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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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Roi, obligé de garder <strong>le</strong> lit, <strong>le</strong>s fit appe<strong>le</strong>r, avec ordre d’apporter ce qu’ils avaient écrit de<br />

nouveau <strong>sur</strong> son histoire, et qu’ils virent, en entrant, Mme de Maintenon assise dans un<br />

fauteuil près du chevet du Roi, s’entretenant familièrement avec Sa Majesté. Ils allaient<br />

commencer <strong>le</strong>ur <strong>le</strong>cture, lorsque Mme de Montespan, qui n’était point attendue, entra, et<br />

après quelques compliments au Roi, en fit de si longs à Mme de Maintenon, que pour <strong>le</strong>s<br />

interrompre, <strong>le</strong> Roi lui dit de s’asseoir, « n’étant pas juste, ajouta-t-il, qu’on lise sans vous<br />

un ouvrage que vous avez vous-même commandé ». Son premier mouvement fut de<br />

prendre une bougie pour éclairer <strong>le</strong> <strong>le</strong>cteur : el<strong>le</strong> fit ensuite réf<strong>le</strong>xion qu’il était plus<br />

convenab<strong>le</strong> de s’asseoir, et de faire tous ses efforts pour paraître attentive à la <strong>le</strong>cture.<br />

Depuis ce jour <strong>le</strong> crédit de Mme de Maintenon alla en augmentant d’une manière si visib<strong>le</strong>,<br />

que <strong>le</strong>s deux historiens lui firent <strong>le</strong>ur cour autant qu’ils la savaient faire.<br />

Mon père, dont el<strong>le</strong> goûtait la conversation, était beaucoup mieux reçu que son ami,<br />

qu’il menait toujours avec lui. Ils s’entretenaient un jour avec el<strong>le</strong> de la poésie ; et Boi<strong>le</strong>au,<br />

déclamant contre <strong>le</strong> goût de la poésie bur<strong>le</strong>sque, qui avait régné autrefois, dit dans sa colère<br />

: « Heureusement ce misérab<strong>le</strong> goût est passé, et on ne lit plus Scarron, même dans <strong>le</strong>s<br />

provinces. » Son ami chercha promptement un autre sujet de conversation, et lui dit, quand<br />

il fut seul avec lui : « Pourquoi par<strong>le</strong>z-vous devant el<strong>le</strong> de Scarron ? Ignorez-vous l’intérêt<br />

qu’el<strong>le</strong> y prend ? — Hélas ! non, reprit-il ; mais c’est toujours la première chose que j’oublie<br />

quand je la vois. » Malgré la remontrance de son ami, il eut encore la même distraction au<br />

<strong>le</strong>ver du Roi. On y parlait de la mort du comédien Poisson : « C’est une perte, dit <strong>le</strong> Roi ; il<br />

était bon comédien. — Oui, reprit Boi<strong>le</strong>au, pour faire un don Japhet : il ne brillait que dans<br />

ces misérab<strong>le</strong>s pièces de Scarron. » Mon père lui fit signe de se taire, et lui dit en particulier<br />

: « Je ne puis donc paraître avec vous à la cour, si vous êtes toujours si imprudent. — J’en<br />

suis honteux, lui répondit Boi<strong>le</strong>au ; mais quel est l’homme à qui il n’échappe jamais une<br />

sottise ? »<br />

Incapab<strong>le</strong> de trahir jamais sa pensée, il n’avait pas toujours assez de présence<br />

d’esprit pour la taire : il avouait que la <strong>fr</strong>anchise était une vertu souvent dangereuse ; mais<br />

il se consolait de ses imprudences par la conformité de caractère qu’il prétendait avoir avec<br />

M. Arnauld, dont, pour se justifier, il racontait <strong>le</strong> fait suivant, qui peut trouver place dans un<br />

ouvrage où je rassemb<strong>le</strong> plusieurs traits de simplicité d’hommes connus. M. Arnauld, obligé<br />

de se cacher, trouva une retraite à l’hôtel de Longuevil<strong>le</strong>, à condition qu’il n’y paraîtrait<br />

qu’avec un habit séculier, une grande perruque <strong>sur</strong> la tête, et l’épée au côté. Il y fut attaqué<br />

de la fièvre ; et Mme de Longuevil<strong>le</strong>, ayant fait venir <strong>le</strong> médecin Brayer, lui recommanda<br />

d’avoir grand soin du gentilhomme qu’el<strong>le</strong> protégeait particulièrement et à qui el<strong>le</strong> avait<br />

donné depuis peu une chambre dans son hôtel. Brayer monte chez <strong>le</strong> malade, qui, après<br />

l’avoir entretenu de sa fièvre, lui demande des nouvel<strong>le</strong>s. « On par<strong>le</strong>, lui dit Brayer, d’un<br />

livre nouveau de Port-Royal, qu’on attribue à M. Arnauld, ou à M. de Saci ; mais je ne <strong>le</strong><br />

crois pas de M. de Saci : il n’écrit pas si bien. » À ce mot, M. Arnauld, oubliant son habit gris<br />

et sa perruque, lui répond vivement : « Que vou<strong>le</strong>z-vous dire ? Mon neveu écrit mieux que<br />

moi. » Brayer envisage son malade, se met à rire, descend chez Mme de Longuevil<strong>le</strong>, et lui<br />

dit : « La maladie de votre gentilhomme n’est pas considérab<strong>le</strong> ; je vous conseil<strong>le</strong> cependant<br />

de faire en sorte qu’il ne voie personne. Il ne faut pas <strong>le</strong> laisser par<strong>le</strong>r. » Mme de<br />

Longuevil<strong>le</strong>, étonnée des réponses indiscrètes qui échappaient souvent à M. Arnauld et à M.<br />

Nico<strong>le</strong>, disait qu’el<strong>le</strong> aimerait mieux confier son secret à un libertin.<br />

Boi<strong>le</strong>au ne savait ni dissimu<strong>le</strong>r, ni flatter. Il eut cependant par hasard quelques<br />

saillies assez heureuses. Lorsque <strong>le</strong> Roi lui demanda son âge, il répondit : « Je suis venu au<br />

monde un an avant Votre Majesté, pour annoncer <strong>le</strong>s merveil<strong>le</strong>s de son règne. »<br />

Dans <strong>le</strong> temps que l’affectation de substituer <strong>le</strong> mot de gros à celui de grand régnait<br />

à Paris comme en quelques provinces, où l’on dit un gros chagrin pour un grand chagrin, <strong>le</strong><br />

Roi lui demanda ce qu’il pensait de cet usage : « Je <strong>le</strong> condamne, répondit-il, parce qu’il y a<br />

bien de la différence entre Louis <strong>le</strong> Gros et Louis <strong>le</strong> Grand. »<br />

Malgré quelques réponses, de cette nature, il n’avait pas la réputation d’être<br />

courtisan ; et mon père passait pour plus habi<strong>le</strong> que lui dans cette science, quoiqu’il n’y fût<br />

pas non plus regardé comme bien expert par <strong>le</strong>s fins courtisans, et par <strong>le</strong> Roi même, qui dit,<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 36

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