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Christopher Purves bass - Chandos

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CHAN 3121 BOOK.qxd 12/9/06 4:19 pm Page 60<br />

les représenter comme des époux désunis,<br />

soucieux à juste titre de la manière dont leur<br />

fille doit être éduquée. Et compte tenu de la<br />

manière dont se déroule le récit, Mozart et<br />

Schikaneder étaient manifestement du côté des<br />

anges.<br />

En dehors de la symbolique et de la<br />

connaissance que l’on peut en avoir, l’intrigue<br />

conserve sa propre logique, ses propres<br />

symétries et ses propres oppositions,<br />

apparemment inconciliables – lumière et<br />

obscurité, soleil et lune, éléments mâle et<br />

femelle, feu et eau, or et argent. Lorsque nous<br />

les voyons pour la première fois, tant Tamino<br />

que Pamina s’évanouissent, Tamino à la vue<br />

d’un immense serpent (et nous n’avons pas<br />

besoin de Freud pour nous expliquer la<br />

signification des serpents), Pamina sous la<br />

menace du libidineux Monostatos. Ils tombent<br />

en pâmoison face à un premier défi sexuel. Et<br />

faisant écho aux opéras antérieurs dans lesquels<br />

des serviteurs parodiaient leurs maîtres,<br />

Papageno, avec une certaine fierté, tombe aussi<br />

en pâmoison (“Je suis évanoui” – “I’ve<br />

fainted!”) dans le deuxième acte après avoir été<br />

victime des artifices des Trois Dames. Plus tard<br />

Papageno parodie la scène du suicide de<br />

Pamina. Il est aussi parfaitement logique que<br />

Papageno et Monostatos soient au début du<br />

60<br />

“mauvais” côté, Papageno au service de la<br />

Reine et Monostatos au service de Sarastro; ils<br />

en changent dans le cours de l’action, tout<br />

comme le font la Reine et Sarastro dans<br />

l’esprit du public.<br />

Mais le nœud de La Flûte, de ce voyage de<br />

l’obscurité vers la lumière, ne demande aucun<br />

commentaire. Le face à face des éléments mâle<br />

et femelle illustrent toutes les inconciliables<br />

oppositions évoquées ci-dessus. Ce qui<br />

ressemble dans le texte à de la misogynie<br />

coutumière, perceptible surtout dans les<br />

paroles des prêtres de Sarastro, sans même<br />

parler de Sarastro, a souvent dérangé.<br />

Comment, demandent certains esprits<br />

sensibles du vingt-et-unième siècle, ces<br />

personnages peuvent-ils être considérés comme<br />

des parangons issus du Siècle des lumières?<br />

Cette forme de sensibilité est périmée depuis<br />

plus de deux siècles! Dans le texte allemand<br />

original de “O Isis et Osiris”, Sarastro chante<br />

l’esprit de sagesse à accorder au “nouveau<br />

couple” (“dem neuen Paar”), “arm them with<br />

strength and joy as they proceed” dans la<br />

judicieuse traduction de Jeremy Sams (“armezles<br />

de force et de joie dans leur<br />

cheminement”). Plus tard, il demande à<br />

Tamino s’il aspire encore à régner un jour avec<br />

sagesse avec Pamina.<br />

Et voyez ce qu’il advient de Pamina au cours<br />

de l’opéra: l’adolescente qu’elle était (Anna<br />

Gottlieb qui créa le rôle n’avait que dix-sept<br />

ans) devient une femme d’une<br />

impressionnante maturité au point que les<br />

Hommes d’armes la déclare “digne d’être<br />

initiée”. Lorsqu’elle rejoint Tamino pour les<br />

épreuves du feu et de l’eau, elle prononce les<br />

mots: “je resterai à tes côtés”, mais là n’est pas<br />

seulement la question. Les indications<br />

scéniques précisent qu’elle (une femme) le<br />

“conduit” lui (un homme) au travers de ces<br />

épreuves, ce qui est plus que de vivre comme<br />

“homme et femme” ce dont rêvent Pamina et<br />

Papageno dans le premier acte. Pamina se<br />

montre digne en effet, et tant pis pour la<br />

misogynie, conquise de manière aussi décisive<br />

que l’est la Reine par Sarastro qui en homme<br />

sage se rendra compte que certaines de ses<br />

attitudes invétérées sont légèrement périmées!<br />

D’où son projet magistral de conciliation face<br />

à toutes ces oppositions, sa détermination<br />

dans sa seconde aria de marcher “vers une<br />

terre meilleure”, et sa prudente décision de<br />

se retirer d’une manière (relativement)<br />

anticipée.<br />

Tout cela est bien sûr étonnant dans le<br />

contexte du vingt-et-unième siècle, et il va sans<br />

dire du dix-huitième, mais c’est par la musique<br />

61<br />

de Mozart que La Flûte surprend le plus, bien<br />

sûr. Prenons-en pour preuve la prodigieuse<br />

mélodie, l’esprit, la fantaisie, la “magie”, et – si<br />

les termes ne font par horreur – la “correction”<br />

académique: le contrepoint éblouissant dans<br />

l’ouverture est aussi exaltant que celui du<br />

finale de la Symphonie “Jupiter”. La manière<br />

dont Mozart, libéré des conventions, ajusta<br />

son style musical à la situation dramatique,<br />

plus que dans tout autre opéra (de sa main ou<br />

d’un autre compositeur). Papageno chante des<br />

chansons pop. Les Hommes d’armes chantent<br />

un chorale de Bach d’une grande complexité<br />

contrapuntique – Mozart adorait Bach. Il<br />

aimait beaucoup Haendel aussi, et conçut du<br />

Messie sa propre version imprégnée de<br />

tendresse. Connaissait-il “Zadok the Priest”?<br />

Rien que la grandeur du Chœur des Prêtres<br />

dans le deuxième acte, et son<br />

accompagnement, le suggèrent. Et il avait<br />

certes une connaissance approfondie de Gluck,<br />

comme en témoigne la marche qui introduit le<br />

deuxième acte. Ces remarques ne laissent<br />

nullement supposer que Mozart ait plagié; elles<br />

sont plutôt l’expression d’une admiration et<br />

d’un hommage bien justifiés.<br />

Pour illustrer musicalement le caractère<br />

réactionnaire de la Reine, Mozart eut recours<br />

au langage musical d’apparence désuète de

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