Dossier <strong>Vers</strong> la fin de l’usine du monde ? Le <strong>modèle</strong> de la croissance <strong>chinois</strong>e, fondé sur des produits à faible valeur ajoutée à bas coûts, montre des signes de ralentissements. Pour survivre, l’appareil d’export <strong>chinois</strong> a deux directions possibles : la première consiste en <strong>un</strong>e montée en gamme des produits « made in China », accompagnée par l’émergence d’<strong>un</strong>e économie tertiarisée tirée par l’innovation ; la seconde, plus inattendue, insiste au contraire sur <strong>un</strong> développement qualitatif et technologique modéré pour éviter au pays de se retrouver dans le « piège des revenus moyens ». 26 Connexions / hiver 2012
Analyse <strong>Vers</strong> <strong>un</strong> <strong>nouveau</strong> <strong>modèle</strong> <strong>chinois</strong> ? 中国的新发展模式? Une dynamique de montée en gamme modérée D’après Jean-François Di Meglio, après avoir imposé sa puissance industrielle en <strong>un</strong> temps record, l’économie <strong>chinois</strong>e se devait de glisser vers le secteur tertiaire. Elle le fera mais, là encore, à son rythme et à sa manière. La Chine, qui a longtemps appuyé sa croissance sur <strong>un</strong>e faiblesse de ses coûts de fabrication et de sa devise est en train de perdre sa compétitivité sur ces deux fronts. Elle a fait <strong>un</strong>e grande partie du chemin qu’on lui demandait de faire en réévaluant sa devise : plus de 30%, par paliers, depuis 2005. Et les revendications salariales qui ont éclaté dans la sous-traitance ont entraîné des hausses de salaires très importantes dans tout le secteur manufacturier. L’ombre de délocalisations vers d’autres pays se profile. Une montée en gamme « modérée » La tertiarisation d’<strong>un</strong>e économie signifie <strong>un</strong>e montée graduelle en puissance avec mise en place de services très sophistiqués et sans défaut. La Chine a, dans des domaines essentiels, fait <strong>un</strong> choix très différent des nôtres. Indéniablement, ses efforts de recherche sont importants : elle consacre apparemment (et hors budget recherche potentiellement inclus dans les budgets militaires) 1,7% de son PNB à la recherche, qui aujourd’hui serait le troisième budget mondial, derrière les Etats-Unis et l’Europe, la part dans le budget mondial s’élevant désormais à 11,8%. Mais il faudrait requalifier ce chiffre apparemment impressionnant : il concerne surtout l’ingénierie, et il faut aussi que la Chine assure <strong>un</strong> « rattrapage technologique », dont des travaux récents (en particulier à partir des représentants de Bercy à Shanghai) ont montré qu’il se faisait de plus en plus vite. Encore faut-il y consacrer beaucoup d’efforts : par exemple, si dans le domaine des trains à grande vitesse on pouvait dire que « vingt ans de retard ont été rattrapé en dix ans », il y a beaucoup d’autres do- maines (billetique, circuits intégrés) où le retard se rattrape « en temps réel », donc remet la Chine à niveau sans lui permettre de prendre <strong>un</strong> leadership. La part <strong>chinois</strong>e dans les brevets mondiaux (en forte augmentation pourtant) reste très inférieure (moins de 10%) à celle de l’Europe, des Etats-Unis, et du Japon (environ 35, 25 et 15% respectivement). Il y a plusieurs exemples aussi où le choix <strong>chinois</strong> est de fabriquer en masse des produits relativement moins sophistiqués que ceux que l’Occident distribue dans le monde : des marchés sont conquis, l’Occident en est exclu certes, mais il n’est pas « remplacé ». Dans les télécoms, par exemple, à travers leurs champions, Huawei ou ZTE, qu’il s’agisse de la fourniture de centraux, de toute l’assistance technologique, de la capacité à exporter… la Chine a fait le choix d’offrir <strong>un</strong> produit relativement fiable mais en acceptant <strong>un</strong> niveau de sophistication moins exigeant (et sans doute aussi <strong>un</strong> taux de défauts plus élevé) que cela ne se fait en Occident : c’est la montée en gamme modérée. Même frein pour certains produits à très haute valeur ajoutée, comme les wafers, ce summum de la sophistication sur lesquels on imprime circuits intégrés, transistors, semi-conducteurs… que les Chinois, contrairement aux Taïwanais, aux Coréens et bien sûr aux Japonais, pour lesquels, à vue occidentale du moins (et « en choisissant De monter en gamme les <strong>chinois</strong> pensent aux marchés Des granDs émergents où les besoins sont immenses mais les moyens limités. » malgré l’existence de « supercalculatrices » en Chine), la Chine ne semble pas planifier les investissements massifs (civils du moins) que cette branche implique. Dans ce domaine, la Chine est en retard de deux ou trois générations. Certes, le type d’usine, capable de fabriquer des produits aussi sophistiqués avec <strong>un</strong> taux de défaut quasi nul, coûte dans les 10 milliards de dollars, dix fois plus cher qu’il y a quinze ans. La Chine considère-t-elle réellement qu’elle n’en a pas les moyens ? Ou est-ce <strong>un</strong> choix ? Ou bien alors ne voyons-nous que la face « apparente » de cette recherche ? Pas d’autre choix que les bas prix La part de l’industrie des services la plus développée en Chine est à destination locale et low cost. Dès que l’on veut monter en gamme, mais surtout sortir de son propre marché en en visant d’autres, on doit régler la question posée par <strong>un</strong>e barrière toute simple, celle de la langue. Si l’Inde a réussi sa mutation vers les industries de service et surtout vers l’exportation de ces industries que nous délocalisons là-bas en partie ou bien que nous sous-traitons, c’est aussi parce qu’en plus de la technicité, la pratique de l’anglais était là. La Chine n’a pas totalement travaillé sur sa propension très forte à utiliser sa langue. En Chine, il n’y a pas de pression à faire autrement qu’en <strong>chinois</strong>. Le désir de comm<strong>un</strong>iquer ••• hiver 2012 / Connexions 27