intel<strong>le</strong>ctualiste reste à lasurface des choses. Ce que nous cherchons, c'est à saisir l'être de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tsous un jour tel que toutes ses conduites nous apparaiss<strong>en</strong>t signifÎcatives ou,mieux, qu'à travers chaque conduite nous puissions reconnaître une prés<strong>en</strong>ce.Nous ·voici donc à la recherche d'une c<strong>le</strong>f de voûte, d'un principe d'unité quifonde l'ori<strong>en</strong>tation aux lointains et nous la r<strong>en</strong>de transpar<strong>en</strong>te aussi bi<strong>en</strong>çom-36
. me simp<strong>le</strong> besoin de respirer largem<strong>en</strong>t que comme amour de la terre ou com. me inquiétude métaphysique.Si nous voulons rejoindre l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t au cœur de ses problèmes, dans ce'que sa dramatique a de plus aigu et de plus significatif, nous pouvons faire undétour par la pathologie m<strong>en</strong>ta<strong>le</strong> - plus spécia<strong>le</strong>m<strong>en</strong>t par la pathologie desnévrQses de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce. Les, déchirem<strong>en</strong>ts, <strong>le</strong>s ruptures et <strong>le</strong>s, gauchissem<strong>en</strong>tsdont souffre <strong>le</strong> névrosé ne font que révé<strong>le</strong>r avec des traits accu1iés et par làinoubliab<strong>le</strong>s,. <strong>le</strong>s conflits typiques de tout ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t. La névrose n 'est que l'acted'une puissance que nous possédons tous. Selon l'expression de Nietzsche, el<strong>le</strong>est la ' publication de ce qui se joue sous la tab<strong>le</strong>.Nous avons caractérisé l'intériorité affective de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t comme un cheminem<strong>en</strong>tnocturne et solitaire et nous avons dit du jeune homme qu'il éprouvait<strong>le</strong> s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t d'être abandonné. Or il existe un type de névroses propres à.l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>ce que l'on désigne justem<strong>en</strong>t sous <strong>le</strong> terme de névroses d'abandon ..L~ malade se s<strong>en</strong>t perdu, seul au monde, délaissé par l'<strong>en</strong>tourage, accusé parlui-même, <strong>en</strong> bute à la tota<strong>le</strong> indiffér<strong>en</strong>ce du monde. Il se dit chargé d'un lourdpassé, maudit et abandonné par Dieu, condamné à la douloureuse insatisfactiondes errants. Le malade est instab<strong>le</strong>, il passe d'une tâche à l'autre sans pou<strong>voir</strong>jamais se fixer, d'une affection à l'autre sans pou<strong>voir</strong> jamais s'attacher. Ila <strong>le</strong> tourm<strong>en</strong>t du voyage, sollicité qu'il est par tin au-delà de toute action, 'detoute p<strong>en</strong>sée, de tout s<strong>en</strong>tim<strong>en</strong>t. Son att<strong>en</strong>tion ne se porte pas à l'immédiatmais toujours à l'à-v<strong>en</strong>ir, à l'inaccessib<strong>le</strong>, Il connaît souv<strong>en</strong>t l'élan mystique etil prét<strong>en</strong>d alors que si son âme s'ouvrait à Dieu, se donnait à lui, toutes sesdifficultés serai<strong>en</strong>t résolues et il trouverait <strong>en</strong>fin la paix, <strong>le</strong> repos, la stabilité- <strong>le</strong> sommeil.. S'ouvrir à Dieu, s'abandonner à la Prés<strong>en</strong>ce divine, nous s<strong>en</strong>tons là com~eune effervesc<strong>en</strong>ce amoureuse et nous nous demandons s'il y a pas lieu de suspecterce mysticisme et d'y <strong>voir</strong> surtout l'expression d'une imm<strong>en</strong>se nostalgiede la féminité. Tout se passe comme si, au sortir de l'<strong>en</strong>fance, l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t -et d'une façon plus évid<strong>en</strong>te l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t névrosé - r<strong>en</strong>ouait affectivem<strong>en</strong>t avecla source même de son <strong>en</strong>fance, avec la mère. L'ori<strong>en</strong>tation aux lointains, dansses expressions spatio-temporel<strong>le</strong>s, nous paraît être un interminab<strong>le</strong> et profondregard du côté -où tout se fondait · jadis dans l'<strong>en</strong>globem<strong>en</strong>t maternel. Le désirde s'échanger avec l'espàce illimité, celui de se dilater aux dim<strong>en</strong>sions du cosmos,ou <strong>en</strong>core celui de se noyer, de se perdre au grand large - ce sont làautant de formes du désir lancinant de retourner au sein maternel - la chèrepatrie d'où l'exist<strong>en</strong>ce nous a exilés, Paradis terrestre, Eldorado, I<strong>le</strong> au Trésor- au Trésor <strong>en</strong>foui, <strong>en</strong>terré à tout jamais dans la Terra G<strong>en</strong>itrix. La communionpanthéiste à l'Univers tel<strong>le</strong> que <strong>le</strong> Vicaire Savoyard l'<strong>en</strong>seigne à l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>tEmi<strong>le</strong> exprime bi<strong>en</strong> aussi <strong>le</strong> désir d'épouser la Terre-Mère et d'annu<strong>le</strong>r parcette étreinte, toutes <strong>le</strong>s contradictions de l'exist<strong>en</strong>ce, d'annu<strong>le</strong>r <strong>le</strong> Temps .. L'attrait de .. l'eau dormante comme espérance de liquéfaction doit ret<strong>en</strong>irnotr e att<strong>en</strong>tion. C'est <strong>le</strong> thème du mythe de Narcisse. Ker<strong>en</strong>yi (La Mythologiedes Grecs, Payot 1952, p. 172) note à ce propos: «On disait du beau Narcissequ'il n'aperçut son ref<strong>le</strong>t que lorsqu'il eut atteint sa seizième année ... Narcisses'éprit de sa propre image et se laissa dépérir à moins qu'il ne se tua. De soncadavre sortit la f<strong>le</strong>ur nommée aujourd'hui <strong>en</strong>core narcisse. En ce nom, onretrouve <strong>le</strong> vieux mot narkè, l'<strong>en</strong>gourdissem<strong>en</strong>t.»Ce récit nous propose des données particulièrem<strong>en</strong>t instructives. Le drameest celui d'une fascination irrémédiab<strong>le</strong> de l'ado<strong>le</strong>sc<strong>en</strong>t par sa propre beauté, .fascination qui l'accapare tout <strong>en</strong>tier dans la contemplation de son image,image au fond des grandes eaux maternel<strong>le</strong>s, et <strong>le</strong> laisse indiffér<strong>en</strong>t et indispo-371f!1l