Journal asmac No 3 - juin 2021

Point de mire
La retraite et
après?
Un repos bienvenu après le devoir accompli. C’est en tout cas le
sentiment de Roman Vogt. Mais ses réflexions montrent aussi que la
retraite peut prendre des formes bien différentes.
D r méd. Roman Vogt, médecin spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie
Retraite 1. Il y a quelques mois,
le septuagénaire Joe Biden a
pris ses fonctions de président
des Etats-Unis. Une tâche que
l’on peut qualifier de véritablement surhumaine.
Or Joe Biden a voulu le poste et
il le veut toujours. Avec l’énergique Kamala
Harris à ses côtés.
Retraite 2. Un autre septuagénaire
nommé Joe – appelons-le Josef Heiden –
se retrouve involontairement confronté au
plus grand défi de sa vie. Son épouse Maria
est atteinte d’Alzheimer. Ce qui attend les
deux Joe pourrait bien les confronter aux
limites de l’endurance humaine.
Comme la vie, la retraite peut nous réserver
toutes sortes de surprises. «L’important
n’est pas la direction du vent, mais
la façon dont on hisse la voile», affirme un
dicton librement inspiré de Socrate, que
j’aimais bien citer à mes collaborateurs. Ce
proverbe de marin garde toute sa validité
avec l’âge et sur la terre ferme.
Retraite 3 et suivantes. A quelles activités
se consacrent mes contemporains?
Ils s’occupent de leur jardin, élèvent des
abeilles, dispensent des cours d’informatique
et de téléphone portable dans le
cadre de Pro Senectute, prennent soin de
leurs parents âgés, conduisent le bus du
centre pédagogique spécialisé, font des
randonnées avec leurs collègues du cours
de gymnastique, gardent leurs petits-enfants.
Je les croise dans mon quartier.
Nous échangeons brièvement sur le thème
du «Comment ça va?» – «Bien merci» –
«Heureusement, l’été arrive». Et si ça ne va
pas bien, Peter s’étend plus longtemps sur
le sujet. Ou pas. Qui n’aime pas se mêler à
ses semblables risque de souffrir de solitude.
Avant, pendant et après le coronavirus.
Les retraités que je vois en consultation
m’ouvrent leur cœur. De la prostration
aux tumultes psychiques, je vois de
tout. Parfois, il y a encore des choses à
mettre en ordre – un vieux litige avec une
sœur, un épisode impardonnable impliquant
le père. Parfois une réconciliation
tardive a lieu, mais pas toujours. Les
vieilles rancunes blessent aussi l’âme de
ceux qui les remâchent, parfois pendant
des décennies. Ramener la paix en son for
intérieur est la condition de la rémission.
Rétrospective: 1973, je prends mon
premier poste de médecin-assistant, en
chirurgie. Une machine à écrire est disposée
sur le bureau de chacun des assistants
(nous sommes six hommes). Des amitiés
naissent à cette époque qui dureront toute
ma vie. Aujourd’hui, nous nous déplaçons
tous avec nos ordinateurs et nos téléphones
portables. Pendant 48 ans, j’ai eu
la chance de participer à une vie médicale,
sociale et culturelle d’une fascinante richesse.
J’ai eu des chefs inspirants que ce
soit durant mes années de formation en
chirurgie, en obstétrique, en médecine ou
en pédiatrie. Puis j’ai eu l’opportunité de
perfectionner mes compétences en
Afrique, aux côtés d’un ami, dans un hôpital
de montagne. Pour pratiquer nos examens,
nous devions nous fier à nos yeux,
nos oreilles, nos mains, à notre stéthoscope
et à des outils rudimentaires, y compris
pour les extractions de dents. Durant
mes onze ans de pratique en tant que médecin
de famille en Suisse, j’ai résisté tant
bien que mal à la pression et aux pics de
travail. Mais un collègue plus jeune a payé
son engagement de sa vie, victime du
stress dans ce qu’il peut occasionner de
pire. Dans ma formation postgraduée de
psychiatre, les gens m’ont appris qu’eux
seuls déterminaient la cadence. La guérison
prend des mois, voire des années. Ou
ne se produit jamais, et c’est alors le suicide
ou les pulsions destructrices qui
prennent le dessus. La formation de psychothérapeute
en analyse transactionnelle
permet de se situer et offre des
chances insoupçonnées. Devenu médecin-chef
sur le tard et membre de la direction,
je me suis battu comme un lion au
sujet des ressources. J’ai rechargé mes batteries
auprès de ma famille et de mes amis,
parmi les pommiers et au cours de croisières.
Plus tard, j’ai compris ceci: la pratique
médicale telle que je l’avais exercée
jusqu’à ce jour était un devoir et je l’avais
voulu ainsi.
Rupture. 65 ans, l’âge de la retraite. Je
quitte l’institution et je gagne une nouvelle
indépendance. Physiquement, je
sens un poids tomber de mes épaules. Je
n’étais pas conscient de tout ce que les responsabilités
exigeaient de moi. Je le réalise
maintenant que j’ai du temps et de la
place pour les loisirs. Je ressens ce ralentissement
comme une bénédiction et ce
sentiment perdure. Bien sûr, la retraite signifie
aussi une perte de pouvoir et d’influence.
C’est le prix de la détente.
Ralentissement. Le temps que je récupère
pour ma vie privée, je le consacre en
grande partie à garder mes petits-enfants
avec mon épouse. C’est le plus souvent sti-
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