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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

longue, Boi<strong>le</strong>au très fatigué se jeta <strong>sur</strong> un lit en arrivant, sans vouloir souper. M. de Cavoye,<br />

qui <strong>le</strong> sut, alla <strong>le</strong> voir après <strong>le</strong> souper du Roi, et lui dit avec un air consterné, qu’il avait à lui<br />

apprendre une fâcheuse nouvel<strong>le</strong> : « Le Roi, ajouta-t-il, n’est point content de vous ; il a<br />

remarqué aujourd’hui une chose qui vous fait un grand tort. — Eh quoi donc ? s’écria Boi<strong>le</strong>au<br />

tout alarmé. — Je ne puis, continua M. de Cavoye, me résoudre à vous la dire ; je ne saurais<br />

affliger mes amis. » Enfin, après l’avoir laissé quelque temps dans l’agitation, il lui dit : «<br />

Puisqu’il faut vous l’avouer, <strong>le</strong> Roi a remarqué que vous étiez tout de travers à cheval. — Si<br />

ce n’est que cela, répondit Boi<strong>le</strong>au, laissez-moi dormir. » *<br />

Quoique mon père fût son con<strong>fr</strong>ère dans l’honorab<strong>le</strong> emploi d’écrire l’histoire du Roi,<br />

et dans la petite Académie, il ne l’avait point encore pour con<strong>fr</strong>ère dans l’Académie <strong>fr</strong>ançaise<br />

; et comme il souhaitait de <strong>le</strong> voir dans cette compagnie, il l’avait sans doute en vue,<br />

lorsqu’il fit valoir l’empressement de l’Académie à chercher des sujets, dans <strong>le</strong>s discours qu’il<br />

prononça <strong>le</strong> 30 octobre de cette même année 1678 à la réception de M. l’abbé Colbert,<br />

depuis archevêque de Rouen. « Oui, Monsieur, lui disait-il, l’Académie vous a choisi ; car<br />

nous voulons bien qu’on <strong>le</strong> sache, ce n’est point la brigue, ce ne sont point <strong>le</strong>s sollicitations<br />

qui ouvrent <strong>le</strong>s portes de l’Académie : el<strong>le</strong> va el<strong>le</strong>-même au-devant du mérite, el<strong>le</strong> lui<br />

épargne l’embarras de se venir of<strong>fr</strong>ir, el<strong>le</strong> cherche <strong>le</strong>s sujets qui lui sont propres, etc. »<br />

J’ignore si l’Académie était alors dans l’usage, comme <strong>le</strong> disait son directeur, de<br />

choisir et de chercher el<strong>le</strong>-même ses sujets. Je sais seu<strong>le</strong>ment que tous <strong>le</strong>s académiciens ne<br />

songeaient pas à chercher Boi<strong>le</strong>au ; et il y en avait plusieurs qu’il ne songeait pas non plus à<br />

solliciter. Le Roi lui demanda un jour, pendant son souper, s’il était de l’Académie ; Boi<strong>le</strong>au<br />

répondit avec un air fort modeste qu’il n’était pas digne d’en être. « Je veux que vous en<br />

soyez », répondit <strong>le</strong> Roi. Quelque temps après une place vaqua, et La Fontaine, qui la voulait<br />

solliciter, alla lui demander s’il serait son concurrent. Boi<strong>le</strong>au l’as<strong>sur</strong>a que non, et ne fit<br />

aucune démarche. Il eut cependant quelques voix ; mais la pluralité fut pour La Fontaine ;<br />

et lorsque, suivant l’usage, on alla demander au Roi son agrément pour cette nomination, <strong>le</strong><br />

Roi répondit seu<strong>le</strong>ment : « Je verrai », de manière que La Fontaine, quoique nommé, ne fut<br />

point reçu, et resta très longtemps, ainsi que l’Académie, dans l’incertitude. Enfin, une<br />

nouvel<strong>le</strong> place vaqua, et l’Académie aussitôt nomma Boi<strong>le</strong>au. Le Roi, lorsqu’on lui demanda<br />

son agrément, l’accorda en ajoutant : « Maintenant vous pouvez recevoir La Fontaine. »<br />

Boi<strong>le</strong>au fut reçu <strong>le</strong> 3 juil<strong>le</strong>t 1684. L’assemblée fut nombreuse <strong>le</strong> jour de sa réception. On<br />

était curieux d’entendre son discours. Il était obligé de louer et de s’humilier. Il recevait une<br />

grâce inespérée, et il n’était pas homme à faire un remerciement à genoux. Il se tira<br />

habi<strong>le</strong>ment de ce pas diffici<strong>le</strong>. Il loua sans flatterie, il s’humilia nob<strong>le</strong>ment ; et en disant que<br />

l’entrée de l’Académie lui devait être fermée par tant de raisons, il fit songer à tant<br />

d’académiciens dont <strong>le</strong>s noms étaient dans ses satires.<br />

À la fin de cette même année, Corneil<strong>le</strong> mourut, et mon père, qui <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain de<br />

cette mort entrait dans <strong>le</strong>s fonctions de directeur, prétendait que c’était à lui à faire faire<br />

pour l’académicien qui venait de mourir un service suivant la coutume. Mais Corneil<strong>le</strong> était<br />

mort pendant la nuit ; et l’académicien qui était encore directeur la veil<strong>le</strong> prétendit que<br />

comme il n’était sorti de place que <strong>le</strong> <strong>le</strong>ndemain matin, il était encore dans ses fonctions au<br />

moment de la mort de Corneil<strong>le</strong>, et que par conséquent c’était à lui à faire faire <strong>le</strong> service.<br />

Cette dispute n’avait pour motif qu’une généreuse émulation : tous deux voulaient avoir<br />

l’honneur de rendre <strong>le</strong>s devoirs funèbres à un mort si illustre. Cette contestation glorieuse<br />

pour <strong>le</strong>s deux parties fut décidée par l’Académie en faveur de l’ancien directeur : ce qui<br />

donna lieu à ce mot fameux que Benserade dit à mon père : « Nul autre que vous ne<br />

pouvait prétendre à enterrer Corneil<strong>le</strong> ; cependant vous n’avez pu y parvenir. »<br />

La place de Corneil<strong>le</strong> à l’Académie fut remplie par Thomas Corneil<strong>le</strong> son <strong>fr</strong>ère, qui fut<br />

reçu avec M. Bergeret. Mon père, qui présidait à cette réception en qualité de directeur,<br />

répondit à <strong>le</strong>urs remerciements par un discours qui fut très applaudi, et il <strong>le</strong> prononça avec<br />

tant de grâce, qu’il répara entièrement <strong>le</strong> discours de sa réception. La matière de celui-ci<br />

avait plu davantage. L’admiration sincère qu’il avait pour Corneil<strong>le</strong> <strong>le</strong> lui avait inspiré. Bay<strong>le</strong>,<br />

en rapportant que Sophoc<strong>le</strong>, lorsqu’il apprit la mort d’Euripide, parut <strong>sur</strong> <strong>le</strong> théâtre en habit<br />

de deuil, et ordonna à ses acteurs d’ôter <strong>le</strong>urs couronnes, ajoute : « Ce que fit alors<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 32

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