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mots qu‘il choisit. Les mots ne sont, en effet, pas isolés, mais font partie d‘un<br />

champ associatif auquel ils appartiennent de par leur histoire.<br />

Et, à propos d‘histoire, Tudor Ionescu nous rappelle que les connotations<br />

socio-culturelles changent avec l‘évolution de la société. De ce fait la traduction de<br />

l‘anodin « camarade », que Céline utilise pour désigner le camarade de promotion<br />

de son héros, par le roumain « camarad », dans la traduction que nous avons<br />

devant les yeux, introduit des connotations politiques auxquelles l‘auteur du <strong>text</strong>esource<br />

était loin de penser. Du fait du con<strong>text</strong>e socio-politique communiste qui<br />

s‘était établi dans la Roumanie de l‘après-guerre, le mot « camarad » avait évolué<br />

au plan sémantique et servait à manifester que l‘on appartenait (ou prétendait<br />

appartenir du moins formellement) au même bord politique que celui qu‘on<br />

apostrophait ainsi. Les considérations diachroniques font donc partie des jalons qui<br />

doivent être respectés par le traducteur.<br />

Les mots « inutiles » et leur fonction dans le <strong>text</strong>e<br />

Arrivant au mot « voilà », Ionescu nous donne un exemple de la finesse<br />

analytique à laquelle doit recourir le traducteur face à des mots apparemment<br />

« inutiles ». Ne sachant trop que faire de ce mot, qui, à première vue, entre deux<br />

points, semble être un peu perdu, sans liens avec le con<strong>text</strong>e, isolé, la traductrice le<br />

rend par un « poftim » qui montre bien qu‘elle l‘a compris ainsi, puisqu‘il<br />

s‘adresse, hors con<strong>text</strong>e, au lecteur. Pour lui dire quoi ? Tudor nous montre qu‘il ne<br />

faut pas essayer de rendre la sémantique de ce mot hors con<strong>text</strong>e, mais qu‘il faut se<br />

demander quelle en est la fonction dans le <strong>text</strong>e, une fonction d‘ordre purement<br />

stylistique, censée rappeler et corroborer le caractère oral de ce <strong>text</strong>e, oralité qui<br />

caractérise l‘ensemble du style de cet ouvrage, la « petite musique » célinienne qui<br />

accompagne tout son œuvre.<br />

Le respect du style métaphorique<br />

Traduire « La terrasse […] c’est pour les œufs à la coque » par « pe<br />

terasă […] e prea cald » [sur la terrasse il fait trop chaud], c‘est trahir l‘auteur, la<br />

démétaphorisation appauvrit le <strong>text</strong>e, qui devient plat, perd de sa vigueur. Pourquoi<br />

ne pas avoir gardé la métaphore en traduisant par « te coci » [tu cuis], ou « e ca în<br />

cuptor » [c‘est comme dans un four], ou, éventuellement « poţi să fierbi un ou » [tu<br />

peux y faire cuire un œuf], ce qui aurait été en accord avec le style de la langue<br />

parlée populaire qui, comme nous le savons, vit de ses métaphores ?<br />

« Viens par ici ! » - « Vino pe aici ! » ou « Hai încoace, Hai încoa’, Hai pe aici ! »?<br />

La traductrice trahit et passe à côté du ton familier de Céline quand elle<br />

traduit le « Viens par ici ! » par un sage « Vino pe aici » au lieu de choisir parmi les<br />

formulations familières et vivantes « Hai încoace, Hai încoa’, Hai pe aici ! »<br />

proposées par Tudor. Argumenter que « Vino pe aici » s‘imposerait comme<br />

traduction puisque c‘est la traduction littérale et donc plus proche de l‘original est<br />

une erreur de réflexion de débutant 7 qui ignore que le paradigme d‘expressions<br />

parmi lesquelles doit choisir le traducteur roumain à cet endroit de la chaîne parlée<br />

est plus riche et varié.<br />

7 Krings (1986) nous en fournit de nombreux exemples.<br />

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