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L'Essentiel Prépas #16 _ Avril 2018

L'Essentiel Prépas, magazine dédié aux professeurs des classes préparatoires économiques et commerciales. Magazine numérique édité par HEADway Advisory.

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PAROLES DE PROF<br />

>>> suite de la page 18<br />

- comment la croissance a-t-elle rompu les équilibres de très longue période, antérieurs<br />

à la révolution industrielle, qui sont marqués par la permanence des niveaux<br />

de vie qui font que, partout dans le monde, « le fils vit comme son père » ?<br />

- comment cette croissance se manifeste-t-elle avec, en particulier, cette extraordinaire<br />

accélération depuis la Seconde Guerre mondiale qui fait que le « fils vit<br />

mieux que le père », tout au moins dans les pays développés. Comment expliquer<br />

les écarts, les décrochages, les retards ? Comment expliquer les réussites des politiques<br />

économiques mais aussi leurs échecs, comment expliquer que l’on ne puisse,<br />

malgré l’expérience acquise en finir avec les crises ? Comment analyser les transformations<br />

permanentes engendrées par les progrès et innovations de toutes sortes ?<br />

- comment expliquer les phénomènes de rattrapage, les changements d’équilibres<br />

et de rapports de force entre les continents, les pays, les aires culturelles et finalement<br />

appréhender la réalité d’une mondialisation que l’on peut concevoir comme<br />

une sorte d’uniformisation ou bien, au contraire, comme la juxtaposition de modèles,<br />

d’expériences, de choix différents qui sont en relation permanente avec le développement<br />

des flux de toute nature et la domination du marché ?<br />

: La démarche de l’ESH<br />

Les programmes d’ESH font largement écho à la démarche de nombreux chercheurs<br />

qui souhaitent un rapprochement entre histoire et science économiques à<br />

l’instar de ce qui se produit dans les pays anglo-saxons. Les expériences des historiens<br />

et des économistes doivent permettre un enrichissement mutuel. Les premiers<br />

doivent s’attacher à mieux maîtriser les outils couramment utilisés par les économistes,<br />

en particulier les méthodes statistiques et quantitatives quand les économistes<br />

devraient parfois mieux prendre en compte, dans leurs modèles, les faits<br />

et les réalités des sociétés dans lesquelles se déroulent les activités économiques.<br />

D’excellents exemples de ces problématiques sont fournis par la confrontation des<br />

expériences méthodologiques. La théorie de la croissance unifiée, présentée par<br />

Oded Galor (« United Growth Theory », Princeton, 2011) montre que l’histoire n’est<br />

que le cadre dans lequel joue un modèle théorique et mathématique, c’est-à-dire<br />

fondé sur des données quantifiables et une approche formalisée, de croissance<br />

de l’Antiquité à nos jours. C’est évidemment assez éloigné de la perspective des<br />

historiens qui, même s’ils font leurs les instruments d’analyse mis au point par les<br />

économistes, cherchent avant tout à expliquer le passé tel qu’il s’est passé plutôt<br />

que de plaquer des modèles abstraits et parfois généralisables aux différents lieux<br />

et époques.<br />

Si l’ambition de l’enseignement de l’ESH est plus modeste, l’intérêt manifeste<br />

de l’approche pluridisciplinaire qu’il engendre est de permettre aux étudiants<br />

d’éviter deux grands écueils propres à notre époque de grandes mutations technologiques<br />

: la tentation d’une histoire désincarnée et le relativisme historique. Il favorise<br />

la contextualisation et rend possible la maîtrise des grandes évolutions et des<br />

grandes périodes historiques : ainsi, les phases de la croissance depuis le XIX e siècle,<br />

la succession des transformations technologiques, la mise en place du marché ou sa<br />

contestation, l’évolution de la pensée et des théories économiques deviennent familières<br />

à de futurs dirigeants et managers en leur expliquant le pourquoi de l’économie<br />

actuelle. Il combat aussi une tendance parfois un peu marquée au relativisme<br />

historique qui conduit souvent à analyser le passé au regard des valeurs ou des<br />

théories contemporaines.<br />

: Une histoire économique globale ?<br />

Depuis quelques années, l’histoire économique connaît donc un regain d’intérêt<br />

et certaines approches permettent de répondre au désir de rapprochement de<br />

l’histoire et de l’économie. Une des réponses possibles est l’histoire économique<br />

globale. Cette approche de l’histoire se caractérise par la mise en relation, pour<br />

un objet donné, de périodes ou d’espaces géographiques différents. Rompant avec<br />

les cadres académiques traditionnels, s’intégrant mal au découpage en quatre<br />

périodes historiques il s’agit plus d’une méthode de travail que d’un champ disciplinaire<br />

proprement dit à l’origine duquel on trouve le projet développé, à la fin des<br />

années 40, par l’UNESCO (United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization),<br />

d’écrire une histoire de l’humanité sans orientation géographique particulière,<br />

ce qui fut fait par Louis Gottschalck, Marshall Hodgson et William Mc Neill.<br />

Une des particularités de l’histoire globale est la volonté de rendre en compte les<br />

effets de la mondialisation en intégrant tous les lieux, toutes les sociétés et toutes<br />

les époques en « décentrant » le regard, en usant des comparaisons et en raisonnant<br />

à l’échelle mondiale. Largement inspirée des travaux fondateurs de Fernand<br />

Braudel, en particulier de « Civilisation matérielle, économie et capitalisme (XV e -<br />

XVIII e siècles) » (1969), l’histoire globale agrège des disciplines. Cette dimension,<br />

au cœur de l’ESH, permet de croiser les acquis de la géohistoire (pourquoi telle<br />

zone est-elle dynamique et telle autre pas à tel moment donné ?), ceux de l’histoire<br />

vue d’ailleurs, l’histoire croisée ou bien encore l’histoire environnementale.<br />

En outre, l’histoire globale ouvre aussi des perspectives sur ce qui vient après et<br />

ne cherche pas à se limiter à l’explication des événements passés.<br />

En France ce n’est pas simple. L’histoire économique est héritière des travaux<br />

fondateurs d’Ernest Labrousse et Fernand Braudel et donc de l’école des Annales.<br />

Pour le premier, les méthodes étaient largement quantitatives, fondées sur des<br />

séries, en particulier de prix que des centaines de petites mains s’efforçaient de<br />

reconstituer, comme, par exemple, celles des Mercuriales. De ces mouvements de<br />

prix se déduisaient des tendances qui permettaient souvent d’aller vers le social<br />

(par exemple l’explication de la Révolution française par les mouvements des prix<br />

des céréales). L’histoire globale n’est pas née en France. Le travail fondateur est<br />

dû à Kenneth Pomeranz qui dans « La grande divergence » se demande pourquoi<br />

l’Angleterre a fait mieux que la Chine (il répond à la question souvent posée<br />

aux étudiants : Pourquoi l’Angleterre ?). En France, la publication de l’ouvrage de<br />

Philippe Norel, « L’histoire économique globale » (2009) comble cette lacune, en<br />

faisant le point sur les tendances actuelles, et dote les étudiants d’un ouvrage les<br />

poussant à réfléchir au sens des évolutions de l’économie mondiale.<br />

Comment pouvons-nous utiliser l’histoire ? Au-delà d’un arrière-plan, elle nous<br />

fournit des cadres explicatifs (et aussi des exemples factuels). Elle détermine<br />

les grandes tendances dans lesquelles s’inscrivent nos problématiques. C’est<br />

ainsi que nous pouvons tout à la fois mobiliser les travaux de longue durée d’A.<br />

Maddison, les acquis de la cliométrie et de la nouvelle économie institutionnelle<br />

(Douglass C. North, « Institutions, Institutional Change and Economic Performance<br />

», Cambridge University Press, 1990) ou plus récemment, les ouvrages de<br />

Doran Acemoglu et James Robinson (« Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi<br />

certains pays réussissent mieux que d'autres », Markus Haller, 2015). Bien<br />

entendu cela ne doit pas conduire à rejeter les approches plus anciennes. Les<br />

théories de la croissance proposées, dans les années soixante par Walt W. Rostow<br />

ou Alexander Gerschenkron, les travaux de Paul Bairoch, « L’Histoire économique<br />

et sociale du monde » sous la direction de Pierre Léon conservent tout leur intérêt<br />

pour qui veut relier les questionnements économiques au temps long et montrer<br />

qu’une grande partie des questions que nous nous posons sur notre environnement<br />

économique et social ne sont pas nouvelles même si le contexte change. n<br />

L’école des Annales<br />

« Les économies ont les crises de leurs structures » (selon<br />

l’expression d’Ernest Labrousse), tel pourrait être en raccourci le<br />

message des Annales, qui a pris progressivement corps au cours des<br />

années trente. Délaissant l’histoire événementielle au profit de la<br />

longue durée, les individus au profit des structures (la Méditerranée<br />

au temps de Philippe II plutôt que Philippe II en Méditerranée),<br />

l’École des Annales* a privilégié une lecture économiste, voire<br />

économiciste (le poids de ses influences marxistes ?), de l’histoire,<br />

traquant les régularités, privilégiant la continuité. Selon Fernand<br />

Braudel « il n’y a jamais entre passé, même passé lointain, et<br />

temps présent de rupture totale, de discontinuité absolue ou, si l’on<br />

préfère, de non-contamination » (« La dynamique du capitalisme »,<br />

Arthaud, 1985 : un ouvrage court, clair et brillant, indispensable).<br />

Ainsi sommes-nous invités à mettre la crise actuelle en perspective<br />

historique, à replacer les bouleversements contemporains dans la<br />

longue chaîne de l’histoire du développement, depuis l’assolement<br />

quadriennal et le marnage des terres de Charles Townshend<br />

(1674-1738) dans le Norfolk à l’émergence de l’Asie du Sud-Est.<br />

Alors pouvons-nous mieux appréhender comment des « jeux<br />

de l’échange » naquit « le temps du monde » (respectivement les<br />

titres des tomes II et III de « Civilisation matérielle, Économie et<br />

Capitalisme ; XV e -XVIII e siècles)… n<br />

* d’après le titre de la revue « Annales d’histoire économique et sociale » fondée<br />

en 1929 par Lucien Febvre (un moderniste) et Marc Bloch (un médiéviste) pour<br />

rompre avec l’histoire événementielle et rapprocher la méthode historique des<br />

sciences humaines.<br />

L’ESSENTIEL DU SUP | PRÉPAS 19 AVRIL <strong>2018</strong> | N°16

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