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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

Oui, mon fils, il était né tendre, et vous l’entendrez assez dire ; mais il fut tendre<br />

pour Dieu lorsqu’il revint à lui ; et du jour qu’il revint à ceux qui dans son enfance lui avaient<br />

appris à <strong>le</strong> connaître, il <strong>le</strong> fut pour eux sans réserve ; il <strong>le</strong> fut pour ce Roi dont il avait tant de<br />

plaisir à écrire l’histoire ; il <strong>le</strong> fut toute sa vie pour ses amis ; il <strong>le</strong> fut, depuis son mariage et<br />

jusqu’à la fin de ses jours, pour sa femme, et pour tous ses enfants sans prédi<strong>le</strong>ction ; il<br />

l’était pour moi-même, qui ne faisais pour ainsi dire que de naître quand il mourut, et à qui<br />

ma mémoire ne peut rappe<strong>le</strong>r que ses caresses.<br />

Attachez-vous donc uniquement à ses dernières <strong>le</strong>ttres, et aux endroits de la seconde<br />

partie de ces <strong>Mémoires</strong> où il par<strong>le</strong> à un fils qu’il voulait éloigner de la passion des vers, que<br />

je n’ai que trop écoutée, parce que je n’ai pas eu <strong>le</strong>s mêmes <strong>le</strong>çons. Il lui faisait bien<br />

connaître que <strong>le</strong>s succès <strong>le</strong>s plus heureux ne rendent pas <strong>le</strong> poète heureux, lorsqu’il lui<br />

avouait que la plus mauvaise critique lui avait toujours causé plus de chagrin que <strong>le</strong>s plus<br />

grands applaudissements ne lui avaient fait de plaisir. Retenez <strong>sur</strong>tout ces paro<strong>le</strong>s<br />

remarquab<strong>le</strong>s qu’il lui disait dans l’épanchement d’un coeur paternel : « Ne croyez pas que<br />

ce soient mes pièces qui m’attirent <strong>le</strong>s caresses des grands. Corneil<strong>le</strong> fait des vers cent fois<br />

plus beaux que <strong>le</strong>s miens, et cependant personne ne <strong>le</strong> regarde ; on ne l’aime que dans la<br />

bouche de ses acteurs : au lieu que, sans fatiguer <strong>le</strong>s gens du monde du récit de mes<br />

ouvrages, dont je ne <strong>le</strong>ur par<strong>le</strong> jamais, je <strong>le</strong>s entretiens de choses qui <strong>le</strong>ur plaisent. Mon<br />

ta<strong>le</strong>nt avec eux n’est pas de <strong>le</strong>ur faire sentir que j’ai de l’esprit, mais de <strong>le</strong>ur apprendre qu’ils<br />

en ont. »<br />

Vous ne connaissez pas encore <strong>le</strong> monde, vous ne pouvez qu’y paraître quelquefois,<br />

et vous n’y avez jamais paru sans vous entendre répéter que vous portiez <strong>le</strong> nom d’un poète<br />

fameux, qui avait été fort aimé à la cour. Qui peut mieux que ce même homme vous<br />

instruire des dangers de la poésie et de la cour ? La fortune qu’il y a faite vous sera connue,<br />

et vous verrez dans ces <strong>Mémoires</strong> ses jours abrégés par un chagrin, pris à la vérité trop<br />

vivement, mais <strong>sur</strong> des raisons capab<strong>le</strong>s d’en donner. Vous verrez aussi que la passion des<br />

vers égara sa <strong>jeu</strong>nesse, quoique nourrie de tant de principes de religion, et que la même<br />

passion éteignit pour un temps, dans ce coeur si éloigné de l’ingratitude, <strong>le</strong>s sentiments de<br />

reconnaissance pour ses premiers maîtres.<br />

Il revint à lui-même ; et sentant alors combien ce qu’il avait regardé comme bonheur<br />

était <strong>fr</strong>ivo<strong>le</strong>, il n’en chercha plus d’autre que dans <strong>le</strong>s douceurs de l’amitié, et dans la<br />

satisfaction à remplir tous <strong>le</strong>s devoirs de chrétien et de père de famil<strong>le</strong>. Enfin ce poète, qu’on<br />

vous a dépeint comme environné des applaudissements du monde, et accablé des caresses<br />

des grands, n’a trouvé de consolation que dans <strong>le</strong>s sentiments de religion dont il était<br />

pénétré. C’est en cela, mon fils, qu’il doit être votre modè<strong>le</strong> ; et c’est en l’imitant dans sa<br />

piété et dans <strong>le</strong>s aimab<strong>le</strong>s qualités de son coeur, que vous serez l’héritier de sa véritab<strong>le</strong><br />

gloire, et que son nom, que je vous ai transmis, vous appartiendra.<br />

Le désir que j’en ai m’a empêché de vous témoigner <strong>le</strong> désir que j’aurais encore de<br />

vous voir embrasser l’étude avec la même ardeur. Je vous ai montré des livres tout grecs,<br />

dont <strong>le</strong>s marges sont couvertes de ses apostil<strong>le</strong>s, lorsqu’il n’avait que quinze ans. Cette vue,<br />

qui vous aura peut-être ef<strong>fr</strong>ayé, doit vous faire sentir combien il est uti<strong>le</strong> de se nourrir de<br />

bonne heure d’excel<strong>le</strong>ntes choses. Platon, Plutarque, et <strong>le</strong>s <strong>le</strong>ttres de Cicéron n’apprennent<br />

point à faire des tragédies, mais un esprit formé par de pareil<strong>le</strong>s <strong>le</strong>ctures devient capab<strong>le</strong> de<br />

tout.<br />

Je m’aperçois qu’à la tête d’un Mémoire historique, je vous par<strong>le</strong> trop longtemps : <strong>le</strong><br />

coeur m’a emporté ; et, pour vous en expliquer <strong>le</strong>s sentiments, j’ai profité de la plus<br />

favorab<strong>le</strong> occasion que jamais père ait trouvée.<br />

La Vie de mon père qui se trouve à la tête de la dernière édition de ses Œuvres, faite<br />

à Paris en 1736, ne mérite aucune attention, parce que celui qui s’est donné la peine de la<br />

faire, ne s’est pas donné cel<strong>le</strong> de consulter la famil<strong>le</strong> 1 . Au lieu d’une Vie ou d’un Éloge<br />

historique, on ne trouve dans l’Histoire de l’Académie <strong>fr</strong>ançaise qu’une <strong>le</strong>ttre de M. de<br />

Valincour, qu’il appel<strong>le</strong> lui-même un amas informe d’anecdotes cousues bout à bout et sans<br />

ordre. El<strong>le</strong> est fort peu exacte, parce qu’il l’écrivait à la hâte, en faisant valoir à M. l’abbé<br />

d’Olivet, qui la lui demandait, la complaisance qu’il avait d’interrompre ses occupations pour<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 2

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