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http://www.jeuverbal.fr L. Racine, Mémoires sur Jean ... - le jeu verbal

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<strong>http</strong>://<strong>www</strong>.<strong><strong>jeu</strong><strong>verbal</strong></strong>.<strong>fr</strong><br />

de dire que vous n’avez pas entendu votre original, qui ne prêche que <strong>le</strong> pardon des<br />

ennemis. »<br />

Mon père avait plus d’attention que Boi<strong>le</strong>au à ne rien dire aux personnes à qui il<br />

parlait, qui fût contraire à <strong>le</strong>ur manière de penser. D’ail<strong>le</strong>urs il était moins souvent que lui<br />

dans <strong>le</strong> monde. Lorsqu’il pouvait s’échapper de Versail<strong>le</strong>s, il venait s’enfermer dans son<br />

cabinet, où il employait son temps à travail<strong>le</strong>r à l’histoire du Roi, qu’il ne perdait jamais de<br />

vue, ou à lire l’Écriture sainte, qui lui inspirait des réf<strong>le</strong>xions pieuses, qu’il mettait<br />

quelquefois par écrit. Il lisait avec admiration <strong>le</strong>s ouvrages de M. Bossuet, et n’avait pas, à<br />

beaucoup près, <strong>le</strong> même respect pour ceux de M. Huet. Il n’approuvait pas l’usage que ce<br />

savant écrivain voulait faire, en faveur de la religion, de son érudition profane. Il appliquait<br />

au livre de la Démonstration évangélique ce vers de Térence :<br />

Te cum tua<br />

Monstratione magnus perdat Jupiter 38 .<br />

Il désapprouvait <strong>sur</strong>tout <strong>le</strong> livre du même auteur, intitulé Quaestiones Alnetanae,<br />

dont il a fait un extrait.<br />

Quoiqu’il se fût fait depuis plusieurs années un devoir de religion de ne plus penser à<br />

la poésie, il s’y vit cependant rappelé par un devoir de religion auquel il ne s’attendait pas.<br />

Mme de Maintenon, attentive à tout ce qui pouvait procurer aux <strong>jeu</strong>nes demoisel<strong>le</strong>s de<br />

Saint-Cyr une éducation convenab<strong>le</strong> à <strong>le</strong>ur naissance, se plaignit du danger qu’on trouvait à<br />

<strong>le</strong>ur apprendre à chanter et à réciter des vers, à cause de la nature de nos meil<strong>le</strong>urs vers et<br />

de nos plus beaux airs. El<strong>le</strong> communiqua sa peine à mon père, et lui demanda s’il ne serait<br />

pas possib<strong>le</strong> de réconcilier la poésie et la musique avec la piété. Le projet l’édifia et l’alarma.<br />

Il souhaita que tout autre que lui fût chargé de l’exécution. Ce n’était point <strong>le</strong> reproche de sa<br />

conscience qu’il craignait dans ce travail : il craignait pour sa gloire. Il avait une réputation<br />

acquise, et il pouvait la perdre, puisqu’il avait perdu l’habitude de faire des vers, et qu’il<br />

n’était plus dans la vigueur de l’âge. Que diraient ses ennemis, et que se dirait-il à lui-même<br />

si, après avoir brillé <strong>sur</strong> <strong>le</strong> théâtre profane, il allait échouer <strong>sur</strong> un théâtre consacré à la piété<br />

! Je vais rapporter ce qu’une plume meil<strong>le</strong>ure que la mienne a écrit <strong>sur</strong> ses craintes, <strong>sur</strong><br />

l’origine de la tragédie d’Esther et <strong>sur</strong> cel<strong>le</strong> d’Athalie.<br />

Une aimab<strong>le</strong> élève de Saint-Cyr, quoique sortie depuis peu de cette maison, et<br />

mariée à M. <strong>le</strong> comte de Caylus, exécuta <strong>le</strong> prologue de la Piété, fait pour el<strong>le</strong>, et plusieurs<br />

fois <strong>le</strong> rô<strong>le</strong> d’Esther. Par <strong>le</strong>s charmes de sa personne et de sa déclamation, el<strong>le</strong> contribua au<br />

succès de cette pièce, dont el<strong>le</strong> a parlé dans <strong>le</strong> recueil qu’el<strong>le</strong> fit un an avant sa mort, et<br />

qu’el<strong>le</strong> intitula : Mes Souvenirs, parce qu’el<strong>le</strong> y rassembla ce que lui rappela sa mémoire de<br />

plusieurs événements arrivés de son temps à la cour. C’est de ces Souvenirs, recueil si<br />

estimé des personnes qui en ont connaissance, qu’est tiré <strong>le</strong> morceau suivant, et un autre<br />

que je donnerai encore 39 .<br />

« Mme de Brinon, première supérieure de Saint-Cyr, aimait <strong>le</strong>s vers et la comédie ;<br />

et au défaut des pièces de Corneil<strong>le</strong> et de <strong>Racine</strong>, qu’el<strong>le</strong> n’osait faire jouer, el<strong>le</strong> en<br />

composait de détestab<strong>le</strong>s à la vérité, mais c’est cependant à el<strong>le</strong> et à son goût pour <strong>le</strong><br />

théâtre qu’on doit <strong>le</strong>s deux bel<strong>le</strong>s pièces que <strong>Racine</strong> a faites pour Saint-Cyr. Mme de Brinon<br />

avait de l’esprit, et une facilité incroyab<strong>le</strong> d’écrire et de par<strong>le</strong>r ; car el<strong>le</strong> faisait aussi des<br />

espèces de sermons fort éloquents ; et tous <strong>le</strong>s dimanches, après la messe, el<strong>le</strong> expliquait<br />

l’Evangi<strong>le</strong> comme aurait pu faire M. Le Tourneux.<br />

« Mais je reviens à l’origine de la tragédie de Saint-Cyr. Mme de Maintenon voulut<br />

voir une des pièces de Mme de Brinon. El<strong>le</strong> la trouva tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> était, c’est-à-dire si<br />

mauvaise, qu’el<strong>le</strong> la pria de n’en plus faire jouer de semblab<strong>le</strong>s, et de prendre plutôt quelque<br />

bel<strong>le</strong> pièce de Corneil<strong>le</strong> ou de <strong>Racine</strong>, choisissant seu<strong>le</strong>ment cel<strong>le</strong>s où il y aurait <strong>le</strong> moins<br />

d’amour. Ces petites fil<strong>le</strong>s représentèrent Cinna assez passab<strong>le</strong>ment pour des enfants qui<br />

n’avaient été formées au théâtre que par une vieil<strong>le</strong> religieuse. El<strong>le</strong>s jouèrent aussi<br />

Andromaque; et soit que <strong>le</strong>s actrices en fussent mieux choisies, ou qu’el<strong>le</strong>s commençassent<br />

à prendre des airs de la cour, dont el<strong>le</strong>s ne laissaient pas de voir de temps en temps ce qu’il<br />

L. <strong>Racine</strong>, <strong>Mémoires</strong> <strong>sur</strong> <strong>Jean</strong> <strong>Racine</strong>. 42

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