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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

Mon père, moins piqué de ces deux réponses que du soin que Messieurs de Port-<br />

Royal prenaient de <strong>le</strong>s faire imprimer dans <strong>le</strong>urs ouvrages avec un pareil avertissement, fit<br />

contre eux la seconde <strong>le</strong>ttre, et mit à la tête une préface qui n’a jamais été imprimée, et<br />

qu’il assaisonna des mêmes rail<strong>le</strong>ries qui règnent dans <strong>le</strong>s deux <strong>le</strong>ttres. Après avoir dit qu’il<br />

n’y a point de plaisir à rire avec des gens délicats qui se plaignent qu’on <strong>le</strong>s déchire dès<br />

qu’on <strong>le</strong>s nomme, et qui, aussi sensib<strong>le</strong>s que <strong>le</strong>s gens du monde, ne souf<strong>fr</strong>ent volontiers que<br />

<strong>le</strong>s mortifications qu’ils s’imposent à eux-mêmes, il s’adressait ainsi à M. Nico<strong>le</strong> directement<br />

: « Je demande à ce vénérab<strong>le</strong> théologien en quoi j’ai erré, si c’est dans <strong>le</strong> droit ou dans <strong>le</strong><br />

fait. J’ai avancé que la comédie était innocente : <strong>le</strong> Port-Royal dit qu’el<strong>le</strong> est criminel<strong>le</strong> ;<br />

mais je ne crois pas qu’on puisse taxer ma proposition d’hérésie ; c’est bien assez de la<br />

taxer de témérité. Pour <strong>le</strong> fait, ils n’ont nié que celui des capucins ; encore ne l’ont-ils pas<br />

nié tout entier. Toute la grâce que je lui demande est qu’il ne m’oblige pas non plus à croire<br />

un fait qu’il avance, lorsqu’il dit que <strong>le</strong> monde fut partagé entre <strong>le</strong>s deux réponses qu’on fit à<br />

ma <strong>le</strong>ttre, et qu’on disputa longtemps laquel<strong>le</strong> des deux était la plus bel<strong>le</strong> : il n’y eut pas la<br />

moindre dispute là-dessus, et d’une commune voix el<strong>le</strong>s furent jugées aussi <strong>fr</strong>oides l’une<br />

que l’autre. Mais tout ce qu’on fait pour ces Messieurs a un caractère de bonté que tout <strong>le</strong><br />

monde ne connaît pas. »<br />

« Il est aisé de connaître, ajoutait-il, par <strong>le</strong> soin qu’ils ont pris d’immortaliser ces<br />

réponses, qu’ils y avaient plus de part qu’ils ne disaient. À la vérité, ce n’est pas <strong>le</strong>ur<br />

coutume de laisser rien imprimer pour eux qu’ils n’y mettent quelque chose du <strong>le</strong>ur. Ils<br />

portent aux docteurs <strong>le</strong>s approbations toutes dressées. Les avis de l’imprimeur sont<br />

ordinairement des éloges qu’ils se donnent à eux-mêmes ; et l’on scel<strong>le</strong>rait à la chancel<strong>le</strong>rie<br />

des privilèges fort éloquents, si <strong>le</strong>urs livres s’imprimaient avec privilège. »<br />

Content de cette préface dont je n’ai rapporté qu’une partie, et de sa seconde <strong>le</strong>ttre,<br />

il alla montrer ces nouvel<strong>le</strong>s productions à Boi<strong>le</strong>au, qui, toujours amateur de la vérité,<br />

quoiqu’il n’eût encore aucune liaison avec Port-Royal, lui représenta que cet ouvrage ferait<br />

honneur à son esprit, mais n’en ferait pas à son coeur, parce qu’il attaquait des hommes fort<br />

estimés, et <strong>le</strong> plus doux de tous 11 auquel il avait lui-même, comme aux autres, de grandes<br />

obligations. « Eh bien ! répondit mon père, pénétré de ce reproche, <strong>le</strong> public ne verra jamais<br />

cette seconde <strong>le</strong>ttre. » Il retira tous <strong>le</strong>s exemplaires qu’il put trouver de la première, et el<strong>le</strong><br />

était devenue fort rare, lorsqu’el<strong>le</strong> parut dans des journaux. Brossette, qui la fit imprimer<br />

dans son édition de Boi<strong>le</strong>au, quoiqu’el<strong>le</strong> n’eût aucun rapport aux ouvrages de cet auteur,<br />

joignit en note que <strong>le</strong> Port-Royal, « alarmé d’une <strong>le</strong>ttre qui <strong>le</strong> menaçait d’un écrivain aussi<br />

redoutab<strong>le</strong> que Pascal, trouva <strong>le</strong> moyen d’apaiser et de regagner <strong>le</strong> <strong>jeu</strong>ne <strong>Racine</strong> ».<br />

Brossette était fort mal instruit. Le Port-Royal garda toujours <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce, et ne fit aucune<br />

démarche pour la réconciliation. Mon père fit lui seul, dans la suite, toutes <strong>le</strong>s démarches<br />

que je dirai. On n’ignore pas <strong>le</strong> repentir qu’il a témoigné ; et un jour il fit une réponse si<br />

humb<strong>le</strong> à un de ses con<strong>fr</strong>ères, qui l’attaqua dans l’Académie par une plaisanterie au sujet de<br />

ce démêlé, que personne dans la suite n’osa <strong>le</strong> rail<strong>le</strong>r <strong>sur</strong> <strong>le</strong> même sujet. Lorsque Brossette<br />

fit imprimer la première <strong>le</strong>ttre, il ne connaissait pas la seconde, qui n’était connue de<br />

personne, ni de nous-mêmes. El<strong>le</strong> fut trouvée, je ne sais par quel hasard, dans <strong>le</strong>s papiers<br />

de M. l’abbé Dupin ; et ceux qui en furent <strong>le</strong>s maîtres après sa mort la firent imprimer.<br />

Je reprends l’histoire des pièces de théâtre, et je viens à Andromaque. El<strong>le</strong> fut<br />

représentée en 1667, et fit, au rapport de M. Perrault, à peu près <strong>le</strong> même bruit que <strong>le</strong> Cid<br />

avait fait dans <strong>le</strong>s premières représentations. On voit, par l’épître dédicatoire, que l’auteur<br />

avait eu auparavant l’honneur de la lire à Madame : il remercie Son Altesse Roya<strong>le</strong> des<br />

conseils qu’el<strong>le</strong> a bien voulu lui donner. Cette pièce coûta la vie à Montf<strong>le</strong>uri, célèbre acteur ;<br />

il y représenta <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> d’Oreste avec tant de force, qu’il s’épuisa entièrement : ce qui fit dire<br />

à l’auteur du Parnasse réformé, que tout poète désormais voudra avoir l’honneur de faire<br />

crever un comédien.<br />

La tragédie d’Andromaque eut trop d’admirateurs pour n’avoir pas d’ennemis. Saint-<br />

Évremond ne fut ni du nombre des ennemis, ni du nombre des admirateurs, puisqu’il n’en fit<br />

que cet éloge : « El<strong>le</strong> a bien l’air des bel<strong>le</strong>s choses ; il ne s’en faut presque rien qu’il n’y ait<br />

du grand. »<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 14

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