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« J’aurais pu me barrer<br />
et me trouver un emploi<br />
normal, mais ce n’est<br />
pas ce dont je rêvais.»<br />
à développer mon sport. Je veux être reconnue<br />
d’abord comme une bonne pilote de moto puis<br />
comme une femme, poursuit-elle. Et pour y arriver,<br />
il faut le mériter. Je dois gagner des courses. »<br />
Par un coup du sort et des conflits d’horaire, la<br />
seule course de Shayna à laquelle je peux assister est<br />
celle où l’on ne s’attend pas à un bon résultat de sa<br />
part. La Short Track Laconia, qui a lieu le 15 juin<br />
à Loudon, au New Hampshire, a été ajoutée cette<br />
année au calendrier de l’AFT. La piste de sable d’un<br />
quart de mile nouvellement conçue est aussi lisse<br />
qu’une plage. Dans le premier tour d’essai, je regarde<br />
les pilotes glisser dans le premier virage, reprendre<br />
en se secouant leur position verticale pendant que<br />
les motos menacent de déborder, puis accélérer de<br />
nouveau dans la ligne droite, l’arrière de la moto<br />
s’agitant dans le sable brun profond. Au fur et à<br />
mesure que la journée avance, le sol se tasse et crée<br />
des bosses de freinage en forme de vagues si hautes<br />
qu’elles propulsent les roues à quelques centimètres<br />
au-dessus du sol.<br />
Shayna a eu un début de saison plutôt lent. Elle<br />
a gagné le Texas Half Mile mais le Sacramento<br />
Half Mile, qu’elle a remporté trois fois au<br />
cours des dernières années, a été reporté en raison<br />
du mauvais temps ; et elle a terminé deuxième au<br />
Lexington Mile la semaine précédente. À part cela,<br />
le calendrier est rempli de courses en TT. Shayna<br />
s’améliore, mais lors de son dernier TT, elle était<br />
dans la première moitié du peloton avant qu’un autre<br />
coureur ne la sorte des demi-finales. Malgré tout,<br />
elle roule bien aujourd’hui, sur cette courte piste<br />
physiquement exigeante où elle rencontrait tant de<br />
difficultés. Elle termine troisième aux qualifications,<br />
puis cinquième en demi-finale, manquant de peu un<br />
départ en première ligne dans l’épreuve principale.<br />
Au calme : une fois chez elle, dans sa campagne de Pennsylvanie,<br />
le phénomène du Flat Track améliore sa technique à l’arc.<br />
Son dur labeur semble porter ses fruits. Puis tout<br />
s’effondre. Quand le feu vert s’allume lors de<br />
l’épreuve principale des Singles, le peloton se précipite<br />
vers l’avant. Je cherche les couleurs bleu et<br />
orange de l’équipement de Shayna, mais je ne la vois<br />
nulle part. Non, attendez, la voilà. Parmi les derniers.<br />
Alors que le groupe rugit sur la piste, nous projetant<br />
du sable à chaque passage, Shayna se retrouve en<br />
dernière position.<br />
Un accident survient. La course est arrêtée et<br />
le pilote est transporté hors de la piste. Les<br />
mécanos se précipitent sur leurs pilotes pour<br />
voir si tout va bien, et quand Justin, celui de Shayna,<br />
revient, il nous informe qu’une fois passée en troisième,<br />
sa moto tourne à vide. Lorsque la course<br />
reprend, privée de puissance maximale, Shayna<br />
est en perdition. Elle termine seizième sur seize<br />
coureurs…<br />
Ce n’est pas ainsi que cela doit se passer. Shayna<br />
est la fille qui bat les garçons. C’est ce qu’ils disent,<br />
pas vrai ? C’est une bonne histoire, une histoire qui<br />
attire un flot incessant de fans à sa table chaque<br />
week-end – les gars en gilets de cuir qui l’encouragent<br />
à « faire vivre l’enfer aux autres coureurs », les enfants<br />
timides, les femmes qui font aussi de la moto. Ils<br />
adorent regarder Shayna parce qu’elle montre comment<br />
on peut être sous-estimée, dépassée en force<br />
et en nombre, et néanmoins gagner.<br />
Mais ce que la plupart d’entre nous ne réalisent pas,<br />
ou peut-être oublient, c’est que le fait d’arriver en dernière<br />
place fait aussi partie de son parcours. Shayna<br />
n’a pas été un feu de paille. Elle n’est pas intrépide et<br />
sa préparation mentale n’est pas sans faille. Elle a travaillé<br />
pendant des années dans un sport de niche par<br />
amour pour celui-ci. « J’aurais pu abandonner en 2011<br />
avant de remporter cette première course », m’avait<br />
rappelé Shayna en Pennsylvanie, quelques semaines<br />
auparavant. « J’aurais pu me barrer et me trouver un<br />
emploi normal. Mais ce n’est pas ce dont je rêvais. »<br />
Quand on est l’outsider, quand on est en position<br />
d’infériorité, on ne gagne pas tout le temps. Peutêtre<br />
même pas la plupart du temps. Mais si tu n’abandonnes<br />
jamais, ton heure va venir. Tu peux leur<br />
montrer qu’ils ont tort. Tu n’as qu’à croire en toi.<br />
Je vais voir Shayna et Scott sous leur tente.<br />
Il est soulagé d’apprendre qu’il s’agissait d’un<br />
problème mécanique et que cela n’a pas à voir<br />
avec sa conduite. Mais il réfléchit déjà à ce qu’il va<br />
falloir dire : aux détracteurs chroniques, aux fans,<br />
au nouveau manager de l’équipe qui est impatient<br />
d’obtenir des résultats. Que c’est injuste ! « On aurait<br />
presque aimé pouvoir lancer une fusée éclairante,<br />
se lamente-t-il, comme pour dire : “C’est un problème<br />
mécanique, son embrayage a grillé !” » Mais Shayna<br />
lui fait ce sourire en grimaçant. Elle lui tape le bras.<br />
« Ça va, dit-elle. On les battra la prochaine fois. »<br />
Et je sais qu’elle le pense vraiment.<br />
Deux semaines plus tard, au Lima Half Mile, sur<br />
la piste où elle a surpris tout le monde l’an dernier,<br />
Shayna gagne à nouveau, par 2,57 secondes. Et<br />
prouve une fois de plus qu’elle a sa place dans le<br />
milieu de l’ovale.<br />
THE RED BULLETIN 33