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DOSSIER
Texte Michèle Dussex
Illustration Antoine Bouraly
72h sans aucune connexion
72h hors connexion ? Facile ! Pas si sûr...
Une chroniqueuse tente l’expérience de la déconnexion totale.
L
’hyperconnectivité, nous en avons
tou·te·s entendu parler et pensons bien
souvent que l’importance de ce phénomène,
souvent classifié comme addiction,
est exagérée. Ou, du moins, qu’il ne nous
concerne pas personnellement.
La consigne est claire : 72h sans mobile,
sans ordinateur, sans télé et sans radio.
Je me dis que ça ne peut pas être si dur.
En cours, je prends mes notes à la main.
Certain·e·s de mes ami·e·s m’ont déjà crue
morte faute de parvenir à me joindre. La
télévision, cela fait longtemps qu’on ne l’a
plus à la maison…et surtout, qui écoute
encore la radio ? Donc, a priori, aucune
addiction en vue. Oui, mais…
Une planification pas si aisée
Avez-vous déjà essayé de trouver une plage
de trois jours durant laquelle vous êtes sûr ·e·s
de ne pas nécessiter l’usage de votre smartphone
? Pouvez-vous garantir, par exemple,
que personne ne cherchera subitement à
vous joindre à tout prix ? Mais bon, admettons
que toutes vos connaissances soient
au courant et approuvent votre démarche,
pouvez-vous aussi vous passer de votre
ordinateur, notamment dans le cadre des
cours ? Je l’ai déjà mentionné, je prends
mes notes à la main et trouve donc tout à
fait envisageable pour n’importe quel·le étudiant·e
de faire de même le temps de cette
expérience.
Ceci dit, je découvre par le biais de cette dernière
que penser cela s’avère quelque peu réducteur.
Tout d’abord, cela revient à négliger
un élément central de notre vie d’étudiant·e :
la plateforme en ligne Moodle. En effet, moi
qui pensais commencer mon expérience le
vendredi soir, je déchante rapidement. Impossible
de déposer tous mes devoirs sur
Moodle avant ce délai et 72h après, mes
travaux seront taxés d’un retard. Et voilà, je
me retrouve à commencer ma période de déconnexion
seulement le samedi soir. Au fait,
et c’est mon deuxième point, si je pensais débuter
le vendredi soir, ce n’est pas par hasard :
ce ne semble pas être le cas pour tou·te·s les
étudiant·e·s mais, dans ma branche, certains
de nos cours sont donnés en salle d’informatique.
Inutile de préciser que cela ne rentre
pas vraiment dans le cadre de l’expérience.
Entre stress et liberté
Une fois les dates fixées et tous mes rendez-vous,
horaires et lieux, notés soigneusement
sur un papier, je laisse enfin tomber
mon ordinateur et mon smartphone. Rapidement,
le premier moment de stress se
présente : j’ai oublié d’avertir mes parents. Ne
les voyant pas rentrer, je commence à m’inquiéter,
alors que cette situation reste assez
courante et que mon absence de joignabilité
n’y change rien. Et moi de poser un premier
bilan : nous sommes habitués à pouvoir
échanger des nouvelles rapidement. Ce
qui attise mon inquiétude, ce n’est pas tant
de ne pas connaître leur programme que de
ne pas avoir de moyen de les joindre. Impuissance
ressentie comme une forme de
vulnérabilité.
De même, l’horaire d’un cours bloc commence
par me causer du souci, je crains
qu’il ne soit modifié. Puis, décidant de faire
contre mauvaise fortune bon cœur, je décide
que nos enseignant·e·s ne peuvent en
aucun cas exiger de nous que nous soyons
joignables en tout temps. Ainsi, si l’horaire
devait être modifié, eh bien soit, je ne me
présenterais tout simplement pas. Liberté.
Quelques échecs mais
pas seulement
Cette décision finit tout de même par
me causer quelques surprises lors
de mon retour à la connectivité. La
moindre n’est pas de découvrir qu’un
travail supplémentaire m’a été assigné
pour des corrections que je n’ai
pas apportées au devoir original, corrections
dont je découvre tout juste
l’existence, cela va sans dire. Mais
cela ne constitue que le contenu
d’un des quelques 8 mails et 165
messages qui m’attendent.
Finalement, je tiens à avouer mes
deux échecs. Le premier, quand
une amie me tend tout naturellement
son téléphone pour me montrer
quelques images. Le second, en
entrant dans un bus où la radio est
allumée. Ainsi, on ne peut se couper
complètement du monde connecté,
il vient à nous si nous le rejetons.
Cependant, il est possible d’essayer et
personne n’est en droit d’exiger notre
joignabilité. ■
12 spectrum 03.2020