62 LIVRES ARTSAu bout des OrientsUn petit bonheurne venant jamais seul,voici que sortent concomitammentdeux ouvrages passionnantssur l’art oriental dont le coûtne grèvera pas notre budgeten ces temps de criseAlors qu’une exposition se prolonge au musée Guimetqui met à l’honneur Hokusaï, les éditions À Proposdédient une première biographie à Hiroshige, restédans l’ombre du maître de la célèbre vague. De soncôté l’exposition de la Pinacothèque de Paris rendhommage à Van Gogh et au japonisme qui loua tant…Hiroshige, toujours considéré au Japon comme lemaître de l’ukiyo-e ! Et cet Hiroshige, Invitation auvoyage qui vient donc à point nommé se parcourt avecravissement. Destiné au grand public comme les autresbiographies de la collection au format de poche, ilemmène le lecteur dans les paysages du Tôkaidô entreEdo et Kyoto les deux capitales japonaises. Dans unstyle clair mais érudit, les auteurs abordent successivementla vie et l’œuvre du peintre, la vogue du Japonismeen Europe et particulièrement en France, la techniqueparticulière de l’estampe, l’ensemble s’enrichissant aufur et à mesure de petits tableaux chronologiques, desfocus À propos ou Arrêt sur image concis et éclairantssur des thèmes complémentaires tels que la perspectiveà la japonaise ou la révolution du bleu, et se clôt sur unPour en savoir plus. Ne manquerait qu’un petit glossaire ?Avec Une Collection particulière les éditions PhilippePicquier installées à Arles nous gratifient d’un beaulivre consacré à deux peintres chinois ayant exercé auXVII e siècle, Jiang Ting Xi et Zhu Da. Édité pour lapremière fois par les éditions pékinoises Rongbaozhai,cet album se présente sous la forme d’un élégant coffretcartonné comme les deux couvertures reliées par despages en accordéon. On peut ainsi l’aborder par lesdeux bouts pour feuilleter un corpus de reproductions,une dizaine par artiste, de qualité irréprochable aprèsune préface présentant chaque peintre, traduite duchinois par Patricia Batto. L’univers des peintres lettrés,qu’ils appartiennent à la haute administration desmandarins ou qu’ils soient devenus moine bouddhiste,nous est ouvert avec simplicité et dépouillement. Tel cePoisson-Chat de Zhu Da dont quelques traits de pinceausuffisent à exprimer l’essentiel, par un simplegeste le souffle vital qui anime l’image.CLAUDE LORINHiroshige, invitation au voyageNelly Delay, Dominique RuspoliÀ Propos, 12,50 €Zhu Da et Jiang TingxiPhilippe Picquier, 21,50 €Palimpseste pour la navale«Je décidai de faire revivre par la peinture les six milletravailleurs rayés de la carte des vivants». Alain Boggero,charpentier-tôlier issu d’une famille d’ouvriersemployés aux chantiers de construction navale de LaSeyne-sur-Mer, n’a pu se résoudre à la fermeture puisà son licenciement en 1985 de l’entreprise phare duport varois qui employa jusqu’à six mille travailleurs.Cette catastrophe inouïe s’apparentait pour lui au chaosperpétré au sortir de la première guerre mondiale. Letravailleur s’est senti proche des artistes expressionnistesallemands, révolté lui aussi devant tant d’injusticeet de gâchis. Dans un premier temps, de la toile, ducontreplaqué ou des affiches Decaux ont servi de supportsà la révolte du peintre amateur adepte de larécupération. Il en est à plus de trois mille portraitsaujourd’hui. Mais c’est aussi sur une publication del’AREA PACA* qu’il a brossé ses figurations récentesdont rend compte dans la totalité cette premièrepublication de l’association Le Factotum. Fac-similéexact, La Navale vivra se parcourt dans le désordre s’ille faut, couleurs vives, pleine pâte et pleine pageparfois, sans rédactionnel, celui-ci étant reporté dansun livret à part avec une préface de l’artiste et une contributionde l’écrivain Lionel Bourg. Dans une figurationbrute et massive qui n’est pas sans rappeler le style despeintres prolétariens, Alain Boggero jette sur ces pagesdes fragments d’une histoire peuplée de portraitsconnus et devenus des anonymes, comme autant descènes d’un livre d’heures d’une mémoire ouvrièredisparue. Le peintre aurait-il pu profiter des dialoguesofferts avec la brochure qui présentait des Lycées duXXI e siècle en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, etconcevoir, à travers la jeunesse montante, un avenirqu’on pourrait espérer plus radieux ? La fureur de larébellion a parfois ses aveuglements excusables.CLAUDE LORINSignature, rencontre, exposition avec l’artistele 18 janv à 18h à la librairie de l’Arbre, Marseille* Lycées du XXI e siècle, Agence Régionaled’aménagement et d’équipement de la RégionProvence-Alpes-Côte d’Azur, 2007La navale vivraAlain BoggeroLe Factotum, 35 €
Chronique d’une gloire ordinaire«Au vestiaire de la réalité, on est prié de quitter sa défroque»pourrait être l’avertissement au lecteur de Texturesdu jour, première monographie de Gilles Benistrichez Archétype. Son aventure éditoriale a vu le jourgrâce à l’auteur Emmanuel Loi, «compagnon de longuedate», dont le texte court exactement sur la moitié del’ouvrage et «avance avec les images» ; au photographeMichel Cohen, familier de son atelier au Comptoir dela Victorine à Marseille ; et à Philippe Moreau, «grandtechnicien de la typographie» qui a mis tout son savoir-fairedans la réalisation de cet objet bilingue -couverturecartonnée et cahiers cousus- prêt à pénétrer le marchéinternational. Gilles Benistri n’a-t-il pas fait un breakde quatre ans à New York… Sans céder au diktat chronologique,Textures du jour navigue en eaux libresentre 2005 et 2012, entre des personnages occupés àdes tâches triviales et des objets qui ont une âme. UnSur les traces de GTEn 2009, les éditions P (Marseille) publiaient Equinoxe,dans la collection Sec au toucher, composé à partirdes dessins de Gérard Traquandi sur le motif de l’arbre ;à l’occasion d’Art-O-Rama 2012, Denis Prisset lançaitun nouvel opus sobrement intitulé GT. Un titre mystérieux,un livre d’images silencieuses, un texte pourlecteur averti : une immersion chic et sobre, sensuelle,dans l’œuvre de Gérard Traquandi «fabriquée» (enréférence au geste de l’artisan) dans ses ateliers de Pariset d’Aix-en-Provence.GT est circonscrit à trois ans de création : 01.2009/04.2012,date d’un changement opéré dans son travail suite àl’ensevelissement soudain de Marseille sous une«épaisse couche de neige». GT est la photographied’un temps dans la vie de l’artiste où l’on découvre,enchevêtrées, nouvelles recherches graphiques, nouvellescompositions picturales comme autant de tracesvisibles d’un cheminement intérieur. Photographiesde paysages enveloppés de neige, éléments naturels enmacro, toiles accrochées aux cimaises de la galerieLa passion des imagesOn a rarement l’occasion d’appréhender une œuvre,ici celle du peintre britannique contemporain DavidHockney, à travers sa production commentée par luimême: c’est le cas avec cet imagier qui s’adresse toutautant aux jeunes lecteurs qu’aux plus avisés. Découpéen quatre chapitres thématiques (Problèmes de représentation,Moments donnés, Portraits, Espace etlumière) et introduit par un texte bref, David HockneyImages laisse place à un défilé ininterrompu de 325reproductions. Certaines sont accompagnées de citationsde Ma façon de voir où l’artiste, sur le ton de laconversation, développe ses points de vue sur son environnementet l’univers de ses proches, analyse sesrecherches picturales, aborde ses multiples techniques :Polaroid, collages, peinture, dessin, gravure, fax, jusqu’auxapplications iPhone et iPad...En vis-à-vis de l’aquarelle sur papier Cactus Garden IVde 2003 et du fusain sur papier Angel Trumpet andSucculents de 2000 saturés d’une nature exubéranteapprivoisée par l’homme, l’artiste a choisi un extraitmonde interlope mystérieusement banal sur lequelplane quelque chose d’indéfinissable. Images iconographiqueshabilement détournées, comme ces glaneursen baskets et joggings, si loin et si proches de Millet,noyés dans une terre aussi bleue que le ciel ! De peinturesen dessins, Gilles Benistri construit des rébusqu’Emmanuel Loi décrypte dans un texte qui tient ducommentaire poétique, de la prose analytique et del’hommage à un peintre-conteur. Quitte à flirter parfoisavec l’ellipse : «La guérilla de l’inconscient est là avecses bûchers, ses grilles de sens, ses chemins de croix burlesques.Interpréter à la va-vite afin de se dédouanerfonctionne de travers et c’est ce travers qui est interrogé.Peindre le bâillon pour prendre la parole.»MARIE GODFRIN-GUIDICELLILaurent Godin (l’une des deux galeries parisiennes quile représentent avec Catherine Issert) ou dans son atelieraixois La Chapelle : superbe travail éditorial decorrespondances fugaces qui entrouvrent des intersticesintimes.Dans le cahier central, telle une virgule savante, le textede Baldine Saint Girons, membre de l’Institut universitairede France et professeur de philosophie à l’universitéde Paris Ouest, questionne la triade «contact, trace,tracé», évoquant les dessins préhistoriques, l’écriturechinoise, la gravure, la photographie, embrassant pluslargement encore la «lutte entre la trace et l’image ausein de la peinture» profane et sacrée. On se lance dansl’ouvrage comme dans un labyrinthe. L‘issue n’est pascertaine car le fléchage est ardu, mais la promesse d’unvoyage au cœur de la métamorphose est actée. Ici, plusque jamais, les empreintes de Gérard Traquandi sonttraversées de vibrations lumineuses, annonciatrices dedouces méditations.M.G.-G.de son livre David Hockney par David Hockney : J‘aitrès vite été porté à regarder, examiner, représenter leschoses. On touche ici, comme une évidence, à lasingularité d’une oeuvre qui aborde «la problématiquede la représentation sur une image fixe d’un mondeen perpétuel mouvement». On est au coeur du «faire»et du «penser» de l’artiste, on en tire les fils d’Arianed’une manière joyeuse et ludique. David Hockney Imagesnous permet de prendre conscience du monde quinous entoure ; ce monde, justement, que l’artisteobserve et représente différemment. M.G.-GDavid Hockney Images368 pages, 325 illustrationsThames & Hudson, 28 €Également aux éditions Thames & Hudson :Ma façon de voirDavid Hockney248 pages, 365 illustrations, 29,95 €ARTSLIVRES 63Textures du jourPeintures de Gilles Benistri, texte d’Emmanuel LoiTraduction anglaise de Pamela HargreavesArchétype éditions Forcalquier, 30 €GTÉditions P, Marseille, 32 €David Hockney : Portraits de familleMarco Livingstone et Kay Heymer240 pages, 246 illustrations, 45 €David HockneyMarco LivingstoneCollection L’Univers de l’art252 pages, 208 illustrations, 14,95 €