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manger au restaurant. À son retour, il a sorti sa bouteille de whisky pour me<br />

proposer la « gorgée de l‘amitié », amitié solidement scellée à grand renfort<br />

d‘autres gorgées, un peu surprenantes pour le consommateur de whisky modéré<br />

que j‘étais. Puis, nous avons éteint les lumières.<br />

À peine quelques minutes avaient-elles passé après cette « extinction des<br />

feux » et les premières torpeurs du sommeil se faisant sentir à une vitesse accrue<br />

par le catalyseur whisky, que soudain je sens brutalement un poids s‘abattre<br />

dangereusement sur ma poitrine à la hauteur de ma gorge. Ma première pensée : cet<br />

énergumène a perdu la raison sous l‘effet de la boisson (il faut dire que la bouteille<br />

avait été vidée intégralement et que je n‘avais pas bu beaucoup). Aussi je me<br />

précipite sur le bouton de la petite lampe de chevet que j‘allume et je trouve… un<br />

gros chat noir sur ma poitrine. Soulagement, ce n‘était donc pas ce « sauvage » qui<br />

partageait ma chambre. Après nos rires communs, lorsque je lui eus dévoilé mes<br />

soupçons, nous avons découvert l‘origine de l‘incident : voilée par les lourdes<br />

draperies qui la cachaient, nous avons déniché la fenêtre ouverte par laquelle était<br />

entré le matou.<br />

Cette sensibilité, cette chaleur humaine que Tudor a montrée dès cette<br />

première rencontre, nous la retrouvons dans ses écrits, où elle est sous-tendue par<br />

la « Achtsamkeit » heideggerienne, ce regard attentif de l‘artiste créatif (Tudor était<br />

aussi peintre et sculpteur) sur le <strong>text</strong>e à traduire. Illustrons ces qualités en<br />

examinant un article tiré de Urme de condei, intitulé modestement « Călatorind<br />

spre capătul traduceri » [Voyage au bout de la traduction], dans lequel il analyse le<br />

premier paragraphe de la traduction roumaine du Voyage au bout de la nuit de<br />

Louis-Ferdinand Céline.<br />

Je dois dire qu‘en relisant cet article j‘ai eu, à plusieurs moments, des<br />

larmes aux yeux : tellement j‘y ai retrouvé le personnage de Tudor en chair et en<br />

os, sa sensibilité à fleur de peau, son sens de la langue, sa façon de se mettre dans<br />

la peau de l‘auteur qu‘il traduisait, prenant le temps de s‘identifier à lui dans la<br />

mesure du possible, sa modestie aussi face aux propositions de traductions d‘une<br />

créativité géniale par lesquels il remplaçait les propositions du « traducteur<br />

autorisé » lorsqu‘il les trouvait par trop plates, sa connaissance aussi du langage<br />

familier français, qu‘il n‘hésitait pas à utiliser dans nos conversations (même si<br />

cela a pu faire rougir les dames en présence), mais connaissance qui lui avait<br />

permis de tellement bien faire sentir ce que l‘auteur qu‘il traduisait ou commentait<br />

voulait signifier en l‘utilisant. Connaissance aussi qui le faisait souffrir quand il<br />

voyait la fonction de ce langage familier méconnue dans une traduction, comme<br />

c‘était le cas dans celle qui l‘a incité à écrire l‘article que nous allons commenter et<br />

à propos duquel nous essayerons de mettre en évidence ce qu‘il entendait par une<br />

approche herméneutique en traduction. Connaissance finalement qui le prédestinait<br />

en fait à traduire un auteur comme Céline quand on pense à la fraternité d‘esprit<br />

qui les unissait.<br />

Cette fraternité d‘esprit est flagrante pour le connaisseur de Céline qui a<br />

fréquenté Tudor Ionescu : Tudor n‘hésitait pas à utiliser un langage populaire très<br />

métaphorique, plein de verve (pas un des nombreux mails qu‘il m‘a envoyés qui ne<br />

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