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LA PETITE PEUR<br />

DU XX e SIECLE<br />

Emmanuel Mounier<br />

Folio 38v de l’apocalypse <strong>en</strong> français au XIIIe siècle (BNF 403)<br />

Sautons dix siècles. Nous approchons de l'an 1000. Mille est un chiffre biblique et<br />

apocalyptique familier à des hommes nourris des Écritures. Pourquoi le millième anniversaire<br />

de la naissance du Christ ne marquerait-il pas la fin de son règne invisible?<br />

Justem<strong>en</strong>t, ce Xe siècle s'achève dans les souffrances et les convulsions publiques. Les<br />

temps de calamité offr<strong>en</strong>t un bouillon de culture favorable aux idées calamiteuses. Voici<br />

qu'après les invasions hongroises et normandes, des famines, des épidémies, des guerres<br />

ravag<strong>en</strong>t la population. La mortalité est effroyable. Le pillage et l'agression devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t<br />

la loi commune. N'est-ce pas le temps maudit qui avance ? Quand l'an 1000 est passé,<br />

l'alerte est reportée à l'an 1033, anniversaire de la mort du Christ, et à toute la<br />

période intermédiaire. Des g<strong>en</strong>s parl<strong>en</strong>t de signes extraordinaires dans le ciel et sur<br />

la terre, qui revi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t avec une fré-qu<strong>en</strong>ce inaccoutumée. Des astres inconnus apparaiss<strong>en</strong>t<br />

et disparais-s<strong>en</strong>t, le soleil et la lune devi<strong>en</strong>n<strong>en</strong>t sanglants. Certains<br />

témoign<strong>en</strong>t avoir vu le dragon rouge qui doit apparaître après la rupture du 7e sceau<br />

(mais le dragon rouge a les pieds bleus.) La croix se dessine sur des êtres privilégiés,<br />

dans le ciel, couleur de sang et d'or. Le Saint-Sépulcre est violé à Jérusalem<br />

par les paï<strong>en</strong>s, les églises de la ville r<strong>en</strong>versées, la population massacrée : n'est-ce<br />

pas le signe que la Jérusalem terrestre, rayée du monde des vivants, s'apprête à céder<br />

la place à la Jérusalem céleste ? Telle fut l'actualité haletante des cinquante années<br />

sur lesquelles pivota l'an 1000. Il est aujourd'hui de mode chez tous les histori<strong>en</strong>s,<br />

sauf chez le regretté Marc Bloch, de considérer cette histoire de l'an 1000 comme une<br />

lég<strong>en</strong>de. A u plus, quelques moines se serai<strong>en</strong>t-ils excités solitairem<strong>en</strong>t au fond de leur<br />

couv<strong>en</strong>t sur des calculs mystiques et des racontars dévots. Une réc<strong>en</strong>te thèse de Sorbonne<br />

a fait justice de ce scepticisme. Les Bulles et les correspon-dances pontificales<br />

de l'époque sont semées d'allusions à la fin des temps et d'avertissem<strong>en</strong>ts comminatoires,<br />

qui disparaiss<strong>en</strong>t au cours du XI e siècle. Toute la liturgie née dans ce temps porte les<br />

marques de cette croyance. Les prédicateurs la transportai<strong>en</strong>t de paroisse <strong>en</strong> paroisse.<br />

Elle fut si massive, si impérieuse que p<strong>en</strong>dant tout le siècle <strong>en</strong>-core Marc Bloch relève<br />

des « ondes de crainte » courant incessamm<strong>en</strong>t à travers la chréti<strong>en</strong>té.<br />

Telles fur<strong>en</strong>t les deux premières - comm<strong>en</strong>t dire : Grandes Peurs ? Précisém<strong>en</strong>t, le mot<br />

serait au plus mal choisi. Il n'y eut <strong>en</strong> l'an 1000 ni terreur ni affolem<strong>en</strong>t. Vous vous<br />

rappelez sans doute une réc<strong>en</strong>te pa-nique que connut la France après l'A mérique. Un<br />

speaker avait trop bi<strong>en</strong> donné l'illusion de la catastrophe finale. Comble de l'absurdité,<br />

des g<strong>en</strong>s se tuèr<strong>en</strong>t pour ne pas mourir. Ce réflexe apparemm<strong>en</strong>t sans esprit avoue<br />

que nous vivons beaucoup plus d'av<strong>en</strong>ir que de prés<strong>en</strong>t. Un homme brutalem<strong>en</strong>t privé<br />

d'av<strong>en</strong>ir est un homme déjà privé de la vie même. Or. les chréti<strong>en</strong>s de l'an 50 ou de l'an<br />

1000 étai<strong>en</strong>t ri<strong>en</strong> moins que prives d'av<strong>en</strong>ir par l'év<strong>en</strong>tuelle fin des temps.<br />

Le mot d'apocalypse est v<strong>en</strong>u à être synonyme, dans la s<strong>en</strong>sibilité contemporaine, de<br />

catastrophe et d'épouvante. C'est <strong>en</strong> fausser gravem<strong>en</strong>t la note. Je ne dis pas que les<br />

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