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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

qu’en vers. Sans être ce qu’on appel<strong>le</strong> dévot, il fut exact, dans tous <strong>le</strong>s temps de sa vie, à<br />

remplir <strong>le</strong>s principaux devoirs de la religion. Se trouvant, à Pâques, dans la terre d’un ami, il<br />

alla à confesse au curé, qui ne <strong>le</strong> connaissait pas, et qui était un homme fort simp<strong>le</strong>. Avant<br />

que d’entendre sa confession, il lui demanda quel<strong>le</strong>s étaient ses occupations ordinaires : «<br />

De faire des vers, répondit Boi<strong>le</strong>au. — Tant pis, dit <strong>le</strong> curé. Et quels vers ? — Des satires,<br />

ajouta <strong>le</strong> pénitent. — Encore pis, répondit <strong>le</strong> confesseur. Et contre qui ? — Contre ceux, dit<br />

Boi<strong>le</strong>au, qui font mal des vers ; contre <strong>le</strong>s vices du temps , contre <strong>le</strong>s ouvrages pernicieux,<br />

contre <strong>le</strong>s romans, contre <strong>le</strong>s opéras... — Ah ! dit <strong>le</strong> curé, il n’y a donc pas de mal, et je n’ai<br />

plus rien à vous dire. »<br />

On peut bien as<strong>sur</strong>er que ces deux poètes n’ont jamais rougi de l’Évangi<strong>le</strong>. Mon père,<br />

comme chef de famil<strong>le</strong>, se croyait obligé à une plus grande régularité. Il n’allait jamais aux<br />

spectac<strong>le</strong>s, et ne parlait devant ses enfants ni de comédie, ni de tragédie profane. À la prière<br />

qu’il faisait tous <strong>le</strong>s soirs au milieu d’eux et de ses domestiques, quand il était à Paris, il<br />

ajoutait la <strong>le</strong>cture de l’Évangi<strong>le</strong> du jour, que souvent il expliquait lui-même par une courte<br />

exhortation proportionnée à la portée de ses auditeurs, et prononcée avec cette âme qu’il<br />

donnait à tout ce qu’il disait.<br />

Pour occuper de <strong>le</strong>ctures pieuses M. de Seignelay, malade, il allait lui lire <strong>le</strong>s<br />

Psaumes. Cette <strong>le</strong>cture <strong>le</strong> mettait dans une espèce d’enthousiasme, dans <strong>le</strong>quel il faisait <strong>sur</strong><strong>le</strong>-champ<br />

une paraphrase du psaume. J’ai entendu dire à M. l’abbé Renaudot, qui était un<br />

des auditeurs, que cette paraphrase <strong>le</strong>ur faisait sentir toute la beauté du psaume, et <strong>le</strong>s<br />

en<strong>le</strong>vait.<br />

Un autre exemp<strong>le</strong> de cet enthousiasme qui <strong>le</strong> saisissait dans la <strong>le</strong>cture des choses<br />

qu’il admirait, est rapporté par M. de Valincour. Il était avec lui à Auteuil, chez Boi<strong>le</strong>au, avec<br />

M. Nico<strong>le</strong> et quelques autres amis distingués. On vint à par<strong>le</strong>r de Sophoc<strong>le</strong>, dont il était si<br />

grand admirateur qu’il n’avait jamais osé prendre un de ses sujets de tragédie. P<strong>le</strong>in de<br />

cette pensée, il prend un Sophoc<strong>le</strong> grec, et lit la tragédie d’OEdipe, en la traduisant <strong>sur</strong>-<strong>le</strong>champ.<br />

Il s’émut à tel point, dit M. de Valincour, que tous <strong>le</strong>s auditeurs éprouvèrent <strong>le</strong>s<br />

sentiments de terreur et de pitié dont cette pièce est p<strong>le</strong>ine. « J’ai vu, ajoute-t-il, nos<br />

meil<strong>le</strong>ures pièces représentées par nos meil<strong>le</strong>urs acteurs rien n’a jamais approché du troub<strong>le</strong><br />

où me jeta ce récit ; et au moment que j’écris, je m’imagine voir encore <strong>Racine</strong> <strong>le</strong> livre à la<br />

main, et nous tous consternés autour de lui 35 . » Voilà sans doute ce qui a fait croire qu’il<br />

avait <strong>le</strong> dessein de composer un OEdipe.<br />

Un morceau d’éloquence qui <strong>le</strong> mettait dans l’enthousiasme était la prière à Dieu qui<br />

termine <strong>le</strong> livre contre M. Mal<strong>le</strong>t 36 . Il aimait à la lire ; et lorsqu’il se trouvait avec des<br />

personnes disposées à l’entendre, il <strong>le</strong>s attendrissait, suivant ce que m’a raconté M. Rollin,<br />

qui avait été présent à une de ces <strong>le</strong>ctures.<br />

Dans l’écrit intitulé <strong>le</strong> Nouvel Absalon, etc., qui fut imprimé par ordre de Louis XIV, il<br />

reconnaissait l’éloquence de Démosthène contre Philippe ; et l’on sait quel<strong>le</strong> admiration il<br />

avait pour Démosthène : « Ce bourreau fera tant qu’il lui donnera de l’esprit », dit-il un jour,<br />

en entendant M. de Tourreil qui proposait différentes manières d’en traduire une phrase.<br />

Boi<strong>le</strong>au avait la même admiration pour Démosthène : « Toutes <strong>le</strong>s fois, disait-il, que je relis<br />

l’Oraison pour la couronne, je me repens d’avoir écrit. »<br />

M. de Valincour rapporte encore que quand mon père avait un ouvrage à composer, il<br />

allait se promener ; qu’alors, se livrant à son enthousiasme, il récitait ses vers à haute voix;<br />

et que travaillant ainsi à la tragédie de Mithridate dans <strong>le</strong>s Tui<strong>le</strong>ries, où il se croyait seul, il<br />

fut <strong>sur</strong>pris de se voir entouré d’un grand nombre d’ouvriers, qui, occupés au jardin, avaient<br />

quitté <strong>le</strong>ur ouvrage pour venir à lui. Il ne se crut pas un Orphée, dont <strong>le</strong>s chants attiraient<br />

ces ouvriers pour <strong>le</strong>s entendre, puisqu’au contraire, au rapport de M. de Valincour, ils<br />

l’entouraient, craignant que ce ne fût un homme au désespoir prêt à se jeter dans <strong>le</strong> bassin.<br />

M. de Valincour eût pu ajouter qu’au milieu même de cet enthousiasme, sitôt qu’il était<br />

abordé par quelqu’un, il revenait à lui, n’avait plus rien de poète, et était tout entier à ce<br />

qu’on lui disait.<br />

Segrais, qui admirait avec raison Corneil<strong>le</strong>, mais qui n’avait pas raison de <strong>le</strong> louer aux<br />

dépens de Boi<strong>le</strong>au et de mon père, avance, dans ses <strong>Mémoires</strong>, que cette maxime de La<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 40

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