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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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la partie soit interrogée <strong>sur</strong> faits et artic<strong>le</strong>s. — Et pourquoi, lui répondit Boi<strong>le</strong>au, la chose<br />

n’est-el<strong>le</strong> pas déjà faite ? Si tout n’est pas prêt, il ne faut donc pas me faire plaider. » Le<br />

procureur fit un éclat de rire, et dit à ses con<strong>fr</strong>ères : « Voilà un <strong>jeu</strong>ne avocat qui ira loin ; il a<br />

de grandes dispositions. » Il n’eut pas l’ambition d’al<strong>le</strong>r plus loin : il quitta <strong>le</strong> Palais, et alla<br />

en Sorbonne ; mais il la quitta bientôt par <strong>le</strong> même dégoût. Il crut, comme dit M. de Boze<br />

dans son éloge historique, y trouver encore la chicane sous un autre habit. Prenant <strong>le</strong> parti<br />

de dormir chez un greffier la grasse matinée, il se livra tout entier à son génie, qui<br />

l’emportait vers la poésie ; et lorsqu’on lui représenta que s’il s’attachait à la satire, il se<br />

ferait des ennemis qui auraient toujours <strong>le</strong>s yeux <strong>sur</strong> lui, et ne chercheraient qu’à <strong>le</strong> décrier :<br />

« Eh bien ! répondit-il, je serai honnête homme, et je ne <strong>le</strong>s craindrai point. »<br />

On l’exhortait à ne point attaquer Chapelain, parce que, lui disait-on, il est protégé<br />

par M. de Montausier, et reçoit quelquefois la visite de M. Colbert. « Et quand <strong>le</strong> Pape,<br />

répondit-il, lui rendrait visite, ses vers en seraient-ils meil<strong>le</strong>urs ? »<br />

Il prit d’abord Juvénal pour son modè<strong>le</strong>, persuadé que notre langue était plus propre<br />

à imiter la force de ce sty<strong>le</strong> que l’élégante simplicité du sty<strong>le</strong> d’Horace. Il changea bientôt de<br />

sentiment. Sa première satire fut cel<strong>le</strong>-ci : Damon, ce grand auteur, etc. Il la fit tout entière<br />

dans, <strong>le</strong> goût de Juvénal : et pour en imiter <strong>le</strong> ton de déclamation, il la finissait par la<br />

description des embarras de Paris. Il s’aperçut que la pièce était trop longue, et devenait<br />

languissante : il en retrancha cette description, dont il fit une satire à part. Son second<br />

ouvrage fut la satire qui est aujourd’hui la septième dans <strong>le</strong> recueil de ses oeuvres : Muse,<br />

changeons de sty<strong>le</strong>, etc. Après cel<strong>le</strong>-ci, il en adressa une à Molière, et fit son Discours au<br />

Roi. Ensuite il entreprit la satire du Festin et cel<strong>le</strong> <strong>sur</strong> la Nob<strong>le</strong>sse, travaillant à toutes <strong>le</strong>s<br />

deux en même temps, et imitant Juvénal dans l’une et Horace dans l’autre. Ses ennemis<br />

débitèrent que, dans la satire <strong>sur</strong> la Nob<strong>le</strong>sse, il avait eu dessein de rail<strong>le</strong>r M. de Dangeau. Il<br />

n’en eut jamais la pensée. Il l’adressait d’abord à M. de La Rochefoucauld ; mais trouvant<br />

que ce nom, qui devait revenir plusieurs fois, n’avait pas de grâce en vers, il prit <strong>le</strong> parti<br />

d’adresser l’ouvrage à M. de Dangeau, <strong>le</strong> seul homme de la cour, avec M. de La<br />

Rochefoucauld, qu’il connût alors.<br />

La satire du Festin 9 eut pour fondement un repas qu’on lui donna à Château-Thierry,<br />

où il était allé se promener avec La Fontaine, qui ne fut pas du repas, pendant <strong>le</strong>quel <strong>le</strong><br />

lieutenant général de la vil<strong>le</strong> lâcha ces phrases : « Pour moi, j’aime <strong>le</strong> beau <strong>fr</strong>ançais... Le<br />

Corneil<strong>le</strong> est quelquefois joli. » Ces deux phrases donnèrent au poète, mécontent peut-être<br />

de la chère, l’idée de la description d’un repas éga<strong>le</strong>ment ennuyeux par l’ordonnance et par<br />

la conversation des convives. Il composa ensuite la satire à M. Le Vayer, et cel<strong>le</strong> qu’il<br />

adresse à son esprit. Cel<strong>le</strong>-ci fut très mal reçue, lorsqu’il en fit <strong>le</strong>s premières <strong>le</strong>ctures. Il la<br />

lut chez M. de Brancas, en présence de Mme Scarron, depuis Mme de Maintenon, et de Mme<br />

de La Sablière. La pièce fut si peu goûtée, qu’il n’eut pas <strong>le</strong> courage d’en finir la <strong>le</strong>cture. Pour<br />

se conso<strong>le</strong>r de cette disgrâce, il fit la satire <strong>sur</strong> l’Homme, qui eut autant de succès que<br />

l’autre en avait eu peu.<br />

Comme il ne voulait pas faire imprimer ses satires, tout <strong>le</strong> monde <strong>le</strong> recherchait pour<br />

<strong>le</strong>s lui entendre réciter. Un autre ta<strong>le</strong>nt que celui de faire des vers <strong>le</strong> faisait encore<br />

rechercher : il savait contrefaire ceux qu’il voyait, jusqu’à rendre parfaitement <strong>le</strong>ur<br />

démarche, <strong>le</strong>urs gestes, et <strong>le</strong>ur ton de voix. Il m’a raconté qu’ayant entrepris de contrefaire<br />

un homme qui venait d’exécuter une danse trop diffici<strong>le</strong>, il exécuta avec la même justesse la<br />

même danse, quoiqu’il n’eût jamais appris à danser. Il amusa un jour <strong>le</strong> Roi, en<br />

contrefaisant devant lui tous <strong>le</strong>s comédiens. Le Roi voulut qu’il contrefît aussi Molière, qui<br />

était présent, et demanda ensuite à Molière s’il s’était reconnu. « Nous ne pouvons, répondit<br />

Molière, juger de notre ressemblance ; mais la mienne est parfaite, s’il m’a aussi bien imité<br />

qu’il a imité <strong>le</strong>s autres. » Quoique ce ta<strong>le</strong>nt qui <strong>le</strong> faisait rechercher dans <strong>le</strong>s parties de<br />

plaisir lui procurât des connaissances agréab<strong>le</strong>s pour un <strong>jeu</strong>ne homme, il m’a avoué qu’enfin<br />

il en eut honte, et qu’ayant fait réf<strong>le</strong>xion que c’était faire un personnage de baladin, il y<br />

renonça, et n’alla plus aux repas où on l’invitait, que pour réciter ses ouvrages, qui <strong>le</strong><br />

rendirent bientôt très fameux.<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 10

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