LG 206
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102 <strong>LG</strong><br />
ÉDITION SPÉCIALE - BEST OF <strong>LG</strong> 202 - SEPTEMBRE 2017<br />
WOMEN OF LUXEMBOURG<br />
L’ancrage<br />
du politique<br />
PAR JULIEN BRUN<br />
De son bureau, au 15 e étage du Heichhaus de la place de<br />
l’Europe, le ministre de l’Environnement a une vue imprenable<br />
sur l’activité fourmillante qui anime le quartier du Kierchberg.<br />
On imagine qu’entre deux réunions, les forêts du Fraiheetsbam<br />
au loin rappellent à Carole Dieschbourg celles de son enfance.<br />
Portrait.<br />
Récit d’une terre<br />
De vastes forêts aux multiples teintes de<br />
vert, qui le froid venu orangent, jaunissent,<br />
puis brunissent, composent les paysages<br />
de l’est du pays. Le promeneur jurerait<br />
presque que c’est Monet qui a peint ces<br />
tableaux du Sublime où logent pour<br />
l’éternité d’immenses blocs de roches.<br />
Les 8.000 ans d’histoire de la région obligent<br />
à poser une main sur la pierre. L’Homme de<br />
Loschbourg 1 , que certains à l’impudence des<br />
anachronismes disent qu’il est le premier<br />
Luxembourgeois, nous invite à un voyage<br />
dans l’Histoire. Nous partirions des églises de<br />
la région: la paroissiale de Berdorf (1847), la<br />
baroque de St Martin à Junglinster (1774), la<br />
Basilique St Willibrord d’Echternach (XI e ); et<br />
des nombreux châteaux: Larochette (XIII e ),<br />
Beaufort (XI e ) et Bourglinster (X e ); en<br />
passant par les ruines de la maison de maître<br />
du III e siècle romain, nous remonterions<br />
ainsi jusqu’au temps où les premiers<br />
hommes s’endormaient encore sous les<br />
voutes étoilées.<br />
La Petite Suisse luxembourgeoise offre<br />
maintes richesses naturelles et culturelles à<br />
qui sait les apprécier.<br />
Au moulin des savoirs<br />
C’est dans ce cadre magnifique du Mullerthal,<br />
que le moulin à eau des Dieschbourg,<br />
aujourd’hui centenaire, prend place. Il est<br />
pour l’heure, le théâtre merveilleux des jeux<br />
d’un frère et d’une sœur que l’on imagine<br />
se cacher derrière les cuves pour mieux<br />
espionner la besogne du père. Le meunier<br />
produit des farines de blé et de seigles du<br />
pays et reçoit de nombreux producteurs<br />
de la région. Sa mère, institutrice, est<br />
une écologiste de la première heure qui<br />
amène régulièrement toute la tribu à des<br />
manifestations antinucléaires.<br />
“Recréer des liens<br />
entre l’économie<br />
et l’écologie”<br />
Les campagnes préfèrent le silence de la<br />
terre aux bavardages des villes, on y éduque<br />
les âmes comme on cultive les jardins et<br />
valeurs et savoirs se transmettent par peur<br />
qu’ils ne se perdent. L’économie, la politique,<br />
la culture, s’invitent immanquablement<br />
à la table des Dieschbourg, «une bonne<br />
école», se souvient-elle aujourd’hui dans<br />
un sourire nostalgique. L’enfant est très<br />
tôt la spectatrice des liens qui unissent les<br />
techniques artisanales et la nature. Lorsque<br />
la petite Carole, boucles d’or et grands yeux<br />
bleus joue dans le jardin familial au milieu<br />
des poules, des ânes, des chèvres, des chiens<br />
et des chats, elle connaît le tempérament<br />
de chacun d’eux et sait qu’il n’existe pas de<br />
différence de nature entre les Hommes et<br />
les animaux, mais uniquement de degré.<br />
Carole s’endort à la musique du vent qui<br />
s’engouffre dans la forêt et aux ombres des<br />
arbres qui dansent sur les fenêtres. Féérique<br />
ou contraignante, la nature fait toujours<br />
partie intégrante des enfances en campagne.<br />
L’adolescente s’éprend de passion pour la<br />
littérature et vague d’un ouvrage à l’autre<br />
selon les choix du cœur. Contrairement<br />
aux écrans numériques qui imposent les<br />
images, le livre invite à une construction<br />
de l’esprit, pour mieux raconter le monde.<br />
Stendhal dit du roman qu’il est «un miroir<br />
que l’on promène le long d’un chemin»,<br />
Proust que le travail du romancier est de<br />
retranscrire le «son du cœur». Carole<br />
Dieschbourg développe des curiosités et<br />
des plaisirs intellectuels pour la sociologie,<br />
les arts, la politique. Elle s’initie au latin,<br />
à l’espagnol, passe un bac littéraire et<br />
part pour l’Université de Trêves où elle<br />
étudie l’Histoire, la langue et la littérature<br />
allemande avec l’ambition d’enseigner. Elle<br />
y rencontre des militants et s’engage avec<br />
eux contre la réduction de financement des<br />
universités.<br />
Jeune diplômée, elle travaille dans<br />
l’entreprise familiale et publie un livre sur<br />
les moulins du Mullerthal, «Die Mühlen<br />
des Müllerthals». Elle plonge alors dans