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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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Louis XIV, informé du succès de ce discours, voulut l’entendre. L’auteur eut l’honneur<br />

de lui en faire la <strong>le</strong>cture, après laquel<strong>le</strong> <strong>le</strong> Roi lui dit : « Je suis très content : je vous louerais<br />

davantage, si vous m’aviez moins loué 26 . » Ce mot fut bientôt répandu partout, et attira à<br />

mon père une <strong>le</strong>ttre que je vais rapporter, parce qu’ayant été écrite par un homme qui était<br />

alors dans la disgrâce 27 et qui écrivait à un ami dans toute la sincérité de son coeur et la<br />

confiance du secret, el<strong>le</strong> fait voir de quel<strong>le</strong> manière pensaient de Louis XIV ceux mêmes qui<br />

croyaient avoir quelque sujet de s’en plaindre :<br />

« J’ai à vous remercier, Monsieur, du discours qui m’a été envoyé de votre part. Rien<br />

n’est as<strong>sur</strong>ément si éloquent ; et <strong>le</strong> héros que vous y louez est d’autant plus digne de vos<br />

louanges, qu’il y a trouvé de l’excès. Il est bien diffici<strong>le</strong> qu’il n’y en ait toujours un peu : <strong>le</strong>s<br />

plus grands hommes sont hommes, et se sentent toujours par quelque endroit de l’infirmité<br />

humaine. Je vous dirais bien des choses <strong>sur</strong> cela, si j’avais <strong>le</strong> plaisir de vous voir ; mais il<br />

faudrait avoir dissipé un nuage que j’ose dire une tache dans ce so<strong>le</strong>il. Ce ne serait pas une<br />

chose diffici<strong>le</strong>, si ceux qui <strong>le</strong> pourraient faire avaient assez de générosité pour l’entreprendre.<br />

Je vous as<strong>sur</strong>e que <strong>le</strong>s pensées que j’ai <strong>sur</strong> cela ne sont point intéressées, et que<br />

ce qui peut me regarder me touche fort peu. Si j’ai quelque peine, c’est d’être privé de la<br />

consolation de voir mes amis. Un tête-à-tête avec vous et avec votre compagnon me ferait<br />

bien du plaisir ; mais je n’achèterais pas ce plaisir par la moindre lâcheté. Vous savez ce que<br />

cela veut dire : ainsi je demeure en paix, et j’attends avec patience que Dieu fasse connaître<br />

à ce prince si accompli qu’il n’a point dans son royaume de sujet plus fidè<strong>le</strong>, plus passionné<br />

pour sa véritab<strong>le</strong> gloire et, si je l’ose dire, qui l’aime d’un amour plus pur et plus dégagé de<br />

tout intérêt. Je pourrais ajouter que je suis naturel<strong>le</strong>ment si sincère, que si je ne sentais<br />

dans mon coeur la vérité de ce que je dis, rien au monde ne serait capab<strong>le</strong> de me <strong>le</strong> faire<br />

dire. C’est pourquoi aussi je ne pourrais me résoudre à faire un pas pour avoir la liberté de<br />

revoir mes amis, à moins que ce ne fût à mon prince seul que j’en fusse redevab<strong>le</strong>.<br />

« Je suis, etc. »<br />

Boi<strong>le</strong>au, nouvel académicien, fut longtemps assez exact aux assemblées, dans<br />

<strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s il avait souvent des contradictions à essuyer. Il par<strong>le</strong>, dans une <strong>le</strong>ttre écrite à mon<br />

père, de ses disputes avec M. Charpentier. Dans ces disputes littéraires, il ne trouvait pas<br />

ordinairement <strong>le</strong> grand nombre pour lui, parce qu’il était environné de con<strong>fr</strong>ères peu<br />

disposés à être de son avis. Un jour cependant il fut victorieux ; et quand il racontait cette<br />

victoire, il ajoutait, en é<strong>le</strong>vant la voix : « Tout <strong>le</strong> monde fut de mon avis : ce qui m’étonna ;<br />

car j’avais raison, et c’était moi. »<br />

Lorsqu’il fut question de recevoir à l’Académie M. <strong>le</strong> marquis de Saint-Aulaire, il s’y<br />

opposa vivement, et répondit à ceux qui lui représentaient qu’il fallait avoir des égards pour<br />

un homme de cette condition : « Je ne lui dispute pas ses titres de nob<strong>le</strong>sse, mais je lui<br />

dispute ses titres du Parnasse. » Un des académiciens ayant répliqué que M. de Saint-<br />

Aulaire avait aussi ses titres du Parnasse, puisqu’il avait fait de fort jolis vers : « Eh bien,<br />

Monsieur, lui dit Boi<strong>le</strong>au, puisque vous estimez ses vers, faites-moi l’honneur de mépriser<br />

<strong>le</strong>s miens. »<br />

En 1685, M. <strong>le</strong> marquis de Seignelay, devant donner dans sa maison de Sceaux une<br />

fête au Roi, demanda des vers à mon père, qui, malgré la résolution qu’il avait prise de n’en<br />

plus faire, n’en put refuser, dans une pareil<strong>le</strong> occasion, à un ministre auquel il était fort<br />

attaché, fils de son bienfaiteur. J’ai plus d’une fois entendu dire à Monsieur <strong>le</strong> Chancelier que<br />

l’Antiquité (et qui la connaît mieux que lui ?) ne nous of<strong>fr</strong>ait rien, dans un pareil genre, de si<br />

parfait que cette Idyl<strong>le</strong> <strong>sur</strong> la Paix. Il admire comment <strong>le</strong> poète, en faisant par<strong>le</strong>r des<br />

bergers, a su réunir aux sentiments tendres et aux peintures riantes, <strong>le</strong>s grandes et terrib<strong>le</strong>s<br />

images, dans un sty<strong>le</strong> toujours naturel, et sans sortir du ton de l’idyl<strong>le</strong>. Puisqu’il m’est<br />

permis de rapporter historiquement <strong>le</strong>s sentiments des autres, et que je rapporte ceux d’un<br />

grand juge, j’ajouterai que je l’ai entendu, à ce sujet, faire remarquer l’heureuse disposition<br />

du même auteur à écrire dans tous <strong>le</strong>s genres différents. Est-il orateur ? Est-il historien ? Il<br />

excel<strong>le</strong>. Est-il poète ? S’il fait une comédie, il sait y faire rire et <strong>le</strong> parterre et ceux qui<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 34

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